Accueil Magazine La Presse Jeunesse et saison touristique: La haute saison de la résistance

Jeunesse et saison touristique: La haute saison de la résistance

Contourner le chômage, s’accrocher à des opportunités de travail saisonnier, résister aux aléas de la crise économique mondiale qui sévit… Les épreuves pour faire face aux ravages majeurs du Covid 19 s’accumulent et ne se comptent pas. En Tunisie, dans des villes côtières qui vivent essentiellement du tourisme, l’effort individuel est double : il réside au fait de s’accrocher à un gagne-pain et rime avec survie pour beaucoup de jeunes déterminés à tirer profit d’une saison touristique pas comme les autres.

Cet été s’annonce comme un grand défi pour de nombreux jeunes qui tentent de s’ajuster aux conditions économiques difficiles de la Tunisie. Dégoter un travail, s’accrocher à un poste déjà inconvenable, se lancer dans une recherche effrénée de petits boulots, ne pas négocier les conditions et le salaire : c’est l’objectif primaire de la plupart des jeunes, issus de tout milieu social, mais il s’agit d’une mission pénible à relever dans les villes touristiques, où l’effort pour s’imposer ou de vivre décemment peut être de longue haleine, nécessitant énormément de patience.

De nombreux hôtels sont toujours en veille : quand on y pénètre, ils sont en très bon état, l’hygiène y est optimale. Mais ils sont encore déserts … Depuis peu, les restaurants, les beach bars et les salons de thé sont munis de produits et de matériaux essentiels pour maintenir une bonne hygiène de vie quotidienne. La Tunisie, ayant fait jusqu’à maintenant ses preuves dans la lutte contre le Coronavirus, s’apprête à relancer une saison touristique qui serait essentiellement basée sur le tourisme local. L’annonce de l’ouverture des frontières aériennes est imminente afin de permettre à des Tunisiens, résidents à l’étranger de rentrer chez eux et surtout d’offrir la possibilité à des touristes de venir profiter de leurs vacances sur les côtes tunisiennes. Pari risqué, quand on voit les conditions interminables et forcément irritantes pour un vacancier étranger qui devrait venir muni de tests en Tunisie et dont les déplacements seront forcément très contrôlés.  Le Coronavirus a peut-être cessé de causer de graves ravages sanitaires mais continue à le faire économiquement. Pour les saisonniers et les employés du secteur touristique, la saison s’annonce dure et la plupart se préparent à garder le cap comme ils peuvent.

Yassine H., trentenaire, est réceptionniste depuis 4 ans dans un hôtel réputé à Yasmine Hammamet. Il a été mis au chômage technique pendant la période du confinement et espère reprendre son travail dans les jours qui viennent. Le jeune ne cache cependant pas son scepticisme et l’exprime : «Déjà en temps normal, c’est pénible de travailler uniquement avec des Tunisiens : on est embourbé dans un triple effort professionnel pour un rendu financier normal, ordinaire et pour des salaires réduits et qui le seront certainement encore pour un bon bout de temps. On ne peut espérer davantage d’une saison touristique sans ou avec très peu de devises. Mais a-t-on le choix à part celui de se contenter de ce qu’on trouve ou de démissionner et changer complètement de secteur ? ».

L’homme s’est résigné tout comme Khaoula, la trentaine à peine, qui a dû reprendre un travail dans un bar dans lequel elle a longtemps travaillé, en tant que barmaid. Elle a renégocié les conditions avec son ancien patron. La jeune femme n’a pas eu d’autre choix que de rester… après avoir annoncé son départ, avant la crise du Corona. Elle avait quitté son poste, enthousiaste à l’idée d’en prendre un autre ailleurs. Un autre job qui n’a finalement jamais vu le jour. « Il s’agit d’une période où on ne peut être exigeant. Si je chôme, c’est le désastre assuré pour moi et pour mon fils et ma mère dont je m’occupe. S’adapter à cette saison estivale pas comme les autres est le pari de l’année : c’est vital de garder son travail tout en préservant sa santé au maximum. ». Elle termine sur une note positive : « Ce que j’ai pu garder n’est forcément pas très avantageux, mais j’en suis très heureuse par rapport à d’autres. On ne compte plus les ruptures de contrat et la mise automatique au chômage. C’est dur ! ».

S. 25 ans, a la double nationalité, est issue d’un milieu privilégié. Après avoir fait le tour de l’Amérique en travaillant pour un tour-opérateur mondial et au bout de 3 ans de bons et loyaux services, elle décide de concilier vie professionnelle et personnelle et revient en Tunisie le temps d’une saison …qui s’annonçait prometteuse à Hammamet. La jeune femme débarque début mars, pile-poil avec l’annonce du confinement. Son tour-opérateur suspend toutes ses activités dans le monde entier et elle se retrouve mise en veilleuse… et en Tunisie avec une seule consolation : ses parents. Tout son programme professionnel tombe forcément à l’eau mais elle s’estime heureuse d’avoir été enfermée en Tunisie : cela lui a permis de renouer les liens avec ses proches, ses origines, profiter de la quiétude de la ville et reste optimiste : « Viendra le jour où cela va reprendre : cette impasse est mondiale, ne l’oublions pas. Je reste privilégiée pour beaucoup, c’est vrai mais le constat est sans appel, la crise du Covid 19 touche différemment sur le plan économique les individus : personne n’est épargné », commente-elle.

Pour les jeunes, à la recherche de petits boulots ou pour les grands patrons d’hôtels ou de restaurants, la lumière au bout du tunnel reste à peine perceptible. Mohamed Zaraa, 30 ans propriétaire d’un hôtel à Hammamet et d’un Lounge, lance un cri d’alerte sur sa page Facebook. La Steg coupe l’électricité, alors que la reprise de la saison n’a pas encore commencé et que comme la plupart des gérants et propriétaires hôteliers, il a du mal à joindre les deux bouts pour payer un personnel déjà très réduit depuis la reprise des établissements.

Le communiqué du Conseil national de la Fédération tunisienne de l’hôtellerie, diffusé le 14 juin 2020, est tranchant et n’augure rien d’excellent pour la saison touristique de cette année. «Il n’y aura pas de saison touristique cette année». Un conseil qui laisse supposer que les gens issus de ce secteur, frappé de plein fouet par cette crise, vont devoir se souder et résister avec les moyens du bord. L’imposition d’un test PCR et autres obligations (conditions de transport et de séjour) à l’inverse des destinations touristiques concurrentes est une contrainte certaine et dissuasive à l’accès à notre destination.

Des annulations massives de réservations sont enregistrées et qui étaient prévues pour les mois de juillet et août entraînant ainsi l’annulation de programmations aériennes.

Le communiqué cite clairement : «Les conditions actuelles obligeront à une grande partie des hôtels de rester fermés. La FTH prend en compte les contraintes sanitaires auxquelles la Tunisie fait face et recommande au gouvernement de faire évoluer rapidement ces mesures ou de prendre la décision courageuse de fermer les frontières aux touristes. Ces demi-mesures ne feront pas de la Tunisie une destination touristique cette année! Une annonce qui sapera le moral de nombreuses familles et jeunes, prêts à faire face au gouffre économique causé par ce fléau. «Il s’agit de survivre !», conclut la serveuse, sourire en coin.

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