Accueil Economie Supplément Economique Moez Maaref, P.-D.G. de l’Agence tunisienne d’Internet (ATI) : «L’ATI en plein chantier pour une entreprise publique performante»

Moez Maaref, P.-D.G. de l’Agence tunisienne d’Internet (ATI) : «L’ATI en plein chantier pour une entreprise publique performante»

A la tête de l’ATI depuis mai 2018, Moez Maaref a apporté avec lui un projet qui voit le grand jour, grâce à des idées innovantes, créatives, et visionnaires. Loin des slogans simplistes et fausses promesses, il a entamé un chantier énorme pour la restructuration de l’ATI afin de la transformer en une entreprise moderne, mais surtout qui se veut différente, en mettant les relations humaines au cœur de son activité et de sa façon de travailler. Avoir une vision claire de ce qu’il souhaite faire dans un avenir proche lui permet de garder le cap et de se recentrer plus facilement pour aller encore plus vite. Interview.

Depuis sa création, l’ATI a connu des moments difficiles et décisifs. Cela vaut la peine d’en parler, et de montrer le chemin qui a été parcouru pour être l’entreprise qu’elle est, aujourd’hui. D’où peut-on commencer ?

Créée en 1996, l’ATI était et restera une entreprise pionnière au niveau des technologies d’Internet. Elle a pour mission de développer l’Internet en Tunisie, contribuer à la mise en place de réseaux dans divers domaines, gérer le réseau national et les noms de domaine, héberger des sites web…

Toutefois, notre entreprise a connu deux tournants décisifs dans son histoire. En effet, pendant l’ancien régime, on a donné à l’agence la mission de censure d’Internet. L’accès à des milliers de sites Internet a été bloqué durant cette période, souvent en raison des contenus, mais aussi pour des motifs politiques. Mais au lendemain de la révolution, on a fini avec l’ère de la censure et notre agence n’assume plus ce rôle-là. Actuellement, on est en train de dessiner les contours d’une image rassurante et crédible orientée clients.

Mais ceci n’empêche pas qu’il existe d’autres problèmes qui persistent encore. Malheureusement, l’ATI subit, toujours, un vide juridique, ce qui a généré pas mal de conflits sociaux et une certaine méconnaissance à cause d’une situation qui, jusqu’à nos jours, n’est pas claire. Après la privatisation en partie de Tunisie Telecom en 2006 (qui est l’un de nos actionnaires), l’ATI a perdu son statut 100% public alors que le décret du 19 février 2005 identifie l’ATI en tant qu’entreprise publique. 14 ans plus tard,la situation n’ayant pas changé à l’heure où le constat est bien précis pour nous : la clarification de la volonté politique est souhaitée pour permettre à l’ATI d’être plus compétitive…Si ce silence incompréhensible de la part des autorités concernées va perdurer, il influera négativement sur la consolidation et la mise en place d’une agence pleinement responsable et redevable.

Le défi majeur est celui de diriger, rassembler, rassurer les employés autour d’un projet pour leur expliquer que la pérennité de l’entreprise repose sur eux-mêmes. Egalement, clarifier une orientation qui devrait être partagée par tout le monde. Le plus rassurant c’est qu’on ne va pas démarrer de zéro puisqu’on a la meilleure bande passante dans le pays, la matière grise la plus pointue dans notre activité…

Depuis votre arrivée, vous avez entamé des chantiers énormes. En quoi la priorité a-t-elle été donnée ?

Lorsque j’ai pris les commandes en mai 2018, je me suis trouvé confronté à une situation assez compliquée, avec une frustration de la part des employés, ce qui est compréhensible, puisque ces derniers n’ont pas eu des réponses claires et précises à leurs demandes à cause de la situation de l’agence. Donc, le plus urgent pour nous était d’établir un diagnostic pour faire un état des lieux sur les plans juridique, social et économique, pour pouvoir par la suite passer à l’action avec en tête un objectif bien déterminé : travailler davantage sur l’Internet et l’hébergement qui sont les deux activités d’avenir. Il suffit, à cet effet, de se concentrer sur ces deux domaines pour voir l’ATI briller à la première place.

Malgré les difficultés citées, on a constaté un fort sentiment d’appartenance et d’attachement de la part du personnel, mais aussi un mélange de peur et de tristesse en l’absence d’une vision claire, car avec l’arrivée d’un nouveau responsable, on a toujours tendance à effacer l’ardoise et recommencer à zéro. On a donc réfléchi sur les nouveaux métiers de l’ATI et ce qu’elle peut faire demain pour garantir sa continuité et la stabilité de l’environnement social.

