Le père absent les rejoint grâce à l’image, l’absence devient ainsi présence imaginée.
S’associant au Fonds de Relance Culture (FRC) mis en place par le ministère des Affaires culturelles, la fondation Kamel Lazaar a lancé, en temps de confinement, le projet «culture solidaire» visant à procurer les moyens de création et les espaces de diffusion aux artistes confinés. Une manière aussi de les situer par rapport à ce temps suspendu et incertain où la visibilité quant à l’issue de la crise était pour le moins brouillée. L’idée étant de leur permettre de continuer à créer en temps de crise.
«Notre volonté est d’accompagner créateurs et interprètes dans un questionnement pluriel, sur leur pratique, sur le monde à venir, sur la communication numérique, sur la possibilité de créations collectives à distance…Tout est à inventer : seul le corps est confiné, l’esprit est libre!», notent les initiateurs du projet.
310 candidatures ont été déposées, 59 projets retenus et 120 artistes récompensés. Parmi ces projets figure «Portrait de famille en temps de confinement» du couple d’artistes Sofia Guerfal et Helmi Bouteraa.
Elle, elle est artiste plasticienne et enseignante à l’Institut supérieur des beaux-arts de Sousse, elle termine actuellement une thèse de doctorat en esthétique et pratiques des arts. Elle a participé à de nombreuses expositions de groupe et d’autres événements culturels et artistiques. Dans sa pratique, elle cherche toujours à creuser dans la dimension cachée des choses tout en gardant son caractère essentiel, elle exprime l’énergie intérieure de ce qui l’entoure, rendant compte de ses joies et aussi de ses troubles. Lui, il est maîtrisard en arts plastiques spécialité sculpture et s’est retrouvé au cinéma en poursuivant un mastère et une thèse de doctorat en sciences et techniques de l’audiovisuel et du cinéma à Gammarth. Il vise dans sa pratique à mêler la vision plastique à l’approche profilmique, en étudiant l’approche sémiologique de la matière plastique dans l’espace profilmique. Il a participé à plusieurs expositions de groupe et a organisé plusieurs événements culturels tout en pratiquant le théâtre en parallèle.
«Portrait de famille en temps de confinement», qui est visible en libre accès sur les réseaux sociaux et autres plateformes, est une vidéo qui raconte le regard. Le regard que l’on porte sur les choses et qui change notre perception. «Contraints d’être séparés pendant le confinement, nous essayons à travers ce projet de traduire notre vision de la situation en abolissant de la sorte les distances devenues espaces intemporels», écrivent les deux conjoints.
En tant que couple d’artistes et parents de deux enfants, ces derniers, comme ils le précisent, ont essayé de développer une articulation entre leurs deux pratiques, en incluant entre autres le regard des enfants sur le sujet. «Nous nous trouvons tous les quatre réunis dans ce projet pourtant entamé à distance», notent-ils. En d’autres termes, l’image a su réunir ce qu’un virus a séparé.
«Pendant un petit déplacement chez mes parents, à l’occasion des vacances de printemps, nous nous sommes retrouvés dans l’obligation de rester sur place. Après trois semaines, les enfants ont alors commencé à sentir l’absence de leur père. Le seul moyen de nous permettre de communiquer et de rester en contact était internet. En discutant en direct, ma fille aînée eut le réflexe de prendre des captures d’écran de nous tous ensemble réunis sur l’écran de mon Smartphone. Nous avons donc eu l’idée de transformer ce simple geste en un projet plastique. Avec le peu de moyens dont nous disposons, les enfants et moi-même avons commencé à tirer des photos de nous trois sur du papier, sur lesquels nous avons intégré des photos de leur père. Donnant libre cours à leur imagination, ils se sont mis à dessiner différentes choses qui leur manquaient : leurs jouets préférés, couvertures, brosses… Le papa a pris de son côté des photos de leur chambre, et des espaces dans lesquels ils prenaient le temps de s’amuser… Cet échange-là a fictivement dissipé la distance, les espaces/temps se sont réduits, se sont transposés dans le même espace de la feuille et sont devenus ainsi moins dures, plus ludiques», note Sofia.
Comme ses protagonistes l’expliquent, ce projet est plein de suggestions car il touche tous ceux qui ont vécu la même situation. «Nous nous sommes tous trouvés pris au piège ce qui justifie la présence intense de la boîte et du cadre délimitant», notent-ils. Ces sentiments d’oppression et d’enfermement sont suggérés à l’image par des cadres restreints. On y entrevoit la femme et les enfants en train de dessiner et réaliser des collages avec leurs propres portraits, on y écoute surtout des bribes de conversations, des voix d’enfants. Le père absent les rejoint grâce à l’image (montage en parallèle), l’absence devient ainsi présence imaginée…
Le couple compte élargir cette idée en produisant graphiquement avec des techniques mixtes sur différents supports des rendus plastiques sur le thème de «Portrait de famille en temps de confinement». Bonne continuation !