Comme attendu, Elyès Fakhfakh, Chef du gouvernement, venu, hier, au Parlement défendre le bilan des 100 premiers jours de son gouvernement et soumettre aux députés le plan de salut national en prévision de l’étape à venir (l’après-Covid-19) s’est retrouvé dans l’obligation de répondre à ceux qui l’accusent d’avoir commis un délit de conflit d’intérêts
Hier, les députés qui étaient venus au Parlement pour écouter Elyès Fakhfakh dresser le bilan des 100 premiers jours de son gouvernement et soumettre le plan de salut national que son équipe a préparé pour la Tunisie de l’après-Covid 19 ont montré aux Tunisiens, à travers leurs performances, qu’ils n’avaient cure des projets qu’il prévoit pour la sauvegarde des entreprises publiques dont la majorité sont sur la voie de déclarer faillite, qu’ils ne s’intéressaient guère au sort des 270 mille nouveaux chômeurs (à ajouter aux 630 mille déjà répertoriés sur les registres officiels) engendrés par la pandémie de coronavirus et qu’ils ne s’attendaient à rien de la part de Fakhfakh ou de ses ministres à propos des réponses qu’ils pourraient proposer (aujourd’hui) aux protestataires d’El Kamour ou dans les prochains jours aux mécontents des secteurs de l’enseignement, de la filière laitière, de la santé ou des travailleurs de chantiers.
Hier, les élus de la nation ne sont pas venus écouter Fakhfakh. Ils sont plutôt venus pour que le Chef du gouvernement les écoute et corrobore leur approche selon laquelle il a fauté dans l’affaire des marchés publics que son entreprise a remportés, affaire qu’ils considèrent en rapport direct avec le délit de conflit d’intérêts commis par le Chef du gouvernement, d’où la nécessité, comme ils se sont ingéniés à le souligner dans leurs interventions, pour le locataire de La Kasbah «de reconnaître son erreur, de s’en excuser et de démissionner de son poste à la tête du gouvernement».
Sauf que ceux parmi les députés qui ont bâti leurs interventions sur la revendication de voir le Chef du gouvernement accéder à leurs demandes, au moins en s’excusant pour «ses erreurs impardonnables», ne savaient pas, semble-t-il, à qui ils avaient affaire et ont découvert un adversaire d’un autre calibre, un adversaire profondément convaincu qu’il n’a commis aucun dépassement, qu’il a respecté scrupuleusement les clauses de la loi sur la déclaration de patrimoine en révélant le jour où il est allé avec ses ministres (le jour même de l’obtention par son gouvernement de la confiance du Parlement) déposer auprès de l’Instance nationale de lutte contre la corruption (Inlucc) sa déclaration de patrimoine où il a consigné les actions qu’il possède dans une entreprise privée en ayant la conscience que s’il y a conflit d’intérêts, il en sera responsable au cas où il occuperait, lors de «la fausse découverte» de l’affaire, le poste de P.D.G. ou de gérant comme le stipule la loi en question, alors qu’en réalité, il n’y occupe aucun poste de responsabilité, se suffisant de la détention de quelques actions à l’instar des autres actionnaires.
Ainsi, le Chef du gouvernement assure-t-il qu’il n’a pas à être accusé d’avoir commis une faute propre à le considérer comme ayant profité de son statut gouvernemental pour que l’entreprise où il est actionnaire puisse remporter un marché public aux dépens d’autres entreprises évoluant dans le même domaine d’activité.
Et Elyès Fakhfakh d’annoncer que son gouvernement soumettra prochainement au Parlement une initiative législative visant à amender l’article controversé de la loi sur la déclaration de patrimoine, article qui autorise dans sa formule actuelle toutes les interprétations possibles, y compris celle défendue par Fakhfakh et aussi par Mohamed Abbou, ministre d’Etat chargé, entre autres grandes missions, de la lutte contre la corruption, idée selon laquelle le conflit d’intérêts peut être compris comme un acte de corruption ou peut ne pas l’être conformément à l’interprétation que l’on peut faire de l’article en question.
En tout état de cause, plusieurs députés, dont des chefs de blocs parlementaires (à l’instar de Hassouna Nasfi, Oussama Khlifi et aussi Yadh Elloumi, président de la commission parlementaire des finances) n’ont pas hésité à appeler Fakhfakh à démissionner, le menaçant par ailleurs de lui retirer à lui et à son gouvernement la confiance du Parlement par le biais d’une motion de censure dont El Karama et Qalb Tounès assurent déjà avoir obtenu l’accord initial de 50 députés ayant déjà fait savoir qu’ils signeront la motion en question.
Crédit photo : © Abdelfattah BELAÏD