Accueil Culture Des artistes au temps du corona: «L’humanité tout entière ne verra plus les choses de la même manière…»

Des artistes au temps du corona: «L’humanité tout entière ne verra plus les choses de la même manière…»


Le coronavirus et la culture ? Le confinement et l’art font-ils bon ménage? Distanciation sociale, isolement et création ? Nous avons adressé virtuellement (confinement oblige) une série de questions (les mêmes ou presque) à des artistes et autres intellectuels de différents univers. Tous et toutes ont pris le temps de la réflexion…


La comédienne, danseuse et chorégraphe Amira Chebli s’est prêtée au jeu des questions-réponses. Le grand public a pu la (re)découvrir, l’année dernière, grâce à son personnage Habiba dans l’excellent feuilleton ramadanesque signé Abdelhamid Bouchnak «Nouba». Bien avant, la jeune femme avait collaboré dans d’autres productions télévisées, à l’instar de «Pour les beaux yeux de Catherine» de Hamadi Arafa. Cette diplômée de l’Institut supérieur des Beaux-arts de Tunis évolue, également, au théâtre et au cinéma où elle a pris part, entre autres, aux films «Dans la peau» de Jilani Saâdi (2015) et «Tunis by night» d’Elyes Baccar

Comment se passe votre confinement ?

Mon confinement se passe comme pour la plupart des gens; de manière intense. Malgré le vide et la limite du potentiel d’un espace intérieur, je découvre une infinité de choses à faire et de possibilités. Malgré le fait d’être déjà casanière, l’être par contrainte change la donne. Je passe le confinement chez ma famille, donc c’est beaucoup de partage, d’échange et de tentative de maintenir le moral du groupe élevé et plein d’espoir. C’est aussi difficile par moments car qui dit cohabitation dit tension, et c’est normal. Il faut également, bien entendu, passer par la case, crise existentielle et observation de cette situation inédite.

Du positif dans cela ?

Pour ma part, je pense que oui. Il y a un retour à l’essentiel. Puis on finit par trouver une façon d’organiser ses journées, nous organiser nous-mêmes. Le confinement nous oblige à faire face à nos humeurs, notre nature, à trouver une manière de passer le temps. Je ne suis pas dans une frénésie productive. Mais j’essaie comme je peux de méditer quotidiennement, faire du yoga, cuisiner, tout ça en dehors des heures de ménage, cuisine et désinfection bien entendu.

Une œuvre en particulier qui vous vient à l’esprit en pensant au coronavirus ?

Plusieurs œuvres et plusieurs disciplines artistiques.

Mais le film qui me revient à l’esprit sans cesse, c’est «Underground» d’Emir Kusturica qui raconte, entre autres, la vie de plusieurs personnes (réfugiés/prisonniers) dans une cave pendant la Seconde Guerre mondiale. Ils y restent pendant plusieurs années à cohabiter, à fabriquer des armes, certains meurent, certains perdent la tête et d’autres en profitent pour les maintenir prisonniers et fabriquer des armes, jusqu’à oublier ce que c’est vivre dehors. Ce qui me ramène à ce film, c’est la violence, la mort, les doutes pendant l’enfermement, mais aussi tout le côté burlesque et surréaliste de la vie de ses personnages «confinés» autrement et l’humour noir sans limites dans les situations les plus tragiques. Je vois que beaucoup d’entre nous gèrent les choses de manière similaire.

Ce virus vous inspire-t-il ?

Oui et non. Il me charge d’inspiration pour la suite, je pense, enfin, j’espère. Il me donne d’autres envies artistiques, de disciplines que je ne pratique et ne maîtrise pas (la musique et le chant en l’occurrence). Mais je n’arrive pas à me concentrer pour finir le développement de mon film que j’ai commencé à écrire bien avant la pandémie. Ou par exemple reprendre mes partitions de personnages que j’ai commencé à préparer avant l’apparition du Covid-19, des projets dont les tournages ou les répétitions ont été interrompus à cause de la situation actuelle.

L’après-corona, comment vous le voyez ?

Il est certain pour moi que la vie ne sera plus la même. Notre rapport à l’espace public et extérieur de manière générale va beaucoup changer. Nos rapports les uns aux autres aussi. Je pense que les gens mettront du temps avant de se resserrer les mains ou de se prendre les uns dans les bras des autres. Ou l’extrême opposé.

Je suis contente de ressentir cet appétit de sortir profiter de la nature, faire la fête avec les amis. Ravie de ne plus me sentir blasée de ses choses qui, il y a quelques semaines, me semblaient banales et évidentes. Je pense aussi que dans l’après-Covid-19, ma définition des premières nécessités ne sera plus la même non plus.

Je pense qu’il y aura une grande vague de créativité comme pour presque toutes les grandes crises précédentes. A mon sens, en dépit des ravages que ce virus cause, l’humanité tout entière ne verra plus les choses de la même manière et retrouvera son sens de l’éblouissement, de la surprise, de la reconnaissance et cessera de penser que l’humain est au-dessus de tout, et qu’il est à bout de ses avancées scientifiques. J’espère que dans l’après-Covid-19, nous respecterons plus la nature et lui serons un peu plus reconnaissants.

Des lectures, films, spectacles ou autres à nous proposer ?

Côté series je propose “Years and Years”, “Chernobyl”, “Dark”, “See”, “The handmaid’s tale” et “The Young Pope/The New Pope”.

“La Grande Bellezza» de Sorrentino, «La vie est belle» de Roberto Benigni, «Un prophète» de Jacques Audiard et «Breaking the waves» de Lars von Trier qui sont des films à (re)découvrir en ces temps de confinement.

Je conseille comme spectacles les œuvres de danse (accessibles sur internet) de Pina Bausch, de Kostas Papaïoannou, de Anne Teresa De Keersmaeker.

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