Le défi majeur est celui de diriger, rassembler, rassurer les employés autour d’un projet pour leur expliquer que la pérennité de l’entreprise repose sur eux-mêmes. Egalement, clarifier une orientation qui devrait être partagée par tout le monde. Le plus rassurant (au moins de leur côté), c’est qu’on ne va pas démarrer de zéro puisqu’on a la meilleure bande passante dans le pays, la matière grise la plus pointue dans notre activité… On a donc bien préparé le terrain pour redémarrer sur des bases solides. Mais le plus important, c’est que ce chantier a été entamé en tant qu’engagement commun qui implique tout le monde.

Ce long travail a donné fruit à une vision claire. Dans ce cadre, quels sont les grands axes de votre stratégie ?

Notre objectif c’est de devenir le numéro 1 au niveau de la connectivité et surtout de développer des services à haute valeur ajoutée, que ce soit pour le public ou le privé. Mais, à ce niveau-là, une question mérite d’être posée : comment va-t-on atteindre cet objectif dans un marché concurrentiel et à l’heure où on a vécu depuis 20 ans dans un écosystème fermé, où les clients venaient nous chercher ? Il fallait, donc, se remettre en cause et travailler pour inverser la tendance. C’est pourquoi nous avons de grands chantiers de Transformation parmi lesquels se trouve la certification ISO 27001 qui vise à améliorer la sécurité de nos services.

Pour revenir à votre question, notre stratégie s’articule autour de trois axes. Il y a tout d’abord l’axe financier. Aujourd’hui, on a fiabilisé notre système d’informations. On a réussi à clôturer les trois exercices comptables (2016-2017-2018) pour comprendre la situation financière, les dettes de l’entreprise, ses créances…C’est ce qui nous a permis d’identifier 11 milliards des créances à l’extérieur et une tendance de baisse du chiffre d’affaires chaque année, ce qui signifie que nous sommes menacés.

Pour le deuxième axe, c’est l’orientation client de notre organisation qui est nécessaire pour répondre aux exigences du marché… Cette nouvelle culture d’entreprise nous permet de nous démarquer de nos concurrents, et ce, grâce à la mise en place d’un workflow (flux de travaux) qui sera totalement automatisé, ce qui entre dans le cadre d’une démarche de digitalisation des procédures pour faciliter l’accès à l’information, mais surtout d’assurer la transparence dans la gestion des demandes et la levée de toutes les zones d’ombre.

Et pour atteindre nos objectifs cités, il fallait passer à l’action pour mettre en place un nouvel organigramme plus adapté à une entreprise de services, qui est notre troisième axe. Pour ce faire, nous avons commencé par l’affectation des bonnes personnes aux bonnes places. Mais cet objectif n’est pas si facile, car on constate un sentiment de résistance au changement, ce qui est compréhensible. Mais grâce à notre détermination et à la volonté de nos équipes, notre projet commence à porter ses fruits et la plupart des employés de l’ATI ont, bel et bien, compris que l’enjeu est énorme et commencent à s’engager de plus en plus dans le projet de la transformation de l’ATI.

Notre rôle dans le cadre du programme «Tunisian Smart Cities» consiste en la sensibilisation des maires sur la notion de ville intelligente. Nous allons, également, travailler sur des solutions qui correspondent à leurs besoins prioritaires. Mais, nous n’allons pas leur dicter ce qu’ils doivent faire, c’est à eux de concevoir leur propre modèle de ville intelligente parce qu’ils connaissent mieux leurs villes et leurs besoins.

Historiquement, le lien entre une entreprise et son syndicat pose toujours problème. Est-ce le cas pour l’ATI ?

Le management et la netteté intellectuelle sont les facteurs clés de la réussite de toute entreprise. Pour bâtir une entreprise saine, on a également besoin d’un syndicat compréhensif et responsable. Il faut également partager les informations utiles avec lui pour qu’il puisse être rassuré. Un syndicat sain est un signe de bonne santé d’une entreprise. Aujourd’hui, le travail à l’ATI est mené en collaboration avec le syndicat. Nous nous complétons pour mener à bien le travail et faire avancer notre entreprise. Il faut continuer à travailler main dans la main pour rester sur le bon chemin. Ce n’est qu’un début.

Théoriquement, c’est plus facile à dire qu’à faire. Etes-vous sur le bon chemin ?

