Probable dissolution de l’Union européenne, repli des États-nations, remise en question de certains modes de gouvernance en Afrique ou encore enfoncement dans les limbes de l’angoisse, la crise du coronavirus semble avoir balisé le terrain devant de profondes mutations politiques, économiques et sociales.
La presse internationale et certains analystes donnent à lire et à voir des schémas divers, voire souvent perplexes.
S’attardant sur ces pistes de réflexion, La Presse a approché le géopoliticien français et expert de l’Afrique subsaharienne Michel Galy.
De l’avis de certains analystes, la crise du coronavirus serait porteuse de bouleversements géopolitiques majeures. Qu’en pensez-vous ?
De l’avis général, le virus vient de Chine. Ce géant asiatique pourrait, alors, en profiter dans la mesure où il a été le premier à expérimenter cette épidémie rapidement devenue pandémie, affectant le monde entier.
Cela étant, du point de vue économique, si le virus a pris de court les chancelleries européennes, mettant à l’arrêt usines et autres chaînes de production, il pourrait constituer une opportunité pour la Chine. C’est que cette usine du monde dont dépendent plusieurs secteurs de l’économie mondiale aurait finalement retrouvé le chemin d’une performante relance économique.
Pour ce qui est de l’Union européenne qui s’est montrée aux abonnés absents des solutions à la crise sanitaire du Covid-19 (coronavirus), je pense que ce fléau ferait derechef voler en éclats l’espoir d’une communauté économique européenne solidaire et interactive. D’autant plus que le programme d’aide récemment annoncé par les ministres des Finances de l’Eurogroupe semble être décidé tardivement, face au repli des États nationaux et à l’effondrement des échelons supranationaux.
Comment le continent africain, une fois parvenu à surmonter ce fléau, peut-il tirer profit de cette crise et d’un éventuel nouvel ordre mondial ?
Une chose est sûre aujourd’hui, les chefs d’État africains, autrefois voyageant en Europe et sollicitant d’autres pays occidentaux pour bénéficier de prestations médicales pointues, ne vont pas pouvoir procéder de la même manière aujourd’hui.
Même s’ils feront des tentatives, les portes – confinement et mesures drastiques obligent – leur seraient fermées.
Dès lors, ils vont finalement se rendre compte de l’insuffisance et de la fragilité des infrastructures dans leurs pays respectifs, et de là, de la nécessité de revoir certains modes de gouvernance.
Autrement, en cas de débordement dans l’espace subsaharien, s’il est par miracle épargné, il faut s’attendre à des manifestations généralisées, surtout après les réactions antieuropéennes xénophobes suscitées par certains avis sur l’essai clinique du vaccin.
Par ailleurs, la France a prévu un plan d’aide d’urgence au profit de certains pays subsahariens, incluant hôpitaux, médicaments et autres aides. La question sera alors de savoir s’il y aura une nouvelle relance de ce qui est communément appelé Françafrique.
Cette nouvelle crise semble révéler aux sociétés modernes des enseignements sur elles-mêmes. Autrement dit, elle saurait les défaire d’une croyance naïve dans le progrès et remettrait en cause l’homogénéisation du globe. Quelles en seraient les conséquences, selon vous ?
Le scénario catastrophe le plus probable fait penser à un cuisant échec de la mondialisation. Sinon, bien des questions aujourd’hui posées ou abordées ne l’auraient pas été en temps normal. Ces questions donnent à lire : « Quel rapport entretient-on avec l’autre, dans l’acception la plus large du terme (autre) ? Ou encore : « Est-on bien préparé, de part et d’autre dans le monde, aux situations d’urgence, à petite comme à grande échelle, aussi bien sur le plan individuel que collectif » ?
Il y a une décennie ou presque, on a déjà écrit des rapports dans ce sens et on a posé les questions qui devaient être posées sur les effets pervers de cette mondialisation. Des effets pervers qui s’avèrent nettement repérables, quand on observe l’inquiétante mobilité du virus ayant pour vrai corollaire l’interconnexion d’un monde devenu comme un petit village, grâce au progrès technologique.
Entre experts qui donnent des instructions pour prévenir la contagion et analystes qui préfigurent une apocalypse inéluctable, l’homme, incapable de comprendre la nature et l’étendue de la menace, se noie souvent dans les limbes de l’angoisse. Quels moyens de résilience, d’après-vous ?
Le confinement, la fermeture des écoles et des universités et le recroquevillement des individus seraient des facteurs qui jouent en faveur de certains traumatismes psychiques. Les plus affectés seraient les personnes nanties et les catégories vulnérables.
D’ailleurs, nombreux sont ceux qui ont ou auraient recours à la religion pour y trouver refuge. Cela ne fait que renvoyer à la fragilité de l’être humain, rendue claire et visible dès lors qu’il est confronté à une menace sournoise. Pour les humains, en Chine comme au Canada ou encore au Mali, le train de vie habituel n’existe plus. Il devient donc presque impératif de trouver des solutions, de repenser le mode de vie et de réinventer le quotidien. L’Homme avec grand H n’a jamais eu autant besoin de repenser sa relation avec la planète et le milieu naturel où il vit. Respect de l’environnement, rationalisation de l’urbanisation, lutte contre la déforestation, éducation et santé seraient les mots capitaux et les principes directeurs d’un monde à redessiner et d’une civilisation humaine à rationaliser autant que faire se peut.
Mettant en garde contre « une dangereuse cage médiatique », l’OMS a appelé à ne pas succomber à la panique. Or les tendances de la presse mondiale donnent à lire le contraire. Étant donné que cette même panique a largement contribué à la Seconde Guerre mondiale, peut-on aujourd’hui parler d’une ambiance d’avant-guerre, une guerre qui sera d’une tout autre nature cette fois-ci ?
Je dirais plutôt un rééquilibrage. Compte tenu des centaines de milliers de victimes aux États-Unis, mais aussi en Chine, j’éloignerai l’idée d’agissements malsains sur fond de conspirations. Car la crise a touché tout le globe et tout instigateur, si instigateur il y a, serait le premier affecté.
La théorie du complot, je n’y crois pas trop dans ce cas de figure. Qui va déclencher une pandémie dont il aura été la première victime ?
Tout comme ces dernières décennies, il y aura des conflits soft, voire plus soft. A bien des égards, le monde occidental industrialisé subira bien des transformations, internet et nouveaux moyens de communication à l’appui.
Par-delà, un arrêt sur la nature des relations liant les grandes puissances n’est pas à exclure. Et les jours et mois à venir nous en diront plus.