Accueil Economie Supplément Economique Restructuration des banques publiques | Mohamed Imen GALLALI – Professeur en Finance à l’Ecole Supérieure de Commerce de Tunis : La peur de sortir de la zone de confort

Restructuration des banques publiques | Mohamed Imen GALLALI – Professeur en Finance à l’Ecole Supérieure de Commerce de Tunis : La peur de sortir de la zone de confort

Pour améliorer la performance et la solidité financière du système bancaire, la BCT a entamé en 2011, une refonte du secteur. Cependant, en dépit de la réforme engagée, les banques tunisiennes ne remplissent toujours pas la mission qui leur incombe, à savoir le financement de l’économie, et leur écosystème Fintech, demeure peu favorable au développement de l’innovation technologique dans le domaine bancaire. Le professeur en Finance, Mohamed Imen Gallali, nous en parle dans cette interview.

Plusieurs experts affirment que les banques, en Tunisie, ne contribuent pas assez dans le financement de l’économie, notamment dans l’investissement privé. Êtes-vous de cet avis?

Effectivement. Les banques tunisiennes ne remplissent pas suffisamment leur rôle en tant que principale source de financement de l’économie, particulièrement pour les PME qui constituent l’élément central du tissu industriel tunisien et le principal créateur d’emploi. La raison est simple: les banques craignent l’accumulation de nouvelles créances douteuses et donc elles se réfugient beaucoup plus dans le financement de l’immobilier et les crédits aux particuliers. Dans ce schéma, elles ont, en effet, exigé une prime de risque assez élevée avec des taux d’intérêt assez élevés. Leur logique est de maintenir une marge d’intermédiation assez importante, qui permet de satisfaire leurs objectifs, en l’occurrence répondre à leurs exigences d’augmenter les provisions et en même temps de renforcer les fonds propres qui, par le passé, se sont détériorés, compte tenu de la qualité des actifs qu’elles détiennent. Ce qui explique,  en grande partie, leurs résultats obtenus, à savoir une bonne performance financière, mais avec un faible financement de l’économie.

La méfiance des banques, à l’égard des exigences réglementaires, font qu’elles ne jouent pas pleinement leur rôle dans l’allocation efficace de l’épargne ainsi que dans la stimulation de l’investissement privé, principalement à travers le financement des PME. Ceci a fait accroître le coût du crédit bancaire et compliquer le financement des entreprises.

Pour pallier cette insuffisance au niveau du financement de l’économie, les banques sont appelées à renforcer leurs assises financières, ce qui leur permettrait de couvrir les faiblesses actuelles qui sont dues principalement au legs du passé et d’absorber les éventuelles pertes dans le futur. Le lourd héritage qu’elles portent a fait que l’accumulation des créances douteuses, principalement des banques publiques, a joué un rôle important dans toutes les orientations stratégiques des banques tunisiennes.

En 2011, la BCT a entamé une refonte de la gouvernance du système bancaire, qui vise à renforcer les fonctions du contrôle interne et du risque management dans l’objectif “d’une conciliation entre la recherche de la rentabilité financière et la couverture adéquate des risques”. Où en est-on par rapport à cette réforme et comment évaluez-vous le processus suivi ?

La circulaire 2011-06 promulguée par  la Banque Centrale en 2011 traduit la  nouvelle orientation de la BCT, en matière de gouvernance des établissements de crédits en Tunisie. Depuis, neuf ans se sont écoulés et on peut dire qu’on a du recul pour qu’on puisse évaluer le processus entamé. En réalité, on commence à avoir les premiers fruits de cette nouvelle réglementation. La séparation entre la direction générale et le président du conseil d’administration avec l’imposition de la présence d’un  membre indépendant au niveau du conseil d’administration ont sensiblement amélioré la gouvernance des banques tunisiennes, principalement les banques publiques, étant donné que les banques privées savent qu’elles doivent se mettre au diapason des normes internationales en matière de gouvernance. La présence du comité d’audit et du comité de risque permet  d’aller de l’avant dans la bonne gouvernance bancaire. Des équipes travaillent actuellement à généraliser les nouvelles règles de bonne gouvernance aux autres établissements à caractère financier, principalement les assurances, les intermédiaires financiers, et puis pourquoi pas les entreprises publiques. Donc, on peut dire qu’en termes de gouvernance, on est sur la bonne voie.  Pour le contrôle interne qui est un élément lié à la gouvernance, on a commencé, au niveau de la supervision bancaire, à mettre en place un processus interne d’évaluation et d’allocation du capital économique. Cependant, je pense que le contrôle interne est confronté à plusieurs difficultés, essentiellement  en matière de moyens humains permettant d’avoir un bon système de contrôle interne. Certes, on va imposer, à travers les réglementations, ce qu’on appelle des lignes de défense, mais il faut également disposer d’un capital humain qui est à même d’assurer le contrôle à tous les niveaux du système bancaire. La Banque centrale, qui est l’autorité de tutelle, devrait jouer un rôle important pour jauger ce qui est utilisé par les banques. Pour ce faire, elle doit disposer des moyens humains lui  permettant de savoir si les techniques et les outils utilisés pour mesurer un risque ou évaluer un processus donné  sont conformes aux normes internationales. Idem pour les banques. C’est pour cette raison que je pense qu’il y a du pain sur la planche pour perfectionner  le contrôle interne. D’ailleurs le troisième rapport de supervision bancaire annonce qu’on est, seulement, en phase de mise en place du processus. Mais la mise en place du processus doit, à mon sens,  dès le départ, préparer le capital humain requis.