On est, bel et bien, sur la bonne voie et à un stade bien avancé. On va, bientôt, lancer notre nouveau site Internet, on compte entrer dans l’e-commerce, on a réussi, jusqu’à présent, à commercialiser 18 offres de services, on compte ouvrir au mois de mars une première agence commerciale et d’ouvertures prochaines sont prévues sur tout le territoire… Ainsi, l’ATI n’est plus en stand-by, c’est une entreprise dynamique et ouverte.

Autre nouvelle non moins importante, on constate que l’avenir de l’Internet haut débit c’est la fibre optique. C’est pourquoi on a choisi la société Level 4, consortium dans lequel l’ATI est actionnaire, pour le déploiement de la fibre optique en Tunisie. Via cette infrastructure, l’ATI pourra offrir des services très haut débit aux opérateurs Télécoms et Fournisseurs de services Internet, dont l’objectif est d’avoir une meilleure couverture du territoire national en services télécoms et surtout une baisse des coûts. Ce projet s’inscrit dans le cadre de la vision stratégique de l’ATI, stipulant son repositionnement dans le nouveau marché des télécommunications qui connaît des changements profonds sur les plans national et international.

Est-ce le cas pour le marché national de l’Internet, car la concurrence n’est pas toujours ce que l’on croit ?

L’ATI agit pour la promotion du contenu local et de la créativité ainsi que la démocratisation de l’Internet. Dans ce cadre, et pour soutenir les jeunes startup, l’ATI a lancé un programme d’ouverture sur les startup à travers des partenariats avec de jeunes entrepreneurs.

Sur un autre plan, pour accompagner les établissements publics dans le processus de digitalisation de l’administration, notre agence propose des services à haute valeur ajoutée comme l’offre Baladiaty, la gestion électronique des correspondances (GEC), la gestion électronique des données (GED), à des prix très compétitifs.

C’est à partir de ces actions que nous commençons à penser différemment. Aujourd’hui, on est tous d’accord que la concurrence est importante pour pouvoir s’améliorer et se développer. C’est grâce à elle que l’ATI est devenue un intégrateur de services, loin d’être une simple agence d’Internet. A cet effet, tous nos services sont développés en mode SaaS (software as a service ou logiciel en tant que service).

Qu’est-ce que vous avez préparé pour 2020 ?

Pour cette année, la mère des batailles est de voir toutes les municipalités de notre territoire digitalisées, et ce, grâce à notre offre de services de gestion de courriers, qui permettra d’améliorer l’expérience Citoyen. L’objectif c’est qu’ils soient mieux compris et mieux servis par leur administration locale. C’est à ce niveau-là que l’ATI propose des offres packagées, claires et précises pour aider les municipalités à aller vite dans la technologie et la digitalisation, et surtout d’être plus impliquées et engagées dans le programme «Tunisian Smart Cities».

L’autre grand projet qu’on a lancé est la migration de l’IPv4 vers l’IPv6. Au niveau de l’utilisation de l’IP, l’adressage IPv4 est arrivé au bout de sa vie. Il est désormais essentiel de passer à IPv6 qui permet d’assigner davantage d’adresses que le protocole IPv4 et, par conséquent, donner la possibilité de collecter plus de personnes et d’objets connectés. Nous sommes en train de monter un centre de formation en partenariat avec l’Isetcom pour former des professionnels IPv6 et accompagner les entreprises dans le passage de l’IPv4 vers l’IPv6. C’est un projet très important qui peut avoir une dimension africaine et régionale.

Une offre de sécurité managée MSSP (Managed Security Services Provider) est, également, proposée à tous les clients business ayant des accès internet Très Haut débit. Une panoplie de produits préventifs de sécurité tels que Antivirus, Antispam, Antimalware, IDS, IPS, FW, analyse des logs, alertes, etc. sera offerte à tous nos clients connectés au réseau IP public via notre infrastructure d’interconnexion et d’accès.

C’est l’orientation client de notre organisation qui est nécessaire pour répondre aux exigences du marché… Cette nouvelle culture d’entreprise nous permet de nous démarquer de nos concurrents, et ce, grâce à la mise en place d’un workflow,qui sera totalement automatisé, ce qui entre dans le cadre d’une démarche de digitalisation des procédures pour faciliter l’accès à l’information, mais surtout d’assurer la transparence dans la gestion des demandes et la levée de toutes les zones d’ombre.

La Smart City est à l’ordre du jour. Quel est le rôle joué par l’ATI pour pousser vers l’avant cette notion ?

