Depuis ces dernières années, l’école privée occupe une place de plus en plus importante dans le paysage éducatif tunisien à l’heure où l’enseignement public peine toujours à se réformer et les regards accusateurs continuent de se tourner vers ce secteur.
Dans ce contexte particulier de risques sanitaires liés à la pandémie de Covid-19, la rentrée scolaire 2020-2021 ne sera pas habituelle. Des dispositifs ont été mis en place par le ministère de l’Education pour que tous les élèves puissent être accueillis dès le 15 septembre et pour qu’ils puissent continuer à vivre avec le virus en se protégeant. Mais comme chaque année, avec l’approche de la rentrée scolaire, le débat sur l’enseignement public et privé, qui a été marqué par plusieurs divergences de vues, est de nouveau sur la table de discussion.
Le privé, une école sur mesure ?
Sarra, une mère des deux filles âgées respectivement de 8 et 3 ans, observe une dégradation de la qualité de l’éducation dans les écoles publiques pendant ces dernières années. Pour ce faire, dés le début, son choix de l’école privée était définitif et justifié par sa forte volonté d’inscrire ses enfants dans des établissements de qualité pour leur épanouissement personnel et professionnel et surtout pour garantir un enseignement de qualité qui permettra à ses filles d’accéder aux collèges et lycées pilotes afin qu’elles puissent intégrer les grandes écoles et les universités de haut niveau en Tunisie ou ailleurs. «Il n’est pas question de faire marche arrière. D’ailleurs, les grèves répétitives des enseignants, les reports récurrents des examens et l’instabilité des enfants poussent de plus en plus les parents à fuir les établissements publics… Ici, c’est l’avenir de nos enfants qui est mis en péril. Pour moi, c’est une ligne rouge qui n’est pas acceptable. Ce qui fait que la seule alternative qui reste était les écoles privées», souligne-t-elle.
La jeune mère ajoute qu’au-delà de la situation socio-économique du pays, assurer une meilleure éducation à ses enfants reste la principale raison qui pousserait un parent vers le privé. «Je dépense près de la moitié de mon salaire pour la scolarité de ma fille… Je ne suis pas en train de surprotéger mes enfants, mais quand je vois l’état des salles de classe, l’insécurité, les horaires inadaptés aux horaires de travail des parents, les grèves permanentes, le niveau scolaire… je ne regrette pas ma décision…Pour moi, l’enseignement privé est une sorte d’une “école sur mesure” où on peut garantir à nos enfants un environnement favorable à leur développement personnel et à leur autonomie», poursuit-t-elle.
Le privé, un marché très lucratif
Adel et Maroua, parents d’un garçon de 5 ans, indiquent qu’ils ne supportent pas l’idée qu’ils puissent faire du business avec l’éducation de leur enfant. «Depuis que nous connaissons les frais de scolarité qui s’élèvent en moyenne à plus de 6.000 dinars par an, nous nous sommes rendu compte que nous sommes loin du principe de gratuité de l’éducation… Malheureusement, l’enseignement privé est devenu, aujourd’hui, un marché très lucratif où l’école représente désormais un véritable sacrifice financier pour les parents. Si nous choisissons le privé, notre système financier est détruit… et adieu l’épargne pour les études de nos enfants… Notre situation sera comme une bombe à retardement ; on gère au jour le jour, sans savoir ce que sera demain, sans projeter pour l’avenir… par manque de moyens financiers», regrette Adel.
Pour ce faire, poursuit-il, il est du devoir de l’Etat de veiller à ce que personne ne soit empêché de recevoir une éducation adéquate et de prévoir des ressources nécessaires pour permettre au système éducatif d’assurer correctement ses fonctions, tout en mettant l’accent sur l’importance de promouvoir la qualité de l’enseignement public pour former des générations futures compétentes et hautement qualifiées…
Le public bénéficie encore de la confiance des Tunisiens
Une mère de deux enfants, qui veut garder l’anonymat, indique qu’elle maintient le choix de mettre ses enfants dans une école publique. «Nager contre le courant et encourager l’enseignement public fait partie de mes principes… Je ressens comme un malaise à l’idée de mettre mes enfants dans le privé ! Pour ce faire, je vais prendre ce pas vers l’avant même s’il parait risqué et compliqué pour certains, à l’heure où l’enseignement public ne cesse de perdre du terrain face à l’école privée», souligne-t-elle.
Elle ajoute qu’il est plus que jamais temps pour rendre à l’école publique ses lettres de noblesse. «Il y a quelques années, les écoles privées qui existaient, appelées aussi écoles libres, étaient de simples refuges de rattrapage. Elles avaient comme rôle principal d’offrir une deuxième chance aux élèves ayant échoué au secteur public. Mais au bout de quelques années, la donne a totalement changé et les parents ne cessent, aujourd’hui, de fuir l’école publique sous motif que l’enseignement privé jouit d’une bonne image, d’une part, et que leurs enfants y seront mieux encadrés, de l’autre», explique-t-elle.
Sur un autre plan, la jeune maman affirme que l’enseignement privé ne participe pas à la mixité sociale, au contraire, les couches favorisées y sont très fortement surreprésentées alors que les enfants d’employés, d’ouvriers ou de chômeurs sont nettement sous-représentés. «Pour moi, l’éducation gratuite devrait être offerte pour tout le monde sans exception afin de garantir une démocratie sociale pour ne pas hypothéquer l’avenir des prochaines générations», souligne-t-elle, ajoutant que dans l’état actuel des choses, il est vrai qu’on fait face à une bataille de longue haleine, car les parents auront une lourde responsabilité puisqu’ils devront suivre de près leurs enfants, leurs études, leurs devoirs… Ils doivent consacrer le plus clair de leur temps à s’occuper de leurs enfants…C’est une question du principe et à chacun de nous son point de vue.