Le rôle de l’ingénieur n’a jamais été contesté ni minimisé soit, mais alors il est grand temps de lui attribuer une place de choix qui sied avec sa valeur intrinsèque et ses compétences techniques.
Un séminaire en ligne appelé «webinaire» au sujet de la «Place de l’ingénieur en Tunisie et dans le monde» a été diffusé sur les réseaux sociaux la semaine dernière. Un événement en ligne qui s’est penché sur le domaine de l’ingénierie, véritable «locomotive qui tire la nation vers le haut et fait la force de toutes les puissances mondiales», apprend-on sur la page Facebook qui annonce et décrit l’événement.
De nombreuses interrogations ont été proposées qui attendent des réponses de l’experte Olfa Hamdi, ingénieure de grande réputation, consultée sur ce thème crucial pour l’avenir de l’ingénierie en Tunisie. Quelle place accorde-t-on à l’ingénieur dans un monde en quête d’innovation ? Quelles solutions pouvons-nous apporter face aux problèmes que rencontrent nos ingénieurs ? Comment les sciences et les nouvelles technologies peuvent-elle nous aider à redonner à l’ingénieur tunisien sa vraie place dans la société ? Un ensemble de questions qui attendent des éclaircissements. Pour rappel, Mme Hamdi est une «ingénieure au parcours brillant, diplômée en génie de la construction et gestion de projets de l’université du Texas, ancienne consultante de grands projets». D’emblée, Mme Hamdi rappelle la noblesse de cette profession qui a fait les beaux jours de la Tunisie dans un passé récent lorsqu’on voit la qualité des infrastructures et des équipements technologiques, notamment dans les télécommunications. Elle formule sa conviction : «Le corps des ingénieurs est un corps honorable et respectable et fondateur de sociétés».
Par la suite, Mme Sabrine Aïdi Kenani a repris la parole en tant qu’enseignante universitaire et modératrice de l’événement pour poser des questions ciblées qui retracent le parcours professionnel de Mme Hamdi. «Pourquoi as-tu choisi la voie de l’ingénierie dans ton parcours plutôt qu’une autre ?» Mme Hamdi répond par le fait que son paternel est ingénieur de fonction, ce qui l’a inspirée, en plus du fait que l’ingénieur est valorisé car il est besogneux, «travailleur et calé en mathématiques». Tel est le profil caractéristique de l’ingénieur promis au succès de façon générale.
Elle reproche aux jeunes d’aujourd’hui de choisir d’autres filières plus rémunératrices, en oubliant la grande marge de progression dans ce métier. Durant son enfance à Gafsa, ville dont elle est originaire, son père l’emmenait dans les mines et les chantiers pour lui inculquer le goût de construire et de créer : édifices publics, ponts, autoroutes, immeubles… Ce qui n’a fait qu’accentuer sa passion pour le travail qu’elle veut faire partager avec le plus grand nombre aujourd’hui. «Les compétences techniques et technologiques sont les atouts de l’ingénieur», précise-t-elle du reste et «l’obtention du diplôme est loin d’être une finalité».
Mme Hamdi relève ce qui a changé défavorablement avant et après la révolution sur l’ingénierie : «Avant 2011, l’ingénierie était basée sur le secteur public, chose encore valable aujourd’hui, mais dans une moindre mesure». Le salaire de l’ingénieur lui permettait de vivre dignement, ce qui n’est plus valable aujourd’hui, tout comme dans d’autres secteurs par ailleurs. Le diplôme n’est plus qu’un ticket d’entrée sur le marché du travail à cause de l’absence de plateforme qui préserve ses droits. Il devient un technocrate qui répond à un agenda. Des aberrations que Mme Hamdi veut contrecarrer en remettant l’ingénieur au centre des enjeux économiques à défaut d’un épanouissement complexe à matérialiser.
L’ingénieur, électron libre
La spécialiste décrit les nombreuses difficultés et entraves que l’ingénieur rencontre pour la bonne marche de son travail. Elle formule : «Les pays qui se sont développés sont ceux qui accordent une part prépondérante à l’ingénieur dans le col industriel. L’ingénieur s’il n’est pas intégré dans un collectif peut trouver des difficultés en termes d’évolution».
