Certains ont pu déjà quitter le pays quelques jours avant la fin du délai accordé par le décret-loi relatif à la suspension des mesures relatives aux poursuites judiciaires concernant les chèques, d’autres ne pouvant se payer ce luxe se trouvent sous la menace de lourdes peines. Le temps est venu d’engager une réflexion autour des peines privatives dans ce genre d’affaires.
Imposé par la conjoncture économique difficile suite à la pandémie du Covid-19 et appliqué à compter du 11 mars dernier suite à son adoption par un Conseil ministériel, le décret-loi relatif à la suspension des mesures, des délais de régularisation et des poursuites judiciaires concernant les chèques a constitué une perche de sauvetage tendue aux personnes en situation financière précaire.
Le décret a prévu que cette suspension s’étendra 15 jours après la levée du confinement général, c’est-à-dire jusqu’au 29 juin dernier. Le délai est donc arrivé à terme, sonnant ainsi la fin de la récréation pour certains et faisant miroiter le spectre des interminables poursuites judiciaires pour d’autres. La fuite à l’étranger constitue la seule échappatoire pour ceux qui ont toujours le moyen de gérer à distance et loin du pays leurs affaires. Le débat refait surface autour de la nécessité de conférer plus de flexibilité aux poursuites judiciaires concernant les personnes impliquées dans les affaires de chèques sans provision. Cela pourrait aussi contribuer à décongestionner les lieux de détention.
Une augmentation qui inquiète
Hommes d’affaires et notamment présidents de club se trouvent le plus souvent confrontés à des peines privatives pour des chèques sans provision, comme ce fut le cas dernièrement pour le président du Club Athlétique Bizertin (CAB), Abdessalem Saidani, condamné par contumace à 15 ans de prison selon les déclarations de son avocat à une radio privée. L’autre affaire qui a secoué l’opinion publique remonte au début de l’année en cours. Elle concerne l’ancien directeur du festival d’Ezzahra, Said Jendoubi, qui s’est retrouvé en prison au début de cette année en application d’un jugement de 18 ans prononcé contre lui par contumace dans une affaire de chèques sans provision qui remonte à 2014. En raison de chèques impayés au profit de quelques artistes dans le cadre de ce festival, il a fini dans un lieu de détention comme un vulgaire malfrat.
S’attelant des fois à se sacrifier pour la cause sportive ou la culture, certains se retrouvent malheureusement derrière les barreaux, condamnés à de très lourdes peines allant jusqu’à des centaines d’années.
D’après une source bien informée relevant du ministère de la Justice contactée à cet effet, 173.074 affaires relatives aux chèques sans provision ont été enregistrées en 2016/2017. Ce nombre a augmenté de 12 % en 2017/2018 et a atteint 193.894 affaires (20.820 affaires de plus). Concernant 2018/2019, le nombre des affaires a légèrement baissé, il est de 190.889.
Initiative parlementaire ?
A l’instar de certains jeunes qui commettent l’irréparable et se retrouvent condamnés à des peines de prison pour consommation de drogue et sont donc systématiquement privés de poursuivre leurs études, les inculpés dans les affaires de chèques sans provision ne sont pas en majorité issus du monde de la criminalité, d’où la nécessité pour le législateur de se pencher sur la question des peines encourues, jugées de nos jours trop sévères et en inadéquation avec l’évolution de la société et l’esprit de la nouvelle Constitution.
Certes, le juge ne fait qu’appliquer la loi et rendre justice aux personnes dont le droit a été bafoué. C’est plutôt aux décideurs politiques qu’incombe le rôle d’amender les textes de loi sans piétiner la Constitution du pays.
Selon une information relayée sur les sites électroniques, la coalition El Karama aurait présenté « une initiative législative » en vue de remplacer les peines privatives dans les affaires des chèques sans provision par des sanctions financières, commerciales et administratives. Mais en raison de la situation chaotique qui prévaut à l’hémicycle, il ne faut rien espérer dans les jours à venir d’autant plus que les agendas politiques demeurent prioritaires à l’ARP. Les projets au service du citoyen sont le plus souvent renvoyés aux calendes grecques.
