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Déficit en compétences et métiers sous tension : au coeur des politiques migratoires


Les estimations de certains analystes prévoient un déficit mondial de compétences aux alentours de 85 millions de travailleurs hautement ou moyennement qualifiés. Plus de 16 millions de nouveaux emplois qui devraient être créés entre 2017 et 2020 dans l’Union européenne exigeraient des qualifications élevées. Ces chiffres démontrent parfaitement que la tendance mondiale de la migration des talents continuera sur la même lancée, voire plus.


La migration de la main-d’œuvre hautement qualifiée connue sous le nom de “fuite de compétences” ou encore “fuite des cerveaux” continue à s’intensifier à l’aube de cette nouvelle décennie. Un phénomène vieux comme le monde, dit-on? Peut-être, mais l’ampleur qu’il a prise, durant la décennie écoulée, devient inquiétante pour les pays d’origine dans la mesure où l’on parle de centaines de millions de migrants hautement qualifiés à travers le monde qui quittent leurs pays d’origine pour s’installer dans des pays où le marché du travail est, désormais, plus attractif. Selon l’Organisation internationale de la migration (OIM), l’Afrique est le continent le plus touché par ce phénomène. Les jeunes les mieux formés et ayant suivi des parcours universitaires partent souvent vers la destination européenne, en quête d’un meilleur monde, un monde plus égalitaire, plus sûr et plus libre.

Assouplir les conditions d’accès aux marchés du travail
Subissant l’unique loi de l’offre et la demande, la fuite des cerveaux n’est qu’une conséquence des politiques migratoires, menées par les pays riches qui s’attèlent à subvenir aux besoins de leurs marchés de travail. L’Europe peut être considérée, littéralement, comme l’Eldorado des jeunes du monde, notamment des pays du Sud, étant donné qu’un migrant sur trois dans le monde s’exile vers l’Europe, et qu’en 2017, le monde a enregistré le mouvement de 250 millions de migrants. Le rapport de l’étude “Perspectives des Migrations Internationales 2019”, menée auprès des pays membres de l’Ocde, parle dans ce contexte, des politiques migratoires que les pays de l’Ocde continuent à optimiser afin de drainer davantage de compétences et de talents.

Au chapitre des “migrations économiques”, l’étude évoque une adaptation des programmes concernant les immigrés économiques. “Les pays continuent d’adapter les critères régissant les programmes de travailleurs immigrés, afin d’améliorer la sélection et de favoriser les compétences dont ils ont besoin”, précise le rapport. A cet effet, plusieurs pays ont modifié leurs systèmes à point, souligne l’étude. La France, premier pays destinataire des médecins et des informaticiens tunisiens, a opéré, au mois de mars 2019, des changements au niveau de sa politique migratoire afin de renforcer l’attractivité des talents.

“La France a transposé dans sa législation nationale la Directive de l’UE sur le transfert temporaire intragroupe, qui impose un délai plus long entre transferts et qui a étendu les dispositions concernant les enfants à charge”, mentionne le rapport. Le pays dispose également d’un mécanisme qui incite les talents étrangers à s’installer en France. Il s’agit du programme français “Passeport talent”, qui consiste à délivrer une carte de séjour pluriannuelle aux étrangers, notamment s’ils sont hautement qualifiés, ou artistes. Elle est renouvelable pour quatre ans.
Le même rapport “Perspectives des Migrations Internationales 2019” mentionne que le programme en question a été élargi pour inclure, notamment des diplômés d’universités étrangères.

Pareil en Allemagne, un pays également adulé par les jeunes Tunisiens : les autorités ont voté au mois de juin 2019 une loi uniformisant la notion de “main-d’œuvre qualifiée et élargit les règles — auparavant axées sur les diplômés de l’université — aux travailleurs moyennement qualifiés ayant suivi une formation professionnelle qualifiée”. Au Canada, plusieurs provinces canadiennes ont mis en place leurs propres plateformes de sélection de candidats, pour un parrainage au titre du programme “des désignations provinciales”, qui représente à lui seul presque un tiers des migrations économiques totales vers le Canada.

Un déficit mondial énorme de compétences
Ces tendances migratoires de la main-d’œuvre hautement qualifiée connaîtraient, a priori, davantage d’intensification et de renforcement de la part des pays de l’Ocde dans la période à venir. En cause: la forte tension exercée sur certains métiers, notamment du savoir comme les TIC, l’enseignement supérieur et la recherche outre les métiers de la santé. En effet, le dernier rapport du Bureau international du travail (BIT), sur les migrations de main-d’œuvre publié en 2017 sous le titre “Nouvelle donne et enjeux de gouvernance”, jette les lumières sur la hausse continuelle et exponentielle de la demande de main-d’œuvre hautement qualifiée de la part des pays à revenu élevé.

