Après un long processus de réflexion, de concertation et d’observation des exemples comparés, le Conseil de presse tunisien est fin prêt ! Il commencera bientôt à participer à ancrer des normes de l’autorégulation en matière de presse écrite et électronique.
Dans un poste publié sur Facebook le 6 septembre, le Doyen Chawki Tabib accusait une journaliste du quotidien Echourouk de mensonge et de diffamation. Selon l’ancien président de l’Inlucc, ce média lui reproche sans preuves aucunes de distribuer des chèques aux associations et journalistes chargés de « blanchir ses actes de corruption », écrit-il, et de payer la scolarité de son fils au Canada sur les comptes de l’Instance qu’il dirigeait jusqu’à la date de son limogeage par l’ex-Chef du gouvernement il y a deux semaines. Chawki Tabib menaçait dans son poste de porter plainte auprès du Conseil de la presse dès qu’il commencera à fonctionner, « très bientôt », promettait-il.
En effet le Conseil de presse tunisien entrera en activité« d’ici le 15 septembre », annonce Neji Bghouri, président du Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt). Après un long processus de réflexion, de négociations et de structuration, il pourra dans les jours à venir participer à la régulation du métier de journalistes de la presse écrite et électronique.
Neuf membres avec une majorité de journalistes
L’idée du Conseil de presse tunisien a commencé à faire son chemin depuis une dizaine d’années, avec la mise en place de la régulation audiovisuelle (décret-loi 116) à travers la Haica. Le décret-loi 115, qui représente le Code de la presse, donne des jalons à la profession, notamment en matière de presse écrite, mais montre ses limites concernant les médias électroniques, qui ont connu une grande audience et une large diffusion après la Révolution, où l’on a inauguré le temps de la convergence. A savoir l’utilisation dans une même rédaction de plusieurs types de contenus : sites, contenus audiovisuels et presse papier. L’année 2013 a vu la tenue de plusieurs ateliers et réunions de concertation entre le Syndicat national des journalistes tunisiens, la Fédération tunisienne des patrons de journaux et la société civile représentée notamment par des membres de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme. L’organisation Article 19 a joué dans ce cadre-là le rôle de facilitateur d’un projet censé doter la profession d’un dispositif d’autorégulation et de déjudiciarisation des plaintes à l’encontre des journalistes.
En 2017, est créée l’Association de soutien au Conseil de presse, qui est dirigée par Neji Bghouri, président du Snjt, et dont le trésorier est Taieb Zahar, président de la Fédération tunisienne des patrons de journaux. Elle a installé un Conseil de presse provisoire qui a commencé à réfléchir sur la forme et l’identité juridique du Conseil et à préparer ses statuts. C’est l’Association qui est responsable de la mobilisation des moyens financiers nécessaires au bon fonctionnement du Conseil. Parmi ses prérogatives également : aider le Conseil à mettre en place ses outils de travail pour le monitoring, la médiation, la conciliation, la recherche, la formation et la sensibilisation. Au consensus, l’Association a fini par choisir les neuf membres de cette nouvelle instance, qui seront validés ce samedi. Ils représentent la profession dans sa diversité, les médias (les patrons de presse notamment) et la société civile (un magistrat et un militant des droits humains).
« L’aspect générationnel, le genre et la provenance des régions nous ont guidé dans la désignation des journalistes qui seront au Conseil. La connaissance du terrain, la crédibilité et le professionnalisme ont été également des critères de choix de la catégorie des journalistes », explique Neji Bghouri.
Financement par l’Etat à hauteur de 50%
Le Conseil sera financé à hauteur de 50 % par l’Etat : « Nous estimons que cette instance offre un service pour la démocratie et dans l’intérêt du public. Par conséquent, elle a le droit de recevoir l’argent du contribuable », fait remarquer le président du Snjt. Le reste de son budget proviendra des contributions de ses membres (journalistes et patrons de presse) et des dons non conditionnés des ONG militant pour les droits humains.
Parmi les organes du Conseil, on compte trois commissions : la commission éthique, qui va développer la charte éthique du Conseil, la commission des plaintes, une sorte de tribunal de l’instance et la commission chargée de la formation.
Neji Bghouri est convaincu que le Conseil de presse peut améliorer la qualité des contenus « en introduisant les bonnes pratiques dans ce domaine, en inaugurant la culture de la redevabilité, en protégeant le public des dérapages d’une presse de caniveau et du discours de violence et de haine et en sauvegardant la diversité médiatique.
« Nous voulons établir de nouveau un contrat de confiance entre le public et la presse », espère Neji Bghouri.
Le Conseil de presse sera-t-il une instance en plus ? S’avancera-t-il comme une instance formelle ou plutôt une structure réellement agissante et ayant un vrai impact sur le secteur ? Ce secteur de la presse toujours en mal de réformes profondes et qui a montré depuis la Révolution et à de multiples reprises plusieurs types de faiblesses.
Pour ce Conseil, d’autres équations restent à résoudre : l’indépendance par rapport au pouvoir dans toutes ses formes, son ouverture sur le public et un équilibre à trouver entre liberté de la presse et respect des règles déontologiques.
Une charte en 13 pages
La Charte du Conseil de presse s’inspire de plusieurs textes fondamentaux en la matière dont la Charte de déontologie de Munich, plus connue sous le nom de la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes, signée en 1971. Mais aussi de la charte de la Fédération internationale des journalistes (FIJ) et de celle de la Société des journalistes professionnels américains (SPJ). Long de trente pages, ce document crucial pour cette nouvelle instance d’autorégulation va servir de référent pour le Conseil afin d’émettre ses décisions quant aux plaintes reçues ou les défaillances déontologiques interceptées par son dispositif de monitoring.
Comme d’autres documents du genre, la Charte du Conseil de presse revient sur les règles et usages d’une presse de qualité, professionnelle, indépendante de tout pouvoir et redevable au public qu’elle doit servir. Elle insiste sur tous les détails entourant la pratique du journalisme : la signature, le droit à l’image, le droit de réponse, l’autorectification, l’atteinte à l’honneur des personnes, les sources et leur protection, la couverture des attaques terroristes, le recours à la caméra et au micro cachés, les relations du journaliste avec les institutions militaires et sécuritaires, les sondages d’opinion, l’utilisation des réseaux sociaux…
D’un autre côté, une partie de la charte est consacrée aux droits et devoirs des journalistes. Ainsi, les professionnels de l’information ont le droit d’accéder à l’information et peuvent mener des enquêtes de tous genres ayant une dimension d’intérêt public. Ils bénéficient du droit de recourir à la clause de conscience et du droit à leur intégrité physique et morale. Ils ont aussi, selon la charte, le droit d’être informés des décisions cruciales concernant l’entreprise où ils travaillent. Leurs devoirs sont multiples. Ils vont de l’exigence de l’honnêteté intellectuelle au respect de la vie privée d’autrui, à la distinction entre l’information et le commentaire et entre le journalisme et la communication. L’interdiction du discours de haine, de racisme, de sexisme et de régionalisme fait aussi partie de l’arsenal de devoirs cités par la charte.