Accueil Actualités Olivier Pradet, Directeur du Bureau Business France de Tunisie, à La Presse : «La France ne jette pas l’éponge»

Olivier Pradet, Directeur du Bureau Business France de Tunisie, à La Presse : «La France ne jette pas l’éponge»

En dépit de la crise et des contraintes rencontrées suite à la pandémie de Covid-19, les entreprises françaises trouvent encore en Tunisie un écosystème favorable à l’investissement… Pour ce faire, le bureau Business France de Tunisie, avec ses partenaires de l’écosystème public et privé français et tunisiens, continue de participer à la consolidation des échanges économiques et commerciaux entre les deux pays. Dans cet entretien, Olivier Pradet nous parle de son expérience et de la capacité de résilience des entreprises face à la crise et aux chocs économiques.

Quel est le rôle de Business France en Tunisie et quel bilan donnez-vous après trois années d’exercice ?

Business France est l’agence nationale au service de l’internationalisation de l’économie française. Depuis sa création, notre agence a fixé trois missions principales, à savoir : accompagner les entreprises françaises qui veulent exporter ou s’implanter en Tunisie ou à l’étranger d’une manière générale, accompagner et accueillir les investissements internationaux en France, gérer et développer la volonté des jeunes (entre 18 et 28 ans) qui veulent travailler dans les filiales des entreprises françaises à l’étranger.

Cela fait trois ans que je suis à la tête de Business France et depuis nous avons accompagné entre 150 et 200 entreprises par an qui sont à la recherche de nouveaux clients pour exporter ou pour s’implanter. Aujourd’hui, je suis sur le point de finir ma mission en Tunisie, dans un cadre particulier marqué par la crise sanitaire du Covid-19. Ce que j’ai constaté dès mon arrivée, c’est que les relations entre les deux pays étaient plus palpables, puisque ce sont des relations historiques, fortes, diversifiées et complètes. Un constat qui se confirme encore une fois après la crise du coronavirus, puisqu’on a vécu qu’en temps de crise les partenariats, les vrais, devraient être reposés sur des piliers solides et concrets, ce qui est le cas entre la Tunisie et la France où la coopération technique était présente à son plus haut niveau et les exemples ne manquent pas ; un service de coopération au niveau de l’ambassade, présence d’une coopération financière à l’instar de l’AFD, dont les encours sont autour de 800 à 1 milliard d’euros, le ministère de l’Economie vient d’ouvrir une ligne de crédit de 30 millions d’euros, dont 6 millions d’euros sont des dons, la richesse de la coopération culturelle et artistique… Globalement, nous pensons que le contexte de la relation bilatérale entre les deux pays est et restera de bonne qualité.

Dans ce même cadre, je profite de cette occasion pour féliciter la Tunisie dans la gestion de cette crise sans précédent, car malgré ses moyens limités, la crise a été contenue et le pays a réussi à éviter les inconvénients qu’on a vus dans beaucoup de pays à l’étranger, notamment dans les hôpitaux, ce qui confirme encore une fois l’impression que j’ai eue dès mon arrivée, c’était que la Tunisie est un pays mature, malgré toutes les difficultés.

Quels sont les projets qui seront menés à terme et quelles sont les ambitions de Business France pour les mois à venir ?

Il y en a beaucoup. Même en période de crise, nous n’avons pas baissé les bras et nous ne comptons pas jeter l’éponge. Depuis le mois de mars, nous avons accompagné, à distance, les entreprises qui ont fait de la prospection, ce qui prouve que l’intérêt pour investir en Tunisie n’a pas baissé. Nous avons aussi organisé des webinaires, depuis le premier mars, pour continuer à promouvoir les attraits de l’économie tunisienne. Durant ces webinaires, pas moins de 80 entreprises ont affiché leur intérêt à la Tunisie. Nous allons continuer sur la même voie et nous comptons organiser d’autres webinaires sur le panorama et les orientations de la Tunisie en matière de développement industriel, sur le financement de grands projets en Tunisie, notamment ceux suivis par l’AFD, et puis nous avons tout un programme (nous espérons le reprendre d’ici la fin de cette année) dans les secteurs du transport, de l’énergie, de l’environnement, de l’agriculture…

Ici, il faut souligner une chose importante, l’objectif de doubler les investissements français en Tunisie reste toujours d’actualité, même s’il paraît difficile avec la crise qu’on vient de vivre. Pour ce faire, nous avons mené un sondage oral auprès des entreprises françaises. Ces dernières ne nient pas avoir rencontré beaucoup de problèmes en Tunisie (autorisation, financement, logistique…), mais la plupart d’entre elles n’ont pas abandonné leur projet d’investissement en Tunisie. Une bonne nouvelle rassurante, dans un contexte particulier.

Comment se positionne votre bureau au regard des missions et de l’activité de la Chambre tuniso-française de commerce et d’industrie ?

La Ctfci est une entité importante avec des missions diversifiées. Sur certaines activités, nous étions concurrents mais nous avons réussi à trouver la bonne solution pour qu’on travaille ensemble et d’ailleurs, au début de cette année, nous avons signé un accord avec la Chambre pour mieux partager notre travail. Nous nous occupons d’attirer les entreprises, notamment exportatrices, en Tunisie et ensuite la Ctfci se charge du développement de toute la gamme de produits pour aider ces entreprises à mieux se positionner sur le marché tunisien.

