Le pôle de compétitivité mécatronique de Sousse était la première expérience de clusterisation en Tunisie dont l’amorçage a été financé par l’AFD à hauteur de 750 mille euros. Le coût global du projet de l’Enib est estimé à 13,8 millions d’euros.
L’Agence française de développement a organisé la semaine dernière une tournée de presse de trois jours dans les gouvernorats de Sousse, Kairouan, Ariana et Bizerte à l’intention d’un groupe de journalistes, dont une journaliste de La Presse.
Il s’agit de la première tournée de presse organisée par l’AFD depuis son installation en Tunisie, il y a plus de 25 ans, au cours de laquelle les représentants des médias ont effectué des visites de projets de pointe qui ont été mis sur pied en partenariat avec l’AFD, en l’occurrence le cluster mécatronique de Sousse, le lac collinaire de Hajeb El Ayoun (Kairouan), la station d’épuration d’Esbikha (Kairouan), le quartier réhabilité El Bokri à Sidi Thabet (Ariana) et l’Ecole d’ingénieurs de Bizerte. Lors de ces visites, les journalistes se sont également entretenus avec des chefs de projet, des entrepreneurs et des responsables.
L’expérience de clusterisation à la technopole de Sousse
La visite du cluster mécatronique de Sousse «Novation City» avait pour objectif d’examiner de près la première expérience de clusterisation en Tunisie. C’est un modèle sur lequel a travaillé la société «Novation City» depuis 2012 en partenariat avec l’AFD qui a financé son amorçage à hauteur de 750 mille euros.
L’objectif était de créer, dans le cadre d’un écosystème d’innovation dans le secteur mécatronique, une dynamique et une synergie entre l’enseignement supérieur, la recherche scientifique et les entreprises. «Ce cluster a permis de développer au moins une dizaine de projets collaboratifs entre des startup, des entreprises de grande taille et l’Ecole d’ingénieurs ou les centres de recherche. Ces produits sont aujourd’hui commercialisés à l’international, ce qui a permis le développement et la montée en puissance de certaines startup», nous a expliqué Hichem Turki, directeur général de «Novation City».
A vrai dire, le pôle de compétitivité mécatronique de Sousse constitue un véritable terreau fertile d’innovation. Les solutions technologiques innovantes conçues par la multitude de stratup qui y sont implantées en sont une preuve éclatante. D’ailleurs, la crise du coronavirus était l’occasion rêvée pour que l’écosystème en place depuis huit ans ait pu libérer son potentiel innovant et ait contribué, à grand renfort de solutions technologiques, aux efforts de lutte contre l’épidémie durant la première vague du virus.
«Enova Robotics», la startup qui fait florès
Parmi les composantes du pôle, figure la pépinière d’entreprises. C’est là où est hébergée «Enova Robotics», la startup qui a conçu et fabriqué le fameux robot intelligent de sécurité Pguard qui a été déployé par le ministère de l’Intérieur pour faire respecter le confinement. Outre Pguard, l’équipe d’ingénieurs d’Enova Robotics s’est penchée sur la conception du robot d’accompagnement familial «OGY» qui est doté d’une intelligence artificielle lui permettant de s’adapter aux besoins de son propriétaire.
L’entreprise a également mis au point, durant la période du confinement, le robot jasmin qui est un robot d’accueil dans les services Covid. Il fait la présélection des patients à leurs arrivées, grâce à un questionnaire auquel le patient est invité à répondre pour décider s’il doit être orienté vers le service Covid ou vers un autre service. Ce projet a été développé avec une autre start tup I compass qui a travaillé sur le ChatBot. Actuellement, «Enova Robotics» est en pleine expansion. Elle compte doubler, voire tripler son effectif d’ingénieurs.
Un marché porteur en matière d’intelligence artificielle
«Valomnia» est également une startup qui fait florès à «Novation City». Ayant pu bénéficier d’un financement adéquat, l’entreprise a pu développer des solutions technologiques innovantes dans deux domaines différents. En effet, «Valomnia» propose des solutions de dématérialisation du processus de vente des cartes SIM.
Pour son directeur général, Tahar Jarboui, le déclic est survenu lorsqu’en 2012, l’opérateur téléphonique MTN Nigeria, a recensé 5,8 millions de clients non identifiés et que le régulateur national lui a imposé une amende de mille dollars par client non identifié. L’opérateur a écopé d’une amende de 5,8 milliards de dollars, soit la moitié du capital de l’entreprise à son implantation au Nigeria. “Le problème de l’identification venait principalement de l’acte commercial parce que les cartes SIM téléphoniques étaient en train d’être vendues un peu partout sans qu’il ait des moyens fiables permettant d’identifier la personne associée à cette carte SIM. Nous avons commencé à développer une solution avec un opérateur local en Tunisie. Cependant, nous avions un certain nombre d’éléments, mais il nous manquait une partie de la solution, principalement la partie matérielle : comment packager le produit ensemble. Et grâce au financement qu’on a eu à travers ce projet collaboratif, nous avons pu travailler avec d’autres acteurs qui se sont penchés sur la partie matérielle (notre startup a développé la partie logiciel qui était notre point fort) et on a pu finaliser un produit compétitif sur le marché qui nous a permis effectivement de reprendre le marché en Côte d’Ivoire où l’opérateur téléphonique MTN Côte d’Ivoire était dans une situation plus accablante que MTN Nigeria avec beaucoup plus de clients non identifiés. Grâce à notre solution, on a pu fiabiliser 3 millions de pièces d’identité et identifier 4 millions de pièces d’identités factices, ce qui leur a permis d’arrêter les lignes et dématérialiser, en contrepartie, 3 millions de pièces d’identité en moins d’un mois. Nous avons repris cette solution au Cameroun et en Tunisie”, relate M. Jarboui.
