La Tunisie est confrontée à d’importantes nécessités de l’assainissement budgétaire, à l’amélioration du pouvoir d’achat en passant par la relance de l’emploi.
Dans une transition multiforme où le raccommodage économique reste très aléatoire, et où la politique monétaire déjà très excessivement sollicitée par les pouvoirs publics, les difficiles arbitrages s’imposent entre la croissance et l’emploi, d’une part, et la consolidation du pouvoir d’achat et une meilleure stabilité des prix, d’autre part.
Ces arbitrages sont d’autant plus nécessaires que les objectifs de politique sociale, comme l’équité et la répartition des fruits de la croissance à long terme, ne sont toujours pas encore sur la table. Une table qui a été dressée un certain 14 janvier 2011, par une Tunisie où un meilleur emploi et un meilleur pouvoir d’achat constituent la principale priorité.
Des choix difficiles sont à faire. Ils dépendent des conditions socio-économiques des différentes parties prenantes.
Pour l’équipe qui entre en scène, le tableau n’est pas réjouissant. Les principales conclusions « édulcorées » de sa dernière livraison de conjoncture, les analystes de la BCT (note sur les évolutions économiques et monétaires et les perspectives à moyen terme-février 2020), sont explicites :
– Ralentissement de l’activité économique, en 2019, portant la marque de la contre-performance du secteur industriel, notamment les industries exportatrices, et le secteur du transport.
Poursuite de la baisse du volume global de refinancement de l’activité économique.
– Ralentissement généralisé du rythme de progression des crédits à l’économie, en 2019.
– Tension sur les taux (TMM excessif, compte tenu du rythme d’activité) à 7,81% en décembre 2019 (après 7,80% le mois précédent).
– Baisse notable du déficit courant à 8,8% du PIB en 2019. Cette évolution a été favorisée par l’amélioration de la balance des services et les répercussions de l’orientation restrictive de la politique monétaire sur la demande (baisse de la consommation et des investissements).
– Détente aussi bien de l’inflation que de l’inflation sous-jacente, à fin 2019, pour s’établir toutes les deux à 6,1% contre 7,5% et 8,8% respectivement une année auparavant.
Résultat des courses, « Sous prétexte de lutter contre l’inflation, les taux d’intérêt élevés freinent la croissance en l’absence de mesures de relance» (revue-economique-octobre-2019.pdf : http ://www. itceq.tn). Tel est le diagnostic des économistes de l’INS.
L’aggravation continue de l’inflation, du chômage la dégradation des fondamentaux semble être une caractéristique propre à la «transition» que vit la Tunisie depuis le 14 janvier 2011.
Les publications foisonnent pour expliquer une situation particulière en Tunisie, mais somme toute, commune aux pays en transition.
En l’occurrence, on peut expliquer cette situation par la volonté des pouvoirs publics de mener en préalable à la nouvelle construction d’une démocratie, une politique de vertu monétaire «ultra libérale conservatrice» ayant pour coût, involontaire, le chômage.
Résultat, le chômage a connu la plus forte augmentation depuis 2011.
Ce qui, implicitement, implique l’entreprise. Pourquoi ?
Parce que c’est l’entreprise qui investit (et à quels taux d’intérêts, avec quels moyens financiers, et avec quels crédits ?).
C’est l’entreprise qui emploie, qui produit pour satisfaire une demande amoindrie, faute d’un pouvoir d’achat fondant.
Bref, le nœud gordien à dénouer, entre une entreprise qui nage à contre courant dans un environnement chaotique à effroi et une classe moyenne disloquée par l’ampleur des mesures d’assainissement requises aujourd’hui et par le rythme imposé par les situations budgétaires des agents aussi bien privés que publics.
La stabilisation du ratio dette/produit intérieur brut (PIB) n’implique-t-elle pas une rationalisation du solde budgétaire sous-jacent ?
L’assainissement budgétaire ne devrait-il pas être d’autant plus condensé que la situation des finances publiques est de plus en plus dégradée, que l’activité économique est léthargique et que les effets multiplicateurs budgétaires et fiscaux à court terme sont d’autant plus fragiles que les fuites sont importantes ?
La marge de manœuvre de la politique monétaire pour compenser l’effet de freinage exercé par l’assainissement budgétaire sur la croissance n’est-il pas faible parce que la politique monétaire d’accompagnement de l’assainissement budgétaire est plus que douteuse ?
En tout état de cause et toutes les études théoriques et empiriques le confirment :
-Répartir l’effort du côté des recettes comme du côté des dépenses, d’autant que l’ampleur de l’assainissement est importante.
– Axer l’assainissement budgétaire sur les réductions rationnelles de dépenses (plus de dépenses d’équipement et moins de dépenses courantes, plutôt que sur des augmentations de recettes), (plus de pression fiscale).
– Accélérer les réformes structurelles, surtout celles qui augmentent l’emploi, pour contribuer à doper la croissance et l’assainissement.
– Rationaliser les recettes des privatisations pour réduire l’endettement brut, tout en contribuant à une croissance plus soutenue, via les dépenses d’équipement.
– Mettre en place une autorité de surveillance budgétaire indépendante pour évaluer la position des finances publiques.
La crise actuelle semble dès lors plus grave que celle des années 80 : à sa durée s’ajoute un sentiment d’impuissance face à la précarisation progressive du travail.
Le niveau inquiétant du chômage est souvent imputé à d’autres causes que celles avancées depuis quelque temps généralement sous-tendues par les fluctuations des gains de productivité.
Ce contexte décourage l’investissement et la demande de travail ; la demande atone que subissent alors les entreprises les incite à baisser davantage les salaires réels, via la hausse des prix qui augmentent plus vite que les salaires nominaux.
Le cercle vicieux se met en place via la «déréglementation implicite» des marchés, qui ont permis la mise en place d’un effet de cliquet néfaste.
Dr Tahar El Almi : Economiste-universitaire