Selon le rapport 2018 de la supervision bancaire, la solidité financière du secteur est en train de s’améliorer. Par quoi s’explique cette amélioration ?

Je ne vais pas parler chiffres mais je vais, plutôt, énumérer les institutions qui respectent les principales règles annoncées par la banque centrale. Pour l’évaluation de la solvabilité,  la BCT propose deux ratios: il s’agit du ratio de couverture des risques  fixé à 10% et le ratio Tiers 1 fixé à 7%. D’après ce qui est annoncé dans le rapport de la supervision bancaire 2018, les deux ratios sont, grosso modo, respectés par les banques même s’il y a des réserves sur la façon de calcul des dénominateurs de ces ratios-là.  Par contre, au niveau du ratio de liquidité, on a l’impression qu’on a des difficultés. On a 7 banques qui ne respectent pas le ratio de liquidité, et  9 banques qui ne respectent pas le ratio crédits sur dépôts. Les proportions des banques qui ne respectent pas les ratios exigés sont importantes.

Ce qui m’amène à revenir sur toute la démarche suivie par la BCT: nous avons proposé un ratio qui est à court terme, sans pour autant exiger le même ratio sur le long terme  qui, selon les normes internationales, doit être respecté  sur un  pied d’égalité que le ratio à court terme.

Le rapport de supervision bancaire a révélé également que les faiblesses au niveau du  dispositif de gestion des risques des banques constituent une des sources de fragilité du système bancaire. Comment?

Ici, c’est la question du capital humain qui revient.   On a l’impression que nos banques sont financièrement performantes, mais on ne sait pas si elles sont assez solides du point de vue gestion des risques financiers ou non. Lors de la mise en place de sa réglementation, la Banque centrale a essayé de basculer entre deux normes internationales, en l’occurrence Bâle II et Bâle III.  Elle a instauré les exigences de la norme Bâle II, composées avec certaines exigences de Bâle III, essentiellement le ratio de liquidité progressif. En effet, la logique d’avoir une politique progressive  n’est pas mauvaise. Mais, en s’inspirant des normes internationales, la BCT a mis en place seulement deux piliers omettant ainsi d’imposer le troisième pilier qui implique la transparence financière. Les deux premiers piliers constituent, respectivement, les exigences que les banques doivent respecter et le rôle de la tutelle. Pour tout ce qui est rôle de la BCT et du ministère des Finances, on ne sait pas s’ils ont les moyens humains nécessaires  pour contrôler toutes les méthodes proposées par les banques pour évaluer les risques. De surcroît, la critique qu’on peut adresser à la Banque centrale, c’est qu’on n’a pas exigé le pilier 3 qui est actuellement obligatoire à l’échelle internationale et  qu’en vertu duquel  les banques devraient présenter un rapport détaillant l’état des lieux en matière de risques. À partir du moment où les banques sont amenées à faire ce rapport, elles sauront leurs lacunes et faire par la suite le benchmarking.

Aussi, nous avons une nouvelle exigence relative au risque du marché qui a été incorporée dans la dernière circulaire 2018. Ici je me demande si nos banques s’exposent, réellement, à de tels risques, étant donné  qu’elles sont sur des activités classiques, à savoir la collecte des dépôts et l’octroi des crédits.

Autre point clé, le classement des actifs en soi qui est proposé par la banque centrale doit être revu. La segmentation de la clientèle en classes doit être plus fine. En Tunisie, on dispose de 4 classes de risques et c’est peu. 

Les startuppeurs bancaires reprochent aux banques un environnement  peu favorable à l’innovation ainsi qu’au développement des Fintech. Pourquoi les banques sont-elles aussi cloîtrées?

La vérité c’est que la façade est bonne. Toutes les banques commencent à annoncer, du moins sur le plan communicationnel, qu’elles commencent à s’associer aux Fintech, qu’elles avancent dans leurs projets de digitalisation. On sent qu’il y a une certaine concurrence entre elles, au niveau de la digitalisation des systèmes. Mais pour le financement et l’ouverture sur les Fintech, on observe qu’il y a une résistance. La culture financière des banques impliquent qu’elles sont dans une logique simple: je mise sur les produits les moins risqués et les plus rentables.  La plupart des startuppeurs trouvent des difficultés à s’associer aux banques. C’est leur caractère prudent qui induit cette résistance.

Actuellement, la nouvelle orientation est l’amélioration de l’inclusion financière qui demeure faible en Tunisie. Certaines mesures ont été engagées, à cet effet. Qu’en pensez-vous?

Je pense que la promulgation de la loi 48-2016, qui permet d’élargir l’éventail des établissements assurant les opérations de paiement à d’autres opérateurs appelés les “établissements de paiement”,  permet aux acteurs financiers de toucher plus de population. Elle reflète  le concept de proximité et aide les institutions financières à atteindre diverses couches et catégories sociales.

 

(Image par Gerd Altmann de Pixabay )

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