Une politique pour retenir les compétences
Le pôle de compétitivité de Sousse aspire à être «la Slicon Valley» de l’Afrique. C’est ce qu’a souligné Anas Rochdi directeur innovation à Novation City, lors de la présentation du cluster.
“Novation City gère trois zones d’excellence économique, en l’occurrence la technopole de Sousse, la zone industrielle d’Enfidha et la Business City de Sousse. Sa mission est de promouvoir l’entrepreneuriat, soutenir les startup et construire un écosystème innovant dans le secteur mécatronique, avec un focus sur les marchés du futur qui sont les Smart Cities, le transport intelligent et la smart industrie”, a-t-il expliqué.
Et d’ajouter “Le cluster a développé 4 programmes d’accompagnement pour ses clients, à savoir «Novation Business» acceleration pour le développement des projets, «Novation Open Lab» pour l’acquisition des technologies et le développement des compétences, le programme qui finance l’innovation pour la levée des fonds et le programme Go International pour l’internationalisation des startup”.
Comment attirer les ressources humaines? C’était également l’une des questions sur laquelle on a réfléchi à la technopole. Il va sans dire que les compétences dans des secteurs pointus comme la mécatronique ou l’informatique se font de plus en plus rares et les retenir est une tâche ardue, notamment pour les startup. C’est pour cette raison que la technopole a mis en place une politique de rémunération, plutôt avantageuse, fait-on savoir.
“La moyenne des salaires sur la technopole est un peu plus importante que ce qui se trouve à l’extérieur”, a affirmé Hichem Turki. Un programme d’alternance Etudes-Travail, pour les techniciens qui souhaitent poursuivre leurs études en ingénierie, a été également mis en place dans l’objectif d’assurer une certaine stabilité pour les startup. Actuellement, trois entreprises du cluster sont en train de l’appliquer en partenariat avec une université privée.
Ecole d’ingénieurs de Bizerte
La visite de l’Enib était une occasion de découvrir un des joyaux des universités tunisiennes. Ce projet de partenariat scientifique franco-tunisien a, réellement, vu le jour en 2009 lorsque cette école a ouvert ses portes aux élèves ingénieurs, tout en étant hébergée au sein de l’Institut supérieur d’études technologiques de Bizerte (Iset Bizerte).
Dans l’attente de la livraison de ses locaux, l’Enib a, depuis, formé plusieurs centaines d’ingénieurs industriel et mécanique. “Malgré les conditions difficiles dans lesquels nous nous efforçons, actuellement, d’assurer l’enseignement des étudiants, le taux d’employabilité de la spécialité génie industriel est très élevé. Nous livrons, également, aux universitaires, à la fin du cursus, un double diplôme grâce aux partenariats passés avec l’Ecole nationale supérieure d’arts et métiers ParisTech (Ensam). Un autre partenariat avec l’Ecole normale supérieure de Paris Saclay est en train de voir le jour”, a fait savoir le secrétaire général de l’Enib, Atef Doggui.
Outre les génies industriel et mécanique, l’Enib lancera, lors de cette rentrée universitaire, une troisième filière orientée vers le génie civil et les bâtiments intelligents. Les travaux de construction de l’Ecole ont démarré en 2014, mais ont été suspendus, fin 2015, à cause d’un incident survenu suite à l’effondrement d’une partie de dalle nouvellement construite. “Il y avait un problème technique de calcul qui a engendré l’effondrement d’une partie de dalle de la bibliothèque. Le chantier a été arrêté pendant 18 mois, puis on a tout repris au mois de mai 2017 et il y a eu des travaux colossaux de renforcement. Les travaux prendront fin définitivement en juin 2021”, a expliqué Salah Ksouri, l’architecte concepteur.
Le coût global du projet qui est financé en totalité par l’AFD est estimé à 13,8 millions d’euros. “C’est un bâtiment qui s’étend sur 16 mille m2 couverts qui a la forme d’une enceinte fermée. Outre le bloc administratif et le grand auditorium, il comporte une pépinière d’entreprises, des plateaux de génie civil, mécanique et industriel, une salle polyvalente et la bibliothèque”, a fait savoir M. Ksouri. A son ouverture, l’école sera dotée d’équipements de pointe dans le domaine de la mécanique et des bâtiments intelligents. A l’achèvement des travaux, la capacité d’accueil de l’Enib devrait atteindre les 1.200 étudiants.