Ils ont été plusieurs parmi les analystes et les observateurs à pronostiquer un nouvel échec pour Ennahdha, hier, au palais du Bardo, à l’occasion de l’examen par les députés de son initiative législative sur l’élévation du seuil électoral de 3 à 5%. Finalement, le projet de loi reviendra à la commission parlementaire chargée du règlement intérieur pour «en débattre d’une manière plus approfondie». Un euphémisme ou une trouvaille pour insinuer qu’Ennahdha a accepté de renoncer à ses exigences contre «la révision de la loi électorale dans son intégralité»
Les députés n’ont pas dérogé, hier, à la règle qu’ils se sont imposée dès le premier jour du démarrage de la législature actuelle en offrant aux Tunisiens un nouveau spectacle où les accusations, les insultes et les menaces ont pris le dessus sur le dialogue, la concertation, les échanges et l’écoute mutuelle.
Réunis, hier, pour statuer sur l’initiative législative soumise par le bloc parlementaire d’Ennahdha relative à l’amendement de la loi électorale dans le sens de porter le seuil électoral de 3 à 5% dans l’objectif de lutter contre «l’effritement du paysage politique issu des élections législatives du 6 octobre dernier tenues sur la base de la loi électorale en vigueur actuellement», les députés aussi bien de la coalition au pouvoir que de l’opposition n’ont pas raté l’occasion pour dire ce qu’ils ont sur le cœur, et dévoiler, chacun selon l’approche de son parti, les objectifs visés par Ennahdha à travers son initiative législative et pour donner, enfin, aux citoyens, une idée sur les dissensions et les divisions qui vont prévaloir au sein du palais du Bardo au cours des prochains mois, laissant, déjà, présager qu’Elyes Fakhfakh, le chef du gouvernement de «la clarté et de la restauration de la confiance», aura beaucoup de travail à faire et d’efforts à déployer en vue de parvenir à instaurer — comme le soulignent plusieurs observateurs — «d’abord une atmosphère de confiance minimale entre ses propres ministres et à pousser ensuite les partis composant sa ceinture parlementaire à un minimum de coopération, de coordination et à mettre fin aussi au déballement systématique des tiraillements qui distinguent leurs rapports».
Hier, les interventions des députés d’Ennahdha, d’Attayar, de Tahya Tounès et aussi du Bloc de la réforme nationale, soit les formations constituant la ceinture parlementaire du gouvernement Fakhfakh, ont mis à nu les divisions et les tiraillements qui opposent ces mêmes formations et ont révélé que leur appartenance à un même gouvernement n’est en réalité «qu’une solution de conjoncture qu’ils ont été obligés d’accepter sous la menace de se voir éjectés du Parlement au cas où le spectre des législatives anticipées n’aurait pas été écarté en dernière minute».
Comme ne manquent pas de le faire remarquer les analystes qui ont déjà exprimé leur conviction que ce sont ces mêmes formations qui feront exploser, tôt au tard, la fragile ceinture entourant le gouvernement Fakhfakh.
Et ces analystes ne peuvent qu’avoir raison quand on suit les interventions de Mabrouk Kourchid, député de Tahya Tounès, de Samia Abbou, députée d’Ettayar, et Zouheir Maghzaoui, député d’Echaâb, interventions qui mettent en cause «la bonne foi d’Ennahdha, dénoncent sa volonté d’imposer son hégémonie sur la scène politique et dévoilent son intention de sanctionner les partis qui ont fait tomber le gouvernement Jemli et qui sont tenus par Ghannouchi comme les responsables de la perte par Ennahdha de son droit de présider le gouvernement».
Que reste-t-il des échanges d’accusations et de signes de persistance de méfiance et de suspicion entre les présidents des blocs parlementaires qui ont, finalement, décidé de renvoyer le projet de loi d’amendement de la loi électorale devant la commission du règlement intérieur, pour en «débattre d’une manière plus approfondie» ?
Faut-il comprendre «qu’en débattre d’une manière plus approfondie» signifie qu’Ennahdha va renoncer à sa demande portant sur l’augmentation du seuil électoral de 3 à 5% comme l’a laissé entendre Noureddine B’hiri, chef du bloc parlementaire, en soulignant, à sa manière : «Le pluralisme et la diversité du paysage politique sont des acquis qu’il faut préserver». Il ajoute : «Il ne faut pas priver les petits partis et les indépendants de participer à la gestion de la chose publique».
Dans le même sillage, Mohamed Goumani, député nahdhaoui, apporte, peut-être, la réponse selon laquelle Ennahdha a renoncé à son projet en précisant : «Face au changement du contexte politique et en concertation avec les différents blocs (dont il ne dévoile pas l’identité), Ennahdha a estimé qu’il était plus judicieux de revoir la loi électorale dans son intégralité».
Subsiste, toujours, la question : Ennahdha a-t-il subi, hier, un nouveau revers ou «une gifle de plus» que lui a assénée «ses alliés de conjoncture» ou a-t-il réussi à sauver sa crédibilité en attendant de lendemains meilleurs ?