“La Commission européenne prévoit que, d’ici 2020, 16 millions de nouveaux emplois dans l’Union européenne exigeraient des qualifications élevées. Dans certains secteurs, tels que celui des soins infirmiers, les pénuries sont particulièrement graves”, souligne le rapport. Les estimations de certains analystes prévoient un déficit mondial de compétences de 85 millions de travailleurs hautement ou moyennement qualifiés, selon le même rapport.

Atténuer les tensions sur les budgets des Etats riches
Les retombées de ces flux migratoires sur les économies des pays riches sont estimées plutôt positives. On considère que les compétences étrangères contribuent à l’augmentation de la productivité de ces pays à même de faire croître leurs croissances. L’ancienne directrice du Fonds Monétaire FMI, M. Christine Lagarde, a écrit un article dans ce sens, où elle a décrit l’état des lieux de la crise migratoire qui sévit dans le monde.

L’article qui a été publié, au mois de novembre 2015 à l’issue du rassemblement des dirigeants du Groupe des vingt (G-20) tenu dans l’objectif de débattre, entre autres, de la crise des réfugiés dans la Méditerranée, mentionne “Les migrations peuvent également contribuer à attaquer les problèmes liés au vieillissement de la population dans un certain nombre de pays avancés.

Nos travaux font apparaître qu’à moyen terme les migrants pourraient aider à atténuer les tensions qui pèsent sur les budgets de santé et de retraite, et à court terme l’effet budgétaire net tend à être relativement faible, explique l’ancienne directrice générale du Fonds. Cependant, elle souligne, également, les répercussions négatives de ces départs “massifs” des compétences sur les pays d’origine. “Il est clair qu’ils perdent souvent les populations les plus jeunes et les mieux formées, ce qui a de lourdes conséquences pour leur croissance”, affirme-t-elle.

Quelles répercussions sur l’économie des pays d’origine
Les diverses organisations internationales, notamment du Travail, de la Migration, ainsi que les Nations unies… etc. ne cessent de rappeler à chaque réunion ou assemblée — tenue pour discuter entre autres des politiques et des tendances migratoires dans le monde — de l’impératif de trouver des moyens pour enrayer ou du moins juguler la perte des compétences dans les pays à faible revenu.

“Les départs persistants de personnes instruites et qualifiées font peser une lourde charge budgétaire sur les pays d’origine, ce qui se répercute sur la productivité économique et le développement de services publics essentiels, notamment la santé et l’éducation. D’ailleurs, de nombreux pays s’efforcent d’inverser la tendance migratoire”, décrivent respectivement l’experte et l’économiste au sein de la Banque mondiale Asli Demirgüç-Kunt, et le vice-président, de la section Europe et Asie Centrale Cyril Muller dans un article publié au mois d’octobre 2019 sur le site de la Banque mondiale.

Pénurie de talents
Il est vrai qu’en Tunisie, l’émigration a été toujours considérée par les décideurs et les experts économiques comme étant une solution, une soupape de sécurité, notamment dans un contexte social tendu caractérisé par un taux de chômage élevé dans le rang des universitaires. Sauf que les métiers, notamment des TIC et de l’innovation qui attiraient jadis les investisseurs étrangers, essentiellement grâce au faible coût des talents (si l’on fait le benchmarking à l’échelle régionale et même internationale), observent actuellement une pénurie de travailleurs hautement qualifiés.

Les déclarations accordées récemment par le conseiller du commerce extérieur de la France, Pascal Allard, vont dans ce sens et confirment le constat tiré. Il a, en effet, parlé — à l’occasion de la tenue de la rencontre annuelle de la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie (Ctfci) — d’un tarissement de main-d’œuvre et de difficultés de recrutement rencontrées par les entreprises françaises du TIC installées en Tunisie. “Les entreprises commencent à rencontrer des problèmes de disponibilité de main-d’œuvre qualifiée, notamment des ingénieurs en informatique”, explique-t-il. Pareil constat est tiré pour le domaine de la médecine, où l’on parle d’une pénurie des médecins spécialistes.

Les jeunes médecins qui “fuient” littéralement les hôpitaux publics, notamment dans les régions à cause des conditions de travail extrêmement difficiles, brillent, paradoxalement à l’étranger. Qu’a-t-on fait pour retenir nos compétences ici en Tunisie ? Pas nécessairement tous, mais ce qu’il en faut pour faire avancer l’économie et l’administration. Il est encore tôt pour affirmer si les majorations salariales au profit des ingénieurs, des médecins et des professeurs universitaires du secteur public, qui ont été décidées au titre des exercices 2020 et 2021, ont porté leurs fruits ou pas. Rappelons, à cet égard, que ces augmentations salariales spécifiques aux métiers sous tension dans la Fonction publique ont été décidées suite à la conclusion d’un accord entre le gouvernement et l’Ugtt. Les majorations arrêtées varient de 100 à 1.100 dinars. Mais clairement, les jeunes cherchent également la dignité et la liberté auxquelles ils aspirent lorsqu’ils partent à la quête d’un Eldorado.

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