Adel Kaanich : suspendre les poursuites
S’exprimant sur sa page facebook, l’avocat Adel Kaanich, candidat à la Cour constitutionnelle, évoque le calvaire des citoyens qui se trouvent menacés aujourd’hui de poursuites judiciaires en raison de l’émission de chèques sans provision et dont un bon nombre a dû, par crainte, quitter le pays. Il est bien établi que la situation nécessite un traitement rapide, et il vaut peut-être mieux suspendre les procédures de poursuites dans ce genre d’affaires suite à la pandémie de Covid-19, a-t-il préconisé. Dans ce même contexte, il a plaidé pour une amnistie générale pour les personnes impliquées dans ces affaires, tout en leur accordant un délai raisonnable pour s’acquitter de la somme due.
Par ailleurs, il est temps de protéger le citoyen en renforçant les conditions d’obtention de chéquier au niveau des banques ou remplacer le règlement du paiement par chèque par des traites. Il faut insister aussi sur le paiement par carte bancaire ou par virement bancaire, comme c’est le cas en Europe, ce qui a diminué relativement le nombre des affaires relatives au chèque sans provision, fait-il savoir.
L’avocat en question conclut qu’il est important que le législateur prenne l’initiative et suspende les procédures de poursuites concernant les chèques émis depuis le début du mois de mars jusqu’à la fin de cette année en vue de permettre à certains de régulariser leur situation tout en pensant sérieusement à leur accorder une amnistie générale.
« Est puni d’un emprisonnement pour une durée de cinq ans et d’une amende égale à quarante pour cent du montant du chèque ou du reliquat de la provision à condition qu’elle ne soit pas inférieure à vingt pour cent du montant du chèque ou du reliquat de la provision, celui qui a soit émis un chèque sans provision préalable et disponible ou dont la provision est inférieure au montant du chèque, soit retiré après l’émission du chèque tout ou une partie de la provision, soit fait opposition auprès du tiré de le payer en dehors des cas prévus à l’article 374 du présent code » selon l’article 411 (nouveau) de la loi n° 2007-37 du 4 juin 2007, modifiant et complétant certaines dispositions du code de commerce.
Saïd Jendoubi
2 juillet 2020 à 12:18
Merci d’avoir évoqué l’affaire pour laquelle j’ai été incarcéré et qui aurait pu traîner en longueur sans l’immense soutien de l’opinion publique et surtout sans l’appui financier de mon frère qui a tout payé avant le déblocage des sommes par le Ministère de la Culture (un mois plus tard).
Cette affaire n’était pas seulement une affaire de chèques impayés (je précise des chèques du festival et non pas des chèques personnels) ; mais aussi une affaire sur laquelle plane des zones d’ombre. En effet, j’ai l’intime conviction que j’ai payé les frais d’avoir commis « l’imprudence » de lutter contre la corruption et les magouilles institutionnalisées dans le secteur des festivals. Je précise aussi que le déficit du Festival d’Ezzahra pour les sessions 2015 et 2016 ont été comblé mais pas celui de 2014, pourtant largement moins important!
Bref, lors de mon incarcération à El Mornaguia j’ai pu constater de mes propres yeux l’ampleur du drame lié aux chèques sans provisions: une véritable catastrophe humanitaire. D’autant plus que la privation de ces gens (chefs d’entreprises, médecins, enseignants, etc.) de leur liberté les empêchent à trouver des solutions et des arrangements, ce qui les enfonce (et leurs familles aussi) dans des situations inextricables. Cette situation s’applique également sur ceux qui sont emprisonnés pour non paiement de la pension alimentaire. La privation de liberté dans les deux cas relève d’une démagogie digne des dictatures les plus obsolètes.