Accueil A la une Mongi Hamdi, ancien ministre des Affaires étrangères, à La Presse : « J’appelle à un sommet regroupant les chefs d’Etat des pays voisins de la Libye »

Mongi Hamdi, ancien ministre des Affaires étrangères, à La Presse : « J’appelle à un sommet regroupant les chefs d’Etat des pays voisins de la Libye »

Pour commenter la grave crise libyenne et les propos du Président de la République lors de sa visite de travail en France s’y rapportant, il n’y a pas mieux que le haut expert onusien, ancien secrétaire général adjoint de l’ONU, ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Mehdi Jomaa et ancien chef de la mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). Doté du flegme qui caractérise généralement les diplomates chevronnés, il nous éclaire sur cette crise, les solutions à préconiser, la position prônée par notre pays par le biais de la diplomatie officielle et non parlementaire. «Dans le monde, les tâches de chacun des trois hauts responsables sont précisées pour éviter le bicéphalisme et la cacophonie. Je soutiens personnellement la position du Chef de l’Etat quand il déclare que c’est lui et lui seul le responsable des relations extérieures de la Tunisie», déclare-t-il.

Les immixtions étrangères dans le dossier libyen ne font que raviver la crise dans ce pays. Kaïs Saïed a, à maintes reprises, dénoncé ces ingérences et a insisté sur une solution émanant des Libyens eux-mêmes. Selon vous, y a-t-il un risque d’enlisement pour toute la région et comment sortir de cette crise ?

De toute évidence, je ne peux que louer la position ferme et réaliste du Président de la République Kaïs Saïed et partager également sa vision et sa conception pour résoudre la crise libyenne. En effet, c’est avant tout une crise qui secoue la Libye sœur et qui concerne de prime abord les Libyens. Toute ingérence extérieure, toute implication d’un pays tiers en faveur d’une partie bien déterminée au détriment de l’autre ne fait que repousser l’échéance pour mettre fin à cette épineuse crise.

La communauté internationale aurait dû prendre sérieusement en charge cette crise qui risque d’embraser toute la région. D’abord en permettant au secrétaire général de l’ONU, M. Antonio Guterres, de nommer son représentant spécial pour la Libye. Ce dernier qui, outre sa parfaite connaissance du dossier, des spécificités et des antagonismes libyens, devra garder une neutralité sans faille et la même distance à l’égard de toutes les parties prenantes dans ce conflit qui n’a que trop duré, provoquant une instabilité inquiétante pour les pays voisins et un manque à gagner terrible et néfaste sur le plan des échanges commerciaux et économiques, particulièrement pour la Tunisie.

Ensuite, il faut faire en sorte avec les contacts permanents et directs avec toutes les parties de persuader les Libyens que leur pays risque, du fait de ce conflit, le morcellement et le peuple l’appauvrissement. La manne pétrolière convoitée par des parties ne cherchant pas nécessairement les intérêts des Libyens peut se transformer en une véritable hécatombe. Sensibiliser les Libyens est une action primordiale et un devoir afin d’éviter une malheureuse réédition du cas de la Syrie à nos frontières cette fois-ci.

Retrouver le chemin de la paix n’est pas une gageure. C’est possible si nous parvenons nous Tunisiens à jouer le rôle qui nous sied et à dissiper les malentendus entre les frères libyens, et ce, en valorisant la place des chefs de tribus libyennes.

Le rôle de l’ONU semble-t-il s’essouffler devant les ambitions hégémonistes de certains pays et notamment la Turquie en Libye. Etes-vous d’accord ?

Justement, il ne faut pas que l’ONU soit écartée d’une façon ou d’une autre du dossier libyen. L’ONU et le Conseil de sécurité où la Tunisie siège actuellement en tant que membre non permanent sont appelés à jouer les premiers rôles. L’Organisation des Nations unies, en collaboration étroite avec les pays du voisinage, est le cadre idéal pour favoriser un dialogue franc et constructif entre les belligérants. C’est pourquoi il faut donner la possibilité au secrétaire général de cette importante organisation d’assumer ses responsabilités entières dans la résolution de la crise libyenne et aussi de rendre compte périodiquement au Conseil de sécurité de l’évolution du dossier en question.

Je crois que le temps est venu pour mettre fin à l’éparpillement des efforts. Au lieu que l’Union africaine et la Ligue des Etats arabes aient respectivement des envoyés spéciaux focalisons sur celui de l’ONU. Cette institution est capable de rassembler sous sa houlette toutes les parties et d’exercer les pressions nécessaires pour que le cessez-le-feu soit respecté. Par ailleurs, le Conseil de sécurité est habilité à décréter des sanctions contre les parties étrangères dont la présence en Libye ne fait qu’envenimer davantage une situation explosive. Toutes les parties étrangères sont appelées à quitter le sol libyen pour faciliter la recherche d’une solution pacifique. Le soutien militaire et l’engagement des forces étrangères en faveur d’une seule partie n’est pas de nature à accélérer la réconciliation entre les frères ennemis.

A cet effet, je souligne qu’un sommet regroupant les chefs des Etats des pays voisins de la Libye sans exception sous les auspices de l’ONU sera le bienvenu. Ce sommet se fixera certains objectifs prioritaires, dont l’application immédiate d’un cessez-le-feu et le lancement des négociations entre tous les belligérants et toutes les parties libyennes. A mon avis, le président Kaïs Saïed est bien placé pour lancer une telle initiative.

Le Président de la République a souligné lors de son entretien avec France 24 qu’il n’y a qu’une diplomatie tunisienne dirigée par le chef de l’Etat, et ce, au moment où le président du Parlement, Rached Ghannouchi, ne cesse d’évoquer le concept de diplomatie parlementaire. Qu’en pensez-vous ?

Pour moi, la réponse est simple. Chaque partie doit respecter la constitution qui stipule clairement que les Affaires étrangères sont du ressort et des prérogatives du Président de la République qui tranche et prend les décisions relatives à notre positionnement sur le plan extérieur en dernier ressort. Le président du Parlement peut avoir des contacts avec ses homologues ou des chefs de gouvernement, voire des chefs d’Etat. Néanmoins, et c’est impératif, il doit rendre systématiquement compte au Président de la République, ne pas prendre seul des initiatives ou des positions sans se référer à la présidence de la République et au ministère des Affaires étrangères.

La Constitution de 2014 n’a conféré aucun rôle particulier au président du parlement. Dans le monde, les tâches de chacun des trois hauts responsables sont précisées pour éviter le bicéphalisme et la cacophonie. Je soutiens personnellement la position du Chef de l’Etat quand il déclare que c’est lui et lui seul le responsable des relations extérieures de la Tunisie.

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