Salah Amamou ne cache pas son mécontentement et sa colère face à l’indifférence, au mépris et au non-respect des promesses annoncées par les gouvernements qui se sont succédé pour protéger et sauver l’artisanat, souvent considéré comme le grand oublié de cette crise sans précédent.
Durant des années, l’artisanat a souffert d’être le parent pauvre de l’économie nationale. Les raisons ne manquent pas pour dresser un bilan sombre et macabre de la situation du secteur ; entre menace de disparition des métiers, invasion des produits asiatiques, baisse du pouvoir d’achat, augmentation du taux de chômage…, le secteur de l’artisanat risque de perdre ses spécificités originelles. A cela s’ajoute la crise sanitaire du coronavirus, qui était la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Aujourd’hui, ce secteur peine à trouver la place qu’il devrait occuper dans le développement économique du pays. Pis encore, l’artisanat est actuellement à l’arrêt total et plus de 50% des métiers pourraient disparaître définitivement !
Cri d’alarme et colère des artisans
Dans une tentative d’attirer l’attention des autorités concernées sur la gravité de la situation et la nécessité d’agir de manière urgente pour sauver ce secteur sinistré, le président de la Fédération nationale de l’artisanat (Fena), Salah Amamou, indique que l’épidémie du coronavirus a contraint prés de 50% des entreprises artisanales à fermer totalement leurs portes, alors que plus de 90% d’entre elles sont en situation de blocage total. Les 10% d’entreprises restantes maintiennent une activité partielle même si leur chiffre d’affaires a fondu…En moyenne, le secteur de l’artisanat a subi une perte de chiffre d’affaires de plus de 80%.
« Certains affirment qu’en Tunisie, on constate toujours un manque de statistiques officielles complètes et que les chiffres ne disent pas tout. Mais pour le secteur de l’artisanat, on ne peut pas cacher le soleil avec la main…A titre d’exemple, le métier de confection du tapis est aujourd’hui quasiment abandonné, avec un taux de production qui ne dépasse pas les 6% ! De même pour les secteurs de l’artisanat du cuivre et de la céramique qui ont perdu respectivement 70% et 60% de leur productivité» précise-t-il, dans une déclaration accordée au journal La Presse.
Amamou ajoute que l’alerte avait été donnée à plusieurs reprises, mais le silence et la passivité règnent toujours. «Rien de pire que de garder le silence quand il y a un problème! Les autorités concernées devraient bouger, car si elles ne changent pas de posture et de stratégie, l’artisanat n’aura pas de place dans le paysage économique tunisien puisque la plupart des artisans sont dans une situation critique et ne bénéficient pourtant pas des aides et des mesures annoncées par le gouvernement», regrette-t-il.
L’e-commerce, vraie bouée de sauvetage ?
Amamou affirme que dans le cas habituel, plus de 90% des produits artisanaux sont vendus dans des salons, expositions ou foires, dans les lieux touristiques et sur les marchés d’exportation. Mais depuis le déclenchement de la crise sanitaire liée au coronavirus, les secteurs de l’événementiel, des foires et salons ont connu des annulations massives et les reports continuent de pleuvoir dans ce contexte marqué par la pandémie de Covid-19 et de sa propagation rapide. «Commandes annulées, accumulation du stock invendu chez les artisans, annulation de la plupart des salons et foires, arrêt total de l’activité… Multiples sont les difficultés rencontrées par les artisans dans un contexte de grandes marées», souligne-t-il.
Pour ce faire et afin de dynamiser les ventes et promouvoir le secteur de l’artisanat, effondré lors de la crise économique et sanitaire actuelle, Salah Amamou a proposé de booster le secteur de l’e-commerce, qui sera l’une des solutions capables de sauver ce secteur stratégique. « Les artisans ont besoin de cette bouffée d’oxygène pour vendre leurs produits à travers les marchés électroniques. Pourtant, le chemin vers une vraie mise en place de tout un secteur de commerce en ligne reste une bataille de longue haleine! Entre procédures administratives complexes, bureaucratie, paperasse, et plusieurs exigences de la part des banques et des services monétaires, le chemin sera long, lent et parsemé d’obstacles. Difficile mais cela vaut le coup car le stock invendu chez les artisans ne cesse d’augmenter», souligne Amamou.
Une stratégie spécifique
D’après Salah Amamou, il serait intéressant de mener une stratégie spécifique qui s’adapte au contexte actuel. On n’a pas besoin d’une boîte de solutions prête ou inspirée d’autres pays. « Un regard sur le passé et une évaluation de la situation depuis l’Indépendance à nos jours pourraient mener à une solution radicale capable de mettre fin à la souffrance de ce secteur… Il existe des éléments forts et intéressants qu’on doit consolider. Mais, de l’autre côté, il faut éviter de répéter les erreurs précédentes et passer à l’action sans perdre plus de temps car la machine économique ne s’arrête pas», explique-t-il.
Dans ce même cadre, il affirme que les décisions du Conseil ministériel restreint du 15 février 2016 qui se résument en trois axes: la mise en place d’une structure pour l’approvisionnement en matières premières et pour la commercialisation des produits du secteur dans le cadre d’un partenariat public-privé, la création d’un système de formation professionnelle propre au secteur de l’artisanat sous la tutelle de l’Office national de l’artisanat, la transformation du Centre technique du tapis et du tissage en une agence disposant des compétences nécessaires pour fournir la matière première et commercialiser le produit pour le secteur du tissage et du tapis, sont toujours d’actualité et devraient se transformer en réalité et non rester des promesses sur papier. «Donc, les solutions ne manquent pas. Il suffit de trouver la volonté et la détermination nécessaires pour passer à l’action», souligne-t-il.