Accueil A la une Réaction à la présence du coronavirus dans nos murs : Panique et… indifférence

Réaction à la présence du coronavirus dans nos murs : Panique et… indifférence

A chacun son style de combat. Etat des lieux.

Ça y est, les Tunisiens se sont installés, de plain-pied, dans la lutte, devenue une cause nationale, contre le coronavirus. Il y a quelques semaines pourtant, ils s’en foutaient pas mal en suivant, tantôt impressionnés, tantôt indifférents, la propagation de l’épidémie dans le monde. «Aujourd’hui que le coronavirus s’est installé dans nos murs, plus de rigolade, plus de je-m’en- foutisme», concède un instituteur qui affirme être engagé, corps et âme, dans les campagnes de prévention menées par l’Etat. «J’ai peur aussi bien pour mes élèves que pour les membres de ma famille», soupire-t-il, en mettant l’accent sur «la nécessité, pour tout le monde, d’appliquer les consignes de prudence, afin d’éviter le risque d’une contamination».

Alerte XXL

Manel, étudiante, s’en méfie, elle aussi. «J’ai, confie-t-elle, pris toutes les précautions d’usage. C’est ainsi que j’ai boycotté les rassemblements à la fac, réduit mes sorties, tout en utilisant mouchoirs trempés d’eau et lingettes stérilisées, alors qu’à la maison, ma mère, la plus inquiète d’entre nous, ne cesse de rincer tout ce qu’elle achète chez l’épicier du coin et dans les grandes surfaces».

Habib, employé des PTT, n’est pas en reste. Pour lui, en effet, «rien n’est plus comme avant. Plus question d’embrassades, stop à la bouffe dans les rôtisseries que je fréquentais tous les jours. Bref, ou le coronavirus, ou moi». La détermination de notre interlocuteur n’est rien devant celle de Habiba, fonctionnaire dans une municipalité qui a… pulvérisé tous les seuils de la prévention.

En effet, les habitués de la mairie ont tous constaté, non sans surprise que, tout près  d’elle derrière le guichet de l’Etat Civil, se trouvent des paquets de mouchoirs de poche, des bouteilles de gel pour le corps et les mains, des sachets de savon et autres produits désinfectants à base de potassium, huile végétale, eau, sulfate de sodium, laureyth… Bref, une «pharmacie ambulante» dont elle semble incapable de se séparer.

Non contente d’être à la tête de ce bazar qu’elle gère avec une étonnante aisance, Habiba précise qu’elle n’entame jamais son boulot sans être munie de ses gants qu’elle enlèvera dès son retour à la maison. «Vous savez, indique-t-elle, mon travail exige que je reçoive, chaque jour, des dizaines et parfois même des centaines de documents pour les formalités de la légalisation de signature et de la copie conforme. Cela, outre le fait qu’il y a paiement des frais pour ces documents. Avec ce calvaire quotidien, des plus fatigants, on n’est pas à l’abri d’une contamination. Et si vous trouvez que j’exagère, venez prendre ma place pour comprendre l’ampleur de l’angoisse qui nous terrorise ici».

Ce qu’on appelle laconiquement «l’alerte XXL» ! Loin de l’exemple inouï de cette dame, la prise de conscience des Tunisiens face à l’avancée du coronavirus est de plus en plus frappante. D’abord, dans les administrations où des fonctionnaires  portent le masque de protection, alors que d’autres n’hésitent pas, de temps à autre, à se vaporiser de désinfectant. Ensuite, dans les transports publics. Certes, ce secteur n’a presque rien perdu de sa forte sollicitation par la population. Mais il n’est plus rare de voir, à bord des bus, des trains et du métro, des usagers méfiants, qui portant le masque, qui énervés par la bousculade, qui, encore sursautant à la moindre… toux alors qu’un taxiste sur trois utilise désormais des gants.

Ceux-ci sont aujourd’hui à la mode. A telle enseigne qu’un pharmacien révèle que les commandes en la matière ont effectué un superbe bon de 150% ! L’effervescence populaire engendrée par le coronavirus n’a pas, non plus, épargné les grandes surfaces où l’affluence a presque doublé, selon le caissier d’un supermarché de la place. La raison ? Eh bien, il  s’avère que les Tunisiens redoutent  la sombre perspective d’une… mise en quarantaine de villes infectées, comme cela se passe aujourd’hui dans plusieurs pays sinistrés. Une dame de 52 ans s’explique. «Je continue, reconnaît-elle, de m’approvisionner en denrées alimentaires et autres produits de consommation afin de constituer mon stock de sécurité. Sait-on jamais». D’autres citoyens le font, sans doute de crainte d’une éventuelle pénurie qui pourrait être causée par «les champions de la spéculation et de la contrebande», ceux qui sont prompts à sauter sur la première aubaine de ce genre pour contrôler le marché à leur guise et selon leur humeur du jour !

On ne vit qu’une fois…

Comble du paradoxe, on compte aussi des Tunisiens qui n’en ont cure. Loin d’être effrayés par ce «séisme» qui a ébranlé le pays, ils arborent un sourire moqueur dès que vous leur citez le nom du coronavirus. Zen et décontractés, on dirait qu’ils vivent sur une autre planète. «Coronavirus? Et alors?», s’exclame, en riant l’un d’eux. Avant d’ajouter, rêveur : «on ne peut pas vivre avec la peur de cette épidémie. Il vaudrait mieux donc mourir en s’amusant que mourir en souffrant».  Un autre «je-m’en-foutiste» enchaîne : «N’oubliez pas, souligne-t-il, que le coronavirus est beaucoup moins mortel que la grippe et autres maladies facilement transmissibles avec lesquelles on vit tous les jours. Alors de grâce, cessons de dramatiser les choses». Et pour mieux passer son message optimiste, notre interlocuteur assure, l’air encore plus gai, qu’il n’a pas changé d’un iota son programme quotidien habituel, en continuant, assure-t-il, de fréquenter cafés, bars et restaurants avec le même plaisir et la même fidélité.

Par ailleurs, l’indifférence face à l’épidémie est également remarquable auprès de la frange de population indéfectiblement attachée à la religion. «Dieu merci, lance un habitué des mosquées, nous sommes naturellement vaccinés contre ce virus, dans la mesure où nous appliquons scrupuleusement les conditions des cinq prières qui sont basées, comme on le sait, sur «Aloudhou», une thérapie d’assainissement du corps de haut en bas, qui n’a pas son pareil en matière de protection contre virus et microbes». Même son de cloche dans les milieux du banditisme où délinquants et autres repris de justice notoires semblent encore à des années-lumière de l’actualité !

En effet, pour eux, rien n’a changé tant qu’il y a des proies plumer ou braquer, des maisons et édifices publics à cambrioler, des bars à servir des boissons alcoolisées et des… dealers à commercialiser des stupéfiants.

Inconscients et aventuriers de nature, ils sont persuadés qu’avec ou sans le coronavirus, la vie continue et le soleil se lèvera toujours à l’Est. H.M, originaire de Jebel Lahmar, en parle. «Le coronavirus, ironise-t-il, ne me fait pas  rire. Moi, je n’ai rien à foutre ici. Avec la moitié de ma vie passée en prison, vous pensez vraiment que je deviens, un jour, utile à la société. Non, vous rêvez, monsieur».

Sans commentaire.

Mohsen ZRIBI

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