Alors que l’Europe a remis sur la table la question de la relocalisation de certaines industries stratégiques et l’orientation vers plus de politique de voisinage, la Tunisie devrait se démener pour trouver sa place après ce remue-ménage en vue.
Depuis que l’épidémie a frappé la Chine, le monde entier retenait son souffle. L’interruption et la perturbation des chaînes d’approvisionnement étaient le scénario le plus effrayant pour les économies des pays à haut revenu. Pris au piège de la dépendance à la production chinoise même dans des secteurs vitaux et stratégiques, en l’occurrence l’industrie pharmaceutique, les pays développés se sentaient isolés et sans marge de manœuvre. La zone européenne était parmi les régions les plus touchées par la mise sous cloche de la Chine. Ainsi, le débat sur la relocalisation des unités de production, notamment dans des secteurs stratégiques à l’instar de l’industrie pharmaceutique, a été lancé dans les médias. Les Européens ont remis sur la table la question de la remodélisation des chaînes d’approvisionnement. Peut-on, alors, craindre des opérations de délocalisation en cascade en Tunisie, une fois la crise du coronavirus passée ?
L’Afrique du Nord n’utilise jamais la sous-traitance comme moyen de pression
Par rapport à cette question, l’économiste Abderrazak Zouari était plutôt optimiste. « Je ne pense pas qu’il y aura des délocalisations des sociétés étrangères en Tunisie. Je crois qu’il y aura une relocalisation par les Européens des secteurs stratégiques, parce que la Chine a joué avec ça », a-t-il souligné lors d’un débat en ligne, organisé par l’association Atuge et qui portait sur les répercussions économiques de la crise du Covid-19. Il a ajouté, dans ce même contexte, que l’Europe s’est rendue compte que la délocalisation de l’industrie pharmaceutique, qui a été opérée en Chine et en Inde, n’était pas une bonne décision. Cependant, il estime que la relocalisation à laquelle pensent les Européens est conditionnée par la compétitivité, ce dont sont dotés les pays nord-africains, notamment la Tunisie. « La seule manière qui permet à l’Europe de relocaliser avec les mêmes gains de compétitivité, c’est de relocaliser en Afrique du Nord. Je pense qu’il y a une occasion en or parce que l’Europe sait que l’Afrique du Nord n’utilise jamais cette production comme moyen de pression », a-t-il souligné. L’avis de l’économiste peut être bien corroboré par la déclaration de l’ambassadeur de l’Union européenne à Tunis, Patrice Bergamini, qui a souligné, dans une intervention lors d’une conférence en ligne portant sur les relations tuniso-européennes après le Covid-19, que « la crise du coronavirus a révélé qu’il faut continuer de travailler ensemble (la Tunisie et l’Europe) sur la sécurité globale. Il ne s’agit pas seulement de la lutte antiterroriste. Mais il s’agit également de la sécurité sanitaire et alimentaire. C’est plus facile d’importer et d’exporter des produits alimentaires ou des médicaments, lorsqu’on est à quelques centaines de kilomètres que lorsqu’on est à plusieurs milliers de kilomètres ».
C’est dans cette perspective que la crise du coronavirus, que l’on pense menacer la mondialisation, constitue une opportunité et un nouvel horizon d’investissement pour la Tunisie.
Les préalables d’une politique de voisinage approfondie réussie
Lors d’une visioconférence organisée par le Laboratoire d’intégration économique internationale en collaboration avec la Fondation Friedrich Naumann pour la liberté portant sur les opportunités pour la Tunisie dans une réorganisation des chaînes de valeurs mondiales après le Covid-19, Fatma Marrakchi Charfi, professeure universitaire et directrice du Laboratoire d’intégration économique internationale, a expliqué que le débat sur le « rapprochement des sources d’approvisionnement de certaines industries et de certains services » a été lancé. Des secteurs tels que l’agroalimentaire et l’industrie pharmaceutique peuvent profiter de cette nouvelle réorganisation au niveau des chaînes de valeur mondiales, « à condition que certains préalables soient satisfaits ». Pour l’universitaire, il est indispensable de « travailler sur la politique de développement de la logistique ».
Si tout le monde s’accorde sur le fait que la proximité géographique de la Tunisie avec l’Europe constitue un grand atout, il faut néanmoins penser les mécanismes et les moyens de son exploitation. Certains experts considèrent même que la politique de voisinage, notamment Sud, adoptée par l’Union européenne sera renforcée dans la période à venir. Et c’est de facto qu’elle doit faire office d’un principal axe de relance pour la Tunisie après le Covid-19. D’ailleurs, c’est ce qu’a affirmé l’ambassadeur de l’Union européenne, au sujet des relations tuniso-européenne post-coronavirus: « Je suis convaincu que l’avenir de l’Europe est au Sud de la Méditerranée, dans ce voisinage. Mais au même titre que l’avenir du Maghreb, en particulier la Tunisie, qui se joue aussi au Nord », a-t-il précisé.
Par quels moyens peut-on activer ces politiques de relocalisation et les mettre au profit de l’économie tunisienne ? Une des pistes exploitées par l’ancien ministre des Finances, Elyès Jouini, est le déploiement de la diplomatie économique et la mise en place de couples de hauts responsables dans la coopération industrielle et technologique entre la Tunisie et les pays partenaires, qui s’attelleront à travailler au jour le jour sur les possibilités de relocalisation des unités industrielles en Tunisie.
Mais si la Tunisie pense sérieusement à l’exploitation de cette opportunité « en or », elle doit se pencher sur une refonte du secteur de la logistique afin d’y développer l’infrastructure, notamment portuaire. En un mot, elle doit repenser un modèle logistique qui accroche les IDE.