Par le Général Mohamed Meddeb*
Après avoir passé en revue, dans une première partie publiée le 6 juillet, la naissance et le développement du concept de « sécurité nationale » dans le monde et en Tunisie en particulier, cette deuxième partie portera sur l’objet de ce même concept de «Sécurité nationale», tel que défini dans la Constitution qui, finalement, réduit son objet à celui de «défense nationale». Définir l’objet du concept de «sécurité nationale» est non seulement en lui-même important, mais il reste indispensable à la délimitation du champ des attributions du Président de la République, objet, entre autres, de l’article 77 de la Constitution. En effet, ledit article stipule que « le Président de la République représente l’État. Il lui appartient de déterminer les politiques générales dans les domaines de la défense, des relations étrangères et de la sécurité nationale relative à la protection de l’État et du territoire national des menaces intérieures et extérieures,et ce, après consultation du Chef du gouvernement.»
L’examen de cet article (77), de lourdes conséquences, soulève d’importants questionnements surtout quant au fond et limites attribués à l’objet du concept de «sécurité nationale» :
1. D’abord étonnement, la «défense» comme les «relations étrangères» sont citées au même niveau que la «sécurité nationale» et distinctement de celle-ci, comme si les deux premières, «défense et relations étrangères», ne font pas partie intégrante de la troisième, la «sécurité nationale», et constitueraient donc des domaines bien séparés de celle-là, alors qu’il est communément admis que la sécurité nationale inclut bien et en premier lieu les champs de la défense et des relations étrangères. Est-il concevable de traiter de sécurité nationale sans qu’il s’agisse d’abord de défense et de Relations étrangères dans leur volet sécuritaire ?;
2. L’objet de «La sécurité nationale», dans cet article de la Constitution, se trouve étrangement limité à « la protection de l’Etat et du territoire national des menaces intérieures et extérieures », alors que :
2.1. « La protection de l’Etat et du territoire national des menaces intérieures et extérieures » n’est rien d’autre que le domaine et l’objet même de «la défense nationale» déjà citée au début de l’article en question. Ainsi,la deuxième partie de l’article « … et de la sécurité nationale relative à la protection de l’État et du territoire national des menaces intérieures et extérieures », voulant préciser davantage l’objet de la sécurité nationale, elle a limité son champ à «la défense et relations étrangères» qui couvrent, au fait, le domaine de la «Politique de défense nationale» sans plus. Et là, il y a lieu de se demander si la volonté réelle des Constituants était bien de réduire le champ de la sécurité nationale exclusivement à celui de la défense nationale, j’en doute très fortement.
2.2. En général, et comme ci-haut étayé, le concept de «sécurité nationale» couvre, à quelques spécificités près d’un pays à l’autre, outre la défense du pays contre les menaces extérieures et intérieures, de nombreux autres secteurs de nature autre que militaire et sécuritaire, et qui peuvent donc être d’ordre économique, énergétique, environnemental, sociétal, sanitaire, technologique, cybernétique ou autres, tant que la problématique en question risque de porter atteinte à la vie normale de la nation et/ou à ses intérêts vitaux. En revanche, l’article 77 stipule que « … et de la sécurité nationale relative à la protection de l’État et du territoire national des menaces intérieures et extérieures… », excluant de la sorte du champ de la sécurité nationale tout autre secteur que « la protection de l’État et du territoire national des menaces intérieures et extérieures », en d’autres termes la limitant exclusivement au champ de la défense nationale. Ceci est non seulement inexplicable et soulève de vrais questionnements quant au sens limitatif attribué par les constituants au concept de «sécurité nationale» en Tunisie, mais pose de sérieux problèmes quant à la délimitation précise des prérogatives du Président de la République, prérogatives que de nombreux candidats à la présidentielle, usant du concept de sécurité nationale, avaient considérées très larges et même illimitées pour certains.
En conclusion, partant du constat que le concept de «sécurité nationale» est beaucoup plus large que celui de «défense nationale» et «relations extérieures» et inclut d’autres secteurs non militaires et sécuritaires au sens traditionnel du terme, on note que l’article 77 de la Constitution vient limiter ce même concept à celui de la «défense nationale et relations étrangères», ce qui est source de sérieux problèmes, d’abord conceptuels et de terminologie, ensuite d’ordre pratique en rapport direct avec la délimitation des prérogatives du Président de la République en la matière. A mon avis, ce sérieux problème de fond, la définition de l’objet du concept de « sécurité nationale «, nécessite clarification, celle-ci passe par la reformulation de l’article (77) de la Constitution. A titre de contribution personnelle, en voici, une proposition de reformulation dudit article : «Le Président de la République représente l’État. Il lui incombe de déterminer les politiques générales dans les domaines de la sécurité nationale dont la défense nationale, la sécurité intérieure, les relations étrangères et tout autre domaine pouvant mettre à risque la vie normale de la nation et ses intérêts vitaux, et ce, en consultation avec le Chef du gouvernement.»
Sans la révision de cet article, le Président de la République, devrait, selon la Constitution, se limiter à définir la politique générale de défense et celle des relations étrangères, sans plus. Toujours selon cet article 77, dans sa version actuelle, le dossier Covid-19, par exemple, ne relève pas du tout des attributions du Président de la République et il n’a pas donc à s’en occuper !
Que Dieu garde la Tunisie
*(Armée nationale)