La Smart City est un mouvement qui a commencé, il y a un an environ, avec l’association «Tunisian Smart Cities». Nous étions pionniers à accompagner et faire partie de ce projet ambitieux. L’ATI sponsorise les évènements Smart Cities et accompagne les différents intervenants dans le processus de digitalisation des villes tunisiennes. Notre rôle dans le cadre du programme «Tunisian Smart Cities» consiste en la sensibilisation des maires sur la notion de ville intelligente. Nous allons, également, travailler sur des solutions qui correspondent à leurs besoins prioritaires. Mais, nous n’allons pas leur dicter ce qu’ils doivent faire, c’est à eux de concevoir leur propre modèle de ville intelligente parce qu’ils connaissent mieux leurs villes et leurs besoins. D’ailleurs, on pense toujours qu’il n’y a pas un modèle de ville intelligente unique ou standard. Chaque ville a ses spécificités, sa culture et son budget… Pour concrétiser cet objectif, nous prévoyons l’organisation d’un événement qui réunit les maires et les startup. Ce sera l’occasion aux maires pour identifier leurs problématiques, et aux startupeurs pour développer les solutions qui peuvent être déployées. C’est pourquoi je lance un appel à tous les startupeurs qui ont des idées innovantes, capables d’améliorer la vie du citoyen au quotidien, de nous rejoindre. L’ATI est prête à les accueillir et établir avec eux un partenariat gagnant-gagnant pour présenter et commercialiser leurs solutions dans les diverses municipalités. Baladiaty, à titre d’exemple, est une belle histoire d’une startup qui a su développer une application avec ses propres moyens. C’est à travers des projets pareils qu’on peut offrir un avenir meilleur aux jeunes et aux startupeurs.

Sur un autre plan, l’ATI a l’obligation de participer à l’effort national pour encourager l’entrepreneuriat. Dans ce cadre, l’opérateur national de l’Internet œuvre avec ses partenaires à ouvrir les portes aux startupeurs pour qu’ils soient eux-mêmes des créateurs d’emploi. C’est une autre forme d’ouverture sur l’extérieur. Et c’est ce qui va nous distinguer par rapport aux autres entreprises publiques, qui doivent être responsables et capables de créer de la richesse. Notre objectif majeur est de pouvoir développer différemment cette dimension d’une entreprise publique.

Nous voulons aller plus loin pour créer de la richesse dans les zones défavorisées, là où il y a un savoir-faire énorme et incroyable. Ce projet vise à permettre aux jeunes de gagner de l’autonomie et de créer eux-mêmes de la richesse dans leur région.

Vous dites, donc, que tout est prêt et il suffit de passer à l’action pour changer le cours des choses?

Tant que les éléments de base sont disponibles et sont tous mis en place, rien ne peut nous arrêter. Cela ne signifie pas que le chemin était facile ou sans risque, mais nos maîtres-mots étaient la détermination, la persévérance et la volonté de changer les choses. D’ailleurs, tout le travail mené a commencé à porter ses fruits avec la signature, récemment, des deux conventions de partenariat avec des startupeurs.

La dernière en date était un partenariat stratégique avec l’association «Graines d’entrepreneurs». En vertu de cet accord, l’ATI mettra à la disposition des jeunes graines d’entrepreneurs son savoir-faire et ses prestations de qualité en vue de leurs garantir les meilleures conditions pour réussir leurs projets. Dans le cadre de ce partenariat, notre agence s’engage à n’épargner aucun effort pour le soutien et l’accompagnement des jeunes dans leurs processus de création de projets innovants, digitales et créatifs.

Pour la deuxième, il s’agit des deux conventions de partenariats avec deux startup tunisiennes qui sont “District Agency” et “Arsela”. Ces accords ont été signés dans le cadre du projet «Baladiaty.tn». Cette coopération tripartite a pour objectif de développer et activer une plateforme digitale permettant de faciliter la communication entre les municipalités et les citoyens, dans le cadre des activités du projet “Smart City”.

A cet égard, les exemples ne manquent pas pour donner un nouveau souffle à nos jeunes, mais surtout pour encourager la créativité, l’innovation et les idées efficaces qui visent le développement numérique de l’administration et l’octroi des meilleurs services aux citoyens tunisiens. Il suffit de se mettre au travail avec sérieux, de croire en vous et d’avoir l’esprit ouvert. Le reste viendra plus tard.

Propos recueillis par Meriem KHDIMALLAH et Amani BELKAHLA

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