C’est un partenariat gagnant-gagnant qui est le reflet d’une coopération qu’on a configurée de manière pragmatique. On a réussi aujourd’hui à y mettre de la cohérence et nous travaillons en parfaite harmonie. C’est en fait le reflet de cette coopération commerciale entre la France et la Tunisie, un pays qui a beaucoup d’atouts à faire jouer.

Quelle est votre appréciation de la diplomatie économique tunisienne et faut-il mettre en place une stratégie de lobbying pour appliquer une diplomatie économique performante ?

Il n’est pas sans rappeler que beaucoup d’efforts ont été accomplis dans l’optique de renforcer le positionnement de la Tunisie sur les marchés extérieurs, notamment prometteurs. L’exemple le plus significatif est la visite qu’effectuera le président de la République, Kaïs Saïed, en France, les 22 et 23 juin, qui renforcera l’orientation déterminée et irréversible dans laquelle se sont inscrites vigoureusement les autorités tunisiennes.

A mon avis, la diplomatie économique constitue la voie idoine et le levier par excellence pour fédérer l’ensemble des efforts et agréger les stratégies dans le but de consacrer les priorités de l’Etat en matière de positionnement et de construction de l’image à l’étranger. Donc, la diplomatie économique veille à renforcer la coopération entre la Tunisie et la France. C’est une diplomatie pragmatique où il n’y a aucune prééminence d’un secteur sur un autre. C’est aussi une diplomatie multiforme et variée, basée sur trois axes : la jeunesse (il est important d’avoir une politique ciblée sur la jeunesse qui ne cesse de développer de nouveaux projets), la diaspora dynamique (plusieurs types d’entreprises qui s’intéressent à la Tunisie ; entreprises à taille intermédiaire qui s’intéressent au numérique, secteur de la santé, éducation, services environnementaux, l’énergie ; des entreprises qui implantent des centres de recherche et de développement de produits et de services qui sont adaptés au marché européen ou africain…) et une meilleure répartition géographique des investissements qui ne se concentrent pas uniquement sur le Grand Tunis.

Quels sont les secteurs sur lesquels les missions économiques devraient focaliser leurs efforts pour rallumer les moteurs de la croissance et renforcer la coopération entre les deux pays ?

Pour Business France, il y a cinq secteurs sur lesquels on a fixé le cap. Le premier c’est le secteur industriel et agroalimentaire où on va étudier comment ces secteurs vont évoluer sur le marché européen. Pour le secteur de l’énergie, l’objectif de la Tunisie d’atteindre 15% de l’énergie produite des ER est vraiment louable. Le troisième secteur sur lequel nous mettons l’accent c’est la santé : nous pensons que la crise sanitaire du Covid-19 a fait prendre conscience dans tous les pays du monde de la nécessité d’investir davantage dans ce secteur. Il y a aussi le secteur de l’éducation qui doit être davantage accessible. Puis il y a le secteur de la mer, un secteur qu’on doit exploiter, dans le bon sens du terme, de manière durable pour que la population puisse profiter de cette richesse, tout en préservant la nature et l’environnement.

Dans cette situation de crise, que proposez-vous pour préparer les plans de relance post-pandémie ?

Plusieurs pays européens ont mis en place leur plan de relance. Je pense que la Tunisie peut s’inspirer de certains modèles qui s’adaptent à son contexte économique et social. L’objectif principal de ces plans est d’aider et de soutenir les entreprises, notamment les PME, à survivre. Ici, il y a un autre aspect important qu’on doit prendre en considération ; c’est le financement qui est le nerf de cette guerre. Au niveau de Business France, nous allons continuer cet effort de promotion de la Tunisie, qui peut être un pays gagnant de la sortie de crise dans la mesure où elle est aujourd’hui capable d’attirer de nouveaux investissements étrangers. Nous sommes aussi en train de travailler pour partager nos savoir-faire et nos informations sur les actions qui ont réussi et qu’on doit reprendre.

Ensuite, il y a une grande partie du travail qui relève de la responsabilité des autorités tunisiennes qui essaient de soutenir les filières économiques importantes où bon nombre de moyens ont été mobilisés à cette fin. A saluer aussi les réformes structurelles qui ont été menées et qui visent à améliorer l’administration, faciliter les procédures, soutenir les entreprises…

Les entreprises françaises s’intéressent-elles encore au marché tunisien ?

Oui, et ce, malgré la crise. Pendant les webinaires qu’on a organisés, nous avons constaté qu’il existe un rebond des demandes des entreprises françaises qui ne cessent de poser des questions sur le marché tunisien. D’ailleurs, selon le sondage qu’on a lancé, la plupart des entreprises n’ont pas l’intension d’abandonner leurs projets d’extension malgré tous les problèmes existants. Ces entreprises sont en train de tout faire pour éviter le licenciement et aucune d’entre elles n’a annoncé la fermeture. Donc, l’intérêt pour le marché tunisien n’a pas disparu et nous constatons qu’il y a de plus en plus de demandes pour de nouveaux partenariats sur le marché tunisien. Une fois que ces entreprises auront réussi à résorber le problème du financement, il va falloir chercher d’autres débouchés suite à la crise du Covid-19 (l’Afrique et le Moyen-Orient peuvent être des alternatives au marché européen).

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