Jusqu’où iront les détracteurs de l’Ugtt dans leurs campagnes marquées par la hargne et parfois même la bassesse, et jusqu’à quand la centrale syndicale, emblème de la défense des travailleurs dans le pays, pourra-t-elle résister ?
Le Président de la République a rencontré mercredi 1er juillet au Palais de Carthage le secrétaire général de l’Ugtt. Une rencontre qualifiée d’importante par la partie syndicale et qui survient dans une conjoncture marquée par les grandes tensions sociales et des campagnes de dénigrement et de diabolisation visant l’organisation des travailleurs. Ce «rapprochement» dans les positions ne plaît pas pour autant à certains partis politiques. Partant de la théorie sociale «l’ami de mon ennemi est mon ennemi», l’Ugtt se trouve aujourd’hui, comme au temps de la Troïka, dans le collimateur du parti majoritaire au Parlement et de ses alliés populistes.
Un remake de l’attaque qui a ciblé l’Ugtt en 2012 n’est plus à exclure et les prémices sont déjà là. Ce jour-là, on se rappelle que la commémoration de la fête des martyrs s’est muée en cauchemar. C’est la première fois dans l’histoire de la Tunisie que l’Ugtt est attaquée dans son fief à Tunis et ses militants tabassés devant le regard médusé de l’opinion publique et internationale. La commission d’enquête mise sur pied à cet effet n’aboutira à rien. Pire, plusieurs de ses membres démissionnent une année plus tard au moment où un doigt accusateur était pointé vers le parti Ennahdha et les ligues de la protection de la révolution (actuellement dissoutes). A cette époque, Ali Larayedh était à la tête du ministère de l’Intérieur.
Les tensions sont aujourd’hui de retour, et sont à leur apogée suite à l’arrestation de trois syndicalistes dans l’affaire de l’agression présumée du député Mohamed Affes. L’UGTT décide pour la première fois de tenir la commission administrative nationale dans cette ville. Signe fort de la mobilisation, un grand rassemblement a été organisé dimanche dernier, 28 juin, devant le siège de l’Ugtt à Sfax. «La bataille actuelle est politique», martèlera le secrétaire général Noureddine Taboubi. Avant ce rassemblement au message fort, une grève générale a été suivie à Sfax et a paralysé les moyens de transport public.
Taboubi rencontre les deux présidents
L’Ugtt se trouve sur tous les fronts et souffle le chaud et le froid dans ces moments où le Chef du gouvernement est lui-même la cible d’une campagne visant clairement à le déloger de La Kasbah. Reçu dans un premier temps par Kaïs Saïed puis par Elyes Fakhfakh, Taboubi explique que les deux rencontres ont porté sur «la situation politique et sociale du pays et les priorités pour répondre aux attentes du peuple». Lors de la première rencontre, il a exprimé «sa confiance au Chef de l’État». Il a aussi appelé à «assainir le climat social» lors de sa réunion avec le Chef du gouvernement et mis en exergue l’importance de recourir au dialogue dans la gestion de certains dossiers.
Bien sûr, tout n’a pas été dit mais certains observateurs s’accordent à dire que les résultats des législatives de 2019 qui ont permis l’émergence de nouveaux partis politiques aux dépens d’autres partis qui ont essuyé un échec cuisant, doivent impérativement conduire à la révision du système politique en place. Ce projet de révision a été prôné par le Président Kaïs Saïed avant même son accession à la magistrature suprême Il est relayé par le secrétaire général Noureddine Taboubi qui a appelé depuis le mois de mai dernier à l’organisation d’un référendum afin d’évaluer le système politique mis en place depuis 2011.
Il va sans dire que du côté du président de l’ARP, les choses sont vues sous un angle totalement différent. Il n’est pas question de lâcher prise et faire des concessions au parti majoritaire à l’appétit d’ogre et qui ne fait que multiplier les manœuvres visant une mainmise totale sur les institutions du pays. Pour cela Ennahdha comptera sur ses alliés mais surtout sur les «ennemis de ses ennemis» qui, le temps d’un vote, se rangeront de son côté.
Liaisons dangereuses
C’est dans ce contexte marqué par les tensions, les tiraillements politiques et les alliances à géométrie variable que l’Ugtt fait face à ses « ennemis » et à une campagne de diabolisation savamment orchestrée dans laquelle un extrémiste religieux n’a pas manqué de lancer des menaces de mort contre Noureddine Taboubi. Il a été rapidement identifié et arrêté par les unités sécuritaires.
Jusqu’où iront les détracteurs de l’Ugtt dans leurs campagnes marquées par la hargne et parfois même la bassesse et jusqu’à quand la centrale syndicale, emblème de la défense des travailleurs dans le pays, pourra-t-elle résister ? S’oriente-t-on vers un remake des incidents de 2012 ? Le pouvoir est l’aphrodisiaque suprême (Henry Kissenger). Il rend aveugle et certains partis semblent ignorer pour le moment les incidences pernicieuses des «liaisons dangereuses» et leur impact sur la stabilité du pays. Mais l’Ugtt n’est pas habituée à flancher d’autant plus que l’essence de sa lutte est inhérente à la souveraineté nationale, comme l’a confirmé Noureddine Taboubi lors de son meeting à Sfax.
Il est à rappeler que l’Ugtt compte déposer une plainte auprès de l’Organisation internationale du travail concernant la violation du droit à l’action syndicale et les violentes attaques perpétrées par certaines parties contre la centrale syndicale», selon le secrétaire général adjoint, Sami Tahri. Une demande a été formulée à l’Inspection générale du ministère de la Justice, à l’Association des magistrats tunisiens et au Syndicat des magistrats tunisiens, pour un complément d’enquête sur le dossier des syndicalistes de la santé à Sfax, afin de leur garantir un procès équitable, après qu’ils ont été arrêtés pendant plus de deux mois dans une affaire d’agression contre le député Mohamed Affes».