La pandémie du Covid-19 et les mesures de confinement, prises par la majorité des pays, frappent fort les agences de voyages. En Tunisie, près de 98% des entreprises du secteur semblent être menacées, selon les affirmations des premiers responsables du secteur. Les agences de voyages et les tour-opérateurs (voyagistes) font partie des secteurs qui subissent le plus sensiblement la crise pandémique et les restrictions aux voyages à l’étranger les ont lourdement affectés. Depuis quelques mois déjà, le secteur vit la pire crise de son histoire, les pertes sont estimées à plus de 300 millions de dinars. La baisse de l’activité des agences de voyages aurait atteint plus de 80 % au cours des 9 premiers mois de l’année 2020. Où en sont ces entreprises aujourd’hui et où elles en seront le 31 décembre prochain ?
Le président de la Fédération tunisienne des agences de voyages (Ftav), Jabeur Ben Attouch, ne rate aucune occasion pour rappeler le bilan inquiétant du secteur des voyages. Pour lui, le secteur est, aujourd’hui, lourdement impacté par la crise du coronavirus. Le secteur, qui compte plus de 1.300 agences de voyages et offre près de 20 mille emplois directs et indirects, est dans une situation financière délicate. «28% des agents exerçant dans cette filière ont été déjà licenciés, après le confinement général, ce qui représente 6.000 postes d’emploi», a assuré Ben Attouch lors d’un récent passage télévisé. Les agences de voyages ne sont plus en mesure de payer leurs salariés et leurs dettes. Selon une déclaration faite par Ben Attouch, «depuis que le gouvernement a annoncé la fermeture des frontières aériennes tunisiennes, 300 agences, sur un total de 1.300, dont l’activité principale est la vente des billets, ont reçu plusieurs demandes de remboursement de la part de leurs clients. Depuis le mois de février, 70% à 90% des vols ont été annulés. Et c’est là que les agences ont commencé à vivre un véritable cauchemar. Ils ont été submergés par les demandes de remboursement. La situation devient des plus compliquées. Les pertes se suivent et les chiffres d’affaires des émissions des billets ont baissé de 70 MD à 40 et 45 MD. Pour l’activité de la Omra, les pertes sont estimées à 17MD».
Que des promesses…
Toujours selon le président de la Ftav, et en se référant à une étude réalisée le 9 octobre auprès de 754 agents de voyages, «80% des agences de voyages contactés ont affirmé qu’elles ne pourront plus résister à cette crise et honorer leurs engagements financiers, au-delà du mois de septembre. 18 % affirment pouvoir résister jusqu’à la fin du mois d’octobre, soit ainsi, un total de 98% des agences menacés de faillite. Face à cette situation, l’Etat doit intervenir en activant la mesure relative à la mise en place d’une ligne de crédit de 500 MD, destinée à permettre aux établissements hôteliers et touristiques touchés par la pandémie du Covid-19, de payer les salaires de leurs employés».
«Aujourd’hui, les professionnels sont dans l’impasse. Aucun crédit n’a été octroyé aux agences », assure le propriétaire d’une petite agence de voyages. «Le problème consiste dans le fait que la convention, relative à cette ligne de crédit, signée par le ministère des Finances et la Société tunisienne de garantie (Sotugar), a été rejetée par les banques, qui revendiquent la modification d’un nombre de clauses». Selon lui, 60 % de ces mêmes banques sont des actionnaires dans cette société de garantie. «L’Etat doit mettre en place un plan beaucoup plus sérieux et responsable pour sauver ce secteur, douloureusement endommagé», a-t-il averti. Il garantit que «seulement 50 agences ont reçu l’accord de principe des banques, sur un total de 268 agences qui se sont inscrites sur la plateforme ‘‘entreprise.finances.gov.tn’’, pour bénéficier de ces crédits». Jabeur Ben Attouch affirme que «seulement 25 % des professionnels du secteur se sont inscrits sur la plateforme. 75% ne prévoient pas de s’inscrire, car ils jugent que ce crédit ne fera qu’alourdir leurs comptes. Il est vrai que parmi les 16 points que nous avons présentés à la présidence du gouvernement, au ministère du Tourisme… figure ce crédit, mais d’autres demandes ont aussi été formulées, comme la prise en charge du chômage technique. Pour nous, la question de liquidité est importante, mais d’autres points le sont également pour sauver le secteur, comme la cession de tous les payements… Hélas, nous n’avons que des promesses».
Quelles solutions ?
Par ailleurs, et en ce qui concerne la prime de 200 dinars octroyée aux salariés durant la période du confinement général, selon le responsable, seuls 29% des employés des agences de voyages ont reçu ladite prime pour le mois d’avril et juste 2,5% d’entre eux l’ont reçue au cours du mois de mai. A ce propos, un autre agent de voyages, que nous avons contacté, nous assure que beaucoup comme lui sont incapables de payer leurs charges ; les salaires du personnel, la Cnss, le loyer, les moyens de transport, l’impôt, les charges quotidiennes…
Toutes les agences de voyages vivent le même calvaire. Pour lui, les grosses boîtes sont plus vulnérables que celles à taille réduite. «Ces dernières ont plus de charges et peuvent d’un jour à l’autre annoncer leur faillite». Il ajoute, «les banques nous considèrent comme un secteur à risque. Nous n’avons aucun soutien de leur part. Avant cette crise et en temps normal, ces dernières nous autorisaient à travailler dans le rouge (15 à 20 mille dinars tolérés). Les banquiers savent que nous avons des périodes de récupération, comme le réveillon, les vacances d’été, les vacances scolaires… qui nous permettent de rembourser nos dettes. Actuellement, les banques sont assez frileuses et ne tolèrent pas plus de 6 à 7 millions dans le rouge. Au-delà de ces sommes, ils arrêtent toutes les opérations et nous lâchent. Depuis le mois de mars dernier, le secteur bancaire nous qualifie de secteur à risque». Cet agent de voyages partage l’appel de la Ftav, «l’Etat doit intervenir auprès des banques pour reporter les échéances de leasing, mais aussi de différentes charges (crédits bancaires, cotisations sociales, impôts…), et ce, jusqu’au mois de décembre 2021. Sans ce soutien, personne ne pourra résister à la crise et ce sera l’effondrement du secteur». Tous les professionnels du secteur réclament un véritable engagement de la part de l’Etat. «Nous estimons que l’Etat n’a pas encore une position claire. Le gouvernement se doit de respecter ses engagements, alors que les trésoreries des agences de voyages connaissent une crise de liquidité sévère. Il s’agit notamment de la mise en place de la ligne de crédit, de 500 millions de dinars, destinée à permettre aux établissements hôteliers et touristiques touchés par la pandémie du Covid-19 de payer les salaires de leurs employés», appelle un autre agent de voyages. Ce dernier plaide également pour une réévaluation des critères de sélection, afin que cela profite à un maximum de compagnies. «Seules 268 agences ont été déclarées éligibles au crédit sur la plateforme mise en place par le gouvernement et c’est, à mon sens, très peu». Parmi les solutions avancées par les professionnels : «Faire profiter les employés, qui atteignent les 55 ans, du mécanisme de la retraite anticipée et de trouver des formules avec les compagnies d’assurance pour le paiement de la prime d’assurance multirisque professionnelle de 2021, que ce soit à travers une amnistie ou un échelonnement ». Quelles que soient les solutions proposées par les professionnels du secteur ou les disponibilités de l’Etat, il faut reconnaître que le plus important est de soutenir ce secteur en détresse.