La santé du citoyen tunisien risque de connaître un véritable coup dur avec cette douloureuse décision qui menace de faire boule de neige sur la santé publique déjà mal en point, conjuguée au péril des institutions sanitaires et aux menaces de faillite de tout un système
Les derniers rebondissements dans le secteur de la distribution des médicaments en Tunisie ont créé un grand malaise au sein des professionnels de la santé. Un communiqué qui a annoncé un préavis de grève ouverte est récemment paru notamment pour éclairer l’opinion publique sur les menaces sur la survie d’une activité vitale qui touche directement à la santé du citoyen de loin ou de près. En effet, la pomme de discorde concerne la gestion des médicaments entre plusieurs parties prenantes avec l’entrée sur le marché de nouveaux génériques et la suppression d’autres médicaments. Dans ce contexte, une conférence de presse a été tenue en mi-journée à l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat à l’invitation de la Chambre syndicale nationale des pharmaciens grossistes pour exposer leur position dans ce dossier sensible. Suite à son assemblée générale extraordinaire tenue le 5 février 2020, au siège de l’Utica, plusieurs partenaires du secteur se sont retrouvés pour traduire une convergence de vues sous le sceau de la solidarité interprofessionnelle. Mme Wafa Ben Meddeb, présidente de la chambre, M. Chedly Fendri, président du Conseil national de l’ordre des pharmaciens de Tunisie (Cnopt) et M. Mustapha Laâroussi, président du Syndicat des pharmaciens d’officine de Tunisie (Spot) ont tour à tour formulé la nécessité de sauver une activité centrale qui est reconnue encore aujourd’hui comme un exemple dans le monde arabo-africain pour ses méthodes avancées. «L’objet de la conférence de presse était d’informer l’opinion publique de la situation difficile que traverse le secteur et de donner des clarifications suite au communiqué de presse publié à l’issue de l’assemblée générale extraordinaire», ajoute un communiqué de la chambre syndicale. L’arrêt de travail a été confirmé hier matin grâce à un large consensus entre tous les professionnels du secteur de la santé incluant le ministère de la Santé, ses partenaires et les professionnels de santé sur des points d’achoppement avec les Caisses d’assurances sociale et médicale : la Cnam et la Cnss. Pourtant, un cycle de négociations entre la chambre syndicale relevant de l’Utica et ses partenaires avec la Cnss a été entamé le 31 janvier dernier pour aboutir à une sortie de crise, sans résultat. M. Mustapha Laâroussi, président du Syndicat des pharmaciens d’officines de Tunisie (Spot) résume la situation actuelle qui ne saurait se décanter: «Le Syndicat a demandé l’application de toutes les clauses du contrat, ce qui n’est pas le cas actuellement. On ne peut pas renégocier pour que les accords mutuellement convenus soient strictement appliqués. On demande principalement d’appliquer formellement les accords de la négociation précédente pour pouvoir avancer sur d’autres projets». Du reste un point épineux qui consiste en la pratique actuelle ou l’ajout de la T.V.A. (taxe sur la valeur ajoutée) a été décrié car c’est une mesure qui est envisagée depuis quelques années et qui ne devrait pas être concrétisée sous peine de causer du tort à l’activité des pharmaciens grossistes. «La TVA va nuire à la disponibilité des médicaments pour le citoyen tunisien», conclut M. Laâroussi. La liste des médicaments concernés par la TVA n’a pas été communiquée, ce qui crée un flou et menace la transparence et l’équité professionnelle entre les différentes pharmacies d’après Mme Wafa Ben Meddeb qui souhaite que des solutions communes soient trouvées et une sortie de crise : «Nous sommes responsables et nous ne voulons pas arriver à la grève pour éviter le recours à l’Assemblée des représentants du peuple».
La TVA mise à l’index
Dans son analogie avec le secteur de la boulangerie, Mme Meddeb a démontré que l’application de la TVA selon la nouvelle méthode ne peut pas passer car c’est comme si l’on demandait subitement aux boulangers de rembourser leurs dettes étalées sur cinq ans a posteriori après une majoration de vingt ou trente millimes sur le prix de la baguette !
Mme Wafa Ben Meddeb a souligné que le secteur de la distribution en gros des médicaments emploie directement et indirectement des milliers de personnes dont les emplois seront menacés si une solution aux questions relatives à la mise en œuvre de la TVA n’est pas trouvée dans les meilleurs délais. Elle a réaffirmé la position de la chambre syndicale relative à l’application juste et équitable de la TVA aux entreprises du secteur ajoutant que cette question menace l’avenir de la profession. Si le médicament est aujourd’hui disponible sur tout le territoire de la République, jour et nuit, c’est grâce au système de distribution transparent et efficace et aux moyens humains et matériels mis en œuvre par les pharmaciens grossistes-répartiteurs, a souligné Mme Meddeb. Elle a ajouté que les professionnels du secteur sont contre les contrôles abusifs et ne sont pas contre la TVA mais contre la taxe imposée sur la marge bénéficiaire. Elle a souligné qu’il est nécessaire au préalable de mettre en place les mécanismes réglementaires indispensables à cette mise en œuvre de la TVA, ce qui nécessite plus de coordination entre les différents ministères concernés.
Les pharmaciens grossistes-répartiteurs des médicaments sont un maillon important et indispensable entre les industriels du médicament et la Pharmacie centrale, d’une part, et les pharmaciens et les citoyens, d’autre part. Ils assurent non seulement la distribution des médicaments mais également d’autres produits importants qui ne sont vendus qu’en pharmacie comme le lait pour nourrissons et enfants par exemple. Toute la chaîne du médicament est menacée de faillite, conclut Mme Meddeb.
L’activité pharmaceutique qui représente le moteur de développement de l’économie tunisienne à compter des années 1960 et une grande avancée sur le continent africain est désormais un colosse aux pieds d’argile. La concurrence étrangère des pays européens, notamment, n’attend que la chute de ce secteur, poumon de la qualité des services de santé en Tunisie, pour tirer profit du marché tunisien, ce qui n’est pas tolérable au commun des esprits. Des garanties de sécurité et d’approvisionnement des médicaments juste à temps sont requises par cette structure nationale que les citoyens tunisiens doivent défendre corps et âme même si certains l’ignorent malgré tout. Une grève inédite depuis l’avènement de la révolution du jasmin du 14 janvier 2011 pour la Tunisie qui n’en finit plus de manger son pain noir avec le risque de faillite à terme des pharmacies et petites officines.