Peu d’auteurs arabes ont traité des épidémies dans leurs films, après le film de Taoufik Salah «La lutte des héros», nous nous penchons aujourd’hui sur le film «Le sixième jour» de Youssef Chahine sorti en 1986. Pourquoi au fait parler de ces films aujourd’hui ? Non seulement parce qu’ils sont d’une grande actualité, mais aussi parce que bientôt nous serons confrontés à une nouvelle vague de films arabes post-Covid-19 et cela ne peut qu’affiner notre réception des nouveaux regards posés sur la pandémie.
Sorti en 1986 et adapté du livre d’Andrée Chedid paru en 1960 (également co-scénariste), le film a pour interprètes principaux Dalida (dans le rôle de Saddika), Maher Ibrahim et Mohsen Mohied. Le sixième jour est aussi le titre de la chanson du film, chantée par Dalida et sortie en 1986.
En voici le synopsis : «1947. Les Anglais occupent l’Egypte, ravagée par le choléra. Saddika, une blanchisseuse d’une quarantaine d’années, vit dans un quartier pauvre du Caire avec Hassan, son petit-fils, et Saïd, son mari paralysé. Pour oublier sa misère quotidienne, elle fréquente les salles de cinéma. Hassan lui présente Okka, un montreur de singes qui rêve de devenir une vedette du cinéma. Okka ne tarde pas à s’intéresser à Saddika, qui le repousse. Lorsque Hassan est à son tour contaminé par l’épidémie qui fait rage, elle décide de partir avec lui pour Alexandrie, dans l’attente du sixième jour, généralement fatal aux cholériques…».
Un film qui nous plonge dans une Alexandrie de 1947 où sévissait une épidémie de choléra. La population est très pauvre. Certains habitants n’hésitent pas à dénoncer les victimes de cette épidémie moyennant une somme d’argent.
Un lien très fort qui unit cette grand-mère (Saddika) à son petit-fils. Une grand-mère qui a oublié d’être femme pour cet enfant qui n’a pas eu le temps de voir la mer. «Il a fait nuit sur ses paupières avant que le bateau n’arrive, le sixième jour tout s’est arrêté, quand le soleil s’est levé» comme chante Dalida dans la chanson inspirée du film.
Un personnage féminin très fort et comme l’a dit Chahine lui-même «C’est un rôle excessivement ingrat… C’est une femme qui ne peut plus ouvrir le cœur à force d’être trahie… Est-ce qu’elle peut un jour l’ouvrir ou non ?». Mais voici qu’une pandémie arrive et qui va lui apprendre à changer, à sortir de ses gonds. Parce que dans la réflexion de Chahine, cette pandémie entraîne une libération puisque finalement, femme engoncée dans un quotidien morne tente de sauver son petit-fils et de quitter son mari qui l’a trahi pour prendre un bateau, descendre le Nil et emmener l’enfant vers une mer purificatrice. L’expérience de la mort fait réfléchir les vivants et ce film, en nous racontant cette histoire, nous met face à ce constat. D’ailleurs, l’auteure syrio-libanaise du roman, André Chedid célèbre toujours la vie mais en soulignant sa précarité. Le film est d’une grande actualité dans la mesure où il souligne le fait que les familles cachaient leurs malades et leurs morts de peur que ceux-ci ne soient emportés par les autorités.
Dans «Le sixième jour», les personnages de Chahine, tout comme dans «Eskandaria Kamen» ou «Eskandaria New York», sont attachés au cinéma. En fait, le cinéma influence sur leur vie et sur leur perception du monde. Saddika fréquente une salle de cinéma tenue par un personnage joué par Youssef Chahine et qui représenterait le juif errant responsable de tous ces malheurs. Quand à Okka, il rêve de devenir une star de cinéma à la manière hollywoodienne…
Rappelons qu’en 1947, le choléra sévissait dans le monde arabe, mais il n’y a eu que l’Egypte qui l’a annoncé et qui a fait face à cette pandémie de manière drastique et courageuse, alors que des pays comme l’Irak et l’Arabie saoudite ont étouffé toute information relative au choléra sur leurs terres.
Dans un entretien donné à Serge Daney dans l’émission «Microfilms», Dalida racontait le parcours de Saddika, qui, de «mère sacrifice», redevenait une femme. «C’est la première fois que Chahine donne tellement d’importance à la femme dans un film, qu’il se penche sur le problème féminin et la libération de la femme dans ce pays d’Egypte des années 40», a-t-elle dit.
Elle disait combien son expérience personnelle de la psychanalyse l’avait aidée pour construire son rôle : «La psychanalyse, en ce qui me concerne, je crois que c’est mon petit dada. Elle a été mon petit dada depuis fort longtemps, depuis 1972, quand j’ai commencé à faire une psychanalyse moi-même. La chose la plus belle est la connaissance de soi parce que c’est la seule façon de devenir tolérant et indulgent vis à vis des autres. (…) La psychanalyse m’a beaucoup aidée pour ce film, pour comprendre en profondeur le personnage».