La réussite d’un ingénieur dépend de deux facteurs, selon Mme Hamdi. Le rôle de l’école (en ingénierie), qui investit sur les compétences en connexion avec la sphére privée, va assurer le suivi des stages des étudiants et un ensemble de procédures, comme amener le secteur privé à assister l’ingénieur. Elle précise à ce sujet : «La compétence de l’ingénieur doit être authentique, mais pas gonflée par rapport à sa valeur intrinsèque».
Ensuite, entre en jeu la notion de profession de l’ingénieur avec une distinction entre les associations d’ingénieurs de génie civil d’une part, de mécanique, d’autre part. Elle se demande quels sont les nombres et les standards qui organisent leur profession, sachant qu’ils sont, d’après les informations de Mme Aïdi, de l’ordre de 70.000 ingénieurs toutes spécialités confondues en cours d’activité.
Les ingénieurs occupent des postes-clés décisionnels qui influencent le fonctionnement de la société. «La touche de l’ingénieur est ressentie à tous les niveaux que ce soit au niveau d’un rond-point giratoire dans un endroit dépourvu de cette infrastructure ou encore dans une route cimentée».
Former des ingénieurs performants
Le plaisir de l’ingénieur et son objectif c’est de résoudre le problème des gens. Mme Aïdi croit fermement qu’il est plus facile de changer un ingénieur en apprentissage que celui qui a déjà entamé sa carrière. Comme le dit un célèbre dicton : «Il est plus facile de changer un enfant que de changer un adulte». Sur cette base, elle en appelle aux écoles d’ingénierie à intégrer cette notion dans leur travail d’approche afin de tracer un horizon et un avenir pour une nouvelle génération d’ingénieurs talentueux et compétents. Mme Aïdi reprend son questionnement avec une interrogation importante : «Quels sont les éléments qui permettent à l’ingénieur de développer une carrière d’une toute autre dimension ? Pour plus de reconnaissance et un travail sur des volets qui ont un impact fort, notamment sur la société».
L’experte Mme Hamdi résume en deux points les axes stratégiques d’une carrière d’ingénieur qui se base sur deux aspects, à savoir un technique qui affine ses compétences techniques et un aspect décisionnel dans l’évolution hiérarchique. Les statistiques, l’économie, les finances, le marketing, le management sont des matières indispensables à enseigner dans l’ingénierie de façon complémentaire aux compétences techniques, d’après Mme Hamdi, pour accroître le package d’études approfondies et la qualité de la formation globale. Les interventions auront notamment porté sur la diversité des matières enseignées qui doivent concerner celles qui ont une approche moins technique : le management conflictuel, la psychologie, l’intelligence émotionnelle, la gestion des projets…
Apprendre à négocier, à travailler en équipe, gérer son stress sont des notions qui doivent être intégrées dans la formation d’un ingénieur afin de s’adapter aux besoins du marché de l’emploi post-Covid-19. L’ingénieur d’aujourd’hui doit être conscient, réfléchi et faire abstraction des émotions dans son travail pour baliser la voie du succès. Mme Hamdi recommande aux ingénieurs tunisiens de savoir se projeter pour savoir quelle est la valeur de sa discipline dans le reste du monde, qui compte seulement quinze millions d’ingénieurs.
En ingénierie automobile, en génie civil ou même en informatique, il doit savoir comment la demande évolue et «quels sont les matériaux utilisés et les méthodes employées ?», précise l’experte en ingénierie Mme Hamdi.
Beaucoup d’idées novatrices et prometteuses émises et formulées par Mme Hamdi, comme le fait de prêter serment pour plus de poids et de crédibilité dans les grandes décisions et les engagements à la manière de l’Ordre médical avec le serment d’Hippocrate. Une interview intégrale d’une durée d’une heure à retrouver sur la page Facebook de l’école privée Espita (Monastir).