Le recours excessif aux motions ces derniers temps et la nature de certaines d’entre elles ne font que renforcer le doute sur les réelles intentions d’une frange de nos parlementaires. A l’hémicycle, c’est plutôt le « je t’aime, moi non plus » qui prévaut sur le plan relationnel. Le rejet de la motion présentée par la coalition parlementaire Al Karama exigeant des excuses de la part de la France ainsi que de la motion du bloc parlementaire du Parti destourien libre (PDL) portant sur le refus de toute ingérence étrangère en Libye s’apparenterait plutôt à une guerre de positions par motions interposées qui ne font que ternir l’image du pays et impacter l’unité nationale.
En février 2015, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a adopté, lors d’une séance plénière, son projet de règlement intérieur à une majorité de 165 voix (20 abstentions). Point n’est besoin de dire donc que le consensus autour de ce règlement ne souffrait aucun doute. Cela s’expliquait par le paysage politique d’alors marqué notamment par la prédominance de Nida Tounès et d’Ennahdha. Mais les résultats des législatives de 2019 ayant permis la montée en lice de partis qualifiés de « populistes » et « antisystème » et le retour « revanchard » des destouriens ont fait que l’ARP traverse aujourd’hui une zone de turbulences.
Appels à la modification du règlement intérieur?
En quelques mois, l’hémicycle n’offrait plus qu’une série de spectacles désolants sur fond d’échanges d’accusations, invectives et même d’insultes à titre posthume à l’égard du leader Bourguiba. Les motions sont devenues le mode opératoire de prédilection pour certains blocs populistes au point qu’il est aujourd’hui question d’amender le règlement intérieur de l’ARP.
Selon l’article 141 de ce règlement, « chaque président de bloc à l’Assemblée des représentants du peuple peut présenter une motion pour en discuter et l’adopter en séance plénière de l’Assemblée, dans le but d’annoncer une position concernant un sujet unique, à condition que le contenu de la motion ne concerne pas l’une des motions régies par le règlement intérieur ».
La motion est par la suite présentée à la présidence de l’ARP qui se charge d’informer la présidence de la République et la présidence du gouvernement dans l’immédiat.
Une réunion des présidents de bloc se tient dans un délai d’une semaine à compter de la date de son dépôt, et ce, pour examiner la possibilité de sa révision. La motion est soumise à la discussion et l’adoption en séance plénière sans passer par les commissions, dans un délai ne dépassant pas un mois à compter de la date de son dépôt. La séance plénière adopte le projet de motion à la majorité absolue de ses membres. Les motions adoptées sont publiées au Journal officiel de la République Tunisienne.
Le recours excessif aux motions ces derniers temps et la nature de certaines d’entre elles ne font que renforcer le doute autour des réelles intentions d’une frange de nos parlementaires. Au parlement, c’est plutôt le « je t’aime, moi non plus » qui prévaut sur le plan relationnel. Le rejet de la motion présentée par la coalition parlementaire Al Karama exigeant des excuses de la part de la France ainsi que de la motion du bloc parlementaire du Parti destourien libre (PDL) portant sur le refus de toute ingérence étrangère en Libye s’apparenterait plutôt à une guerre de positions par motions interposées qui ne font que ternir l’image du pays et impacter l’unité nationale.
Du coup, le besoin de modifier l’article 141 du règlement intérieur est sur les langues de plusieurs députés qui tentent tant bien que mal de sortir de la zone de turbulences, ce qui posera inéluctablement problème et ne sera pas un exercice facile, notent certains constitutionnalistes, comme ce fut le cas pour le vote de la proposition d’amendement de l’article 45 du règlement intérieur de l’ARP jugé inconstitutionnel par la professeure de droit constitutionnel Salsabil Klibi. Elle a mis en garde contre les conséquences de l’adoption de tels amendements. Seule la Cour constitutionnelle est habilitée à déterminer la constitutionnalité ou non d’un projet d’amendement, a-t-elle souligné dans une déclaration à l’agence TAP. Et de conclure que « sanctionner un député en lui faisant perdre sa qualité ne peut encourager à la démocratie au sein des partis politiques. Mieux encore, cette sanction pourrait devenir un moyen de chantage ou d’imposer des positions du parti politique même si celles-ci s’opposent aux convictions du député ».
Ce débat à l’hémicycle n’a pas pour autant endigué les manœuvres de certains blocs dont le groupe du Parti destourien libre (PDL) qui a annoncé lors d’une conférence de presse tenue le 8 juin 2020 qu’il vient de présenter un nouveau projet de motion ayant pour objectif de classer les Frères musulmans comme étant « une organisation terroriste hostile à l’Etat civil ».
Yamina Zoghlami accuse
Contactée à ce propos par La Presse, la députée Yamina Zoghlami (membre de la commission du règlement intérieur, groupe Ennahdha), a souligné qu’elle était parmi les premiers politiques à pointer du doigt ce qu’elle a qualifié de « festival des motions », ajoutant que ce comportement s’apparente à des actions futiles et ne fera qu’alimenter la polarisation et porter ombrage à nos relations avec les pays frères et amis. « Ces motions n’ont aucun rapport avec la situation sociale, économique et sanitaire dans le pays. Pour ceux qui se sont lancés déjà dans une campagne électorale avant terme pour les élections de 2024, je leur conseille d’attendre un peu. Ils auront la possibilité de mener de telles campagnes en 2023. Si certains partis le font aujourd’hui, ceci ne pourra que nuire à la Tunisie ».
Pour ce qui est de la modification du règlement intérieur, Yamina rappelle qu’elle est membre de la Commission du règlement intérieur au sein du parlement. « Je dois dire que c’est surtout la volonté politique qui prime dans ce contexte. Il faudra à cet effet que les présidents des blocs parlementaires laissent de côté leurs différends issus de leurs alliances et leurs positionnements. Il faudra que ces derniers ainsi que les membres du bureau de l’Assemblée représentant les différents partis au sein de l’ARP se mettent d’accord sur le report, à une date ultérieure, du vote des motions en plénière pour se pencher en priorité sur le règlement intérieur et les importants textes des projets de loi, et ce, dans le total respect de la Constitution du pays ».
La députée a expliqué qu’un grand travail reste à faire au niveau de l’ARP se rapportant notamment à la révision de plusieurs décrets par les commissions parlementaires, soulignant à cette occasion que « cela pourrait bien nous priver des vacances parlementaires », avance-t-elle
« Ce parlement est en train de diviser les Tunisiens et de favoriser la polarisation alors qu’il est appelé en priorité à achever le processus de mise en place de la Cour constitutionnelle sur la base d’un consensus », conclut-elle.