Ghalia Ben Ali à La Presse: «Tout d’un coup, on est maître de son temps !»


Chanteuse, danseuse et actrice tunisienne, Ghalia Ben Ali vit en Belgique. Née à Bruxelles, elle grandit dans le sud de la Tunisie, puis revient s’installer dans la capitale belge pour étudier les Arts graphiques. En musique, elle mélange les styles, établit des connexions entre différentes cultures. Dans cet entretien elle nous parle de sa manière de vivre le confinement et des leçons qu’elle en tire.

Comment vivez- vous votre confinement en Belgique ?

De par mon métier, je voyage beaucoup donc dès mon retour en Belgique, je me retrouve dans un champ de confinement chez moi. Le simple retour en Belgique me permet de retrouver mes enfants et surtout l’endroit où je réfléchis et où j’écris mes chansons. C’est une sorte de laboratoire où je m’enferme pour vivre avec mes créations. D’ailleurs, dans les conditions normales, j’éprouve le besoin de me confiner deux fois par an, une sorte de retraite. J’avoue que dernièrement, j’ai eu beaucoup de mal à prendre du temps pour moi et c’était urgent de le faire. Lorsque cette pandémie est survenue et que le monde a été obligé de se confiner, il s’est passé quelque chose de très positif pour moi (sans négliger le côté terrifiant de ce virus et ses conséquences tragiques), c’est que cela m’a permis d’être beaucoup plus proche de mes enfants . Ce confinement nous a permis de constater qu’on s’est beaucoup éloignés des vraies valeurs de la vie et des relations humaines. On passe notre temps à courir le marathon de la vie et on n’a plus le temps de savourer certaines choses. C’est un état qui me convient très bien… J’avais beaucoup de choses en suspens que j’ai finalement reprises.

Quelles sont les leçons que vous avez tirées de cette pandémie ?

Je viens d’une ville du Sud tunisien où les femmes vivaient une sorte de confinement de par les mentalités et les traditions. Nous avons supporté tout cela sans râler. Aujourd’hui, tout d’un coup, il nous est donné de revivre cet état des lieux pour qu’on prenne en considération une autre dimension du temps qui nous permet d’assimiler les choses. Je pense que cette pandémie a remis à la surface certains aspects de la nature humaine qu’on a perdus. J’espère que les gens vont saisir le message qui nous est transmis par cette «pause» dans notre course… Finalement, on comprend qu’on est en train de courir à une vitesse supérieure à notre nature. C’est le moment de redescendre un peu vers notre nature, vers quelque chose de plus important et de plus fondamental qui est notre humanité sans fioritures.

Après la Seconde Guerre mondiale, nous avons assisté à la naissance de nouveaux courants de pensée et de nouvelles formes artistiques. Pensez-vous que ça sera le cas après le corona ?

Certainement ! Et ça serait triste que cela ne génère pas un nouvel apport pour la pensée humaine. Cette pandémie est un choc énorme et c’est dans ces conditions que la créativité peut se régénérer et enrichir ses sources. Je pense qu’il n’y a rien qui existe et qui ne soit pas en nous. Et si on s’assoit un petit peu avec nous-mêmes, on peut voir l’univers autrement. J’ai aussi cette sensation que tout d’un coup, on est maître de son temps ! Et maintenant que les aiguilles de la montre s’arrêtent, que peut-on faire ? Et souvent, on est devant cette feuille blanche avec toute la hantise qu’elle nous inspire ! Mais à mon sens, il ne faut pas avoir peur, car on finit par se trouver.

Est-ce que cette période vous inspire sur le plan de la création ?

Ça me laisse beaucoup de temps pour asseoir des choses qui étaient déjà là. Mais j’étais aussi agréablement surprise de voir que ce que je faisais avant était convaincant à mes yeux. Ça m’a confirmé que ce pourquoi je me suis battue valait le coup. Quand je parle du «Wasl» qui n’est pas particulièrement physique mais spirituel et qu’on est un peu dans cette spiritualité, cela me sauve quand je suis dans ce confinement. Toute l’attitude que j’ai eue durant toutes ces années m’aide aujourd’hui à être bien dans mon confinement.

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