Enfant de la banlieue nord, il aurait été plus commode et naturel de le voir porter la tunique de l’Avenir Musulman de l’époque (l’AS Marsa aujourd’hui), compte tenu d’impératifs géographiques et de proximité tout à fait logiques. Mais le destin de Hamadi Touati allait être lié au club «sang et or» avec lequel il goûta aux sacres et au prestige qui en découle.
«Mon foot à moi se situe à des années-lumière de la haine et tensions qui se manifestent aujourd’hui. Ma génération se nourrissait d’un sport noble, d’un esprit sain dans un corps sain», témoigne-t-il dans cet entretien.
Hamadi Touati, dites-nous d’abord, que représente pour vous l’Espérance ?
Quelque chose de sacré. Depuis ma retraite sportive, je ne veux plus suivre nos rencontres, parce que je souffre énormément. L’émotion est trop forte pour moi. Mais que vos lecteurs se rassurent: ma passion exclut le moindre accent de chauvinisme. Le sport est tout sauf l’intolérance qui se manifeste aujourd’hui. Mon foot à moi se situe à des années-lumière de la haine et des tensions devenues la marque de fabrique des compétitions de chez nous. Ma génération se nourrissait d’un sport noble, d’un esprit sain dans un corps sain. Je me rappelle avoir disputé un match amical une mi-temps avec l’EST, une autre avec le CA en 1965-1966. Pour son cinquantenaire fêté en 1969, l’EST a invité le club belge d’Anderlecht. Nous avons formé une entente composée des joueurs de l’EST, CA, ASM… On était comme dans un même club.
Pourquoi avez-vous opté pour l’EST, alors que vous êtes l’enfant de la banlieue ?
C’est le choix du cœur, car toute ma famille est espérantiste. Mon frère Tahar a évolué à l’EST parmi les cadets et juniors. Mon neveu Jalel a joué dans l’équipe de handball «sang et or», avant d’émigrer en France. C’est mon beau-frère, Brahim Sakouhi, qui a été à l’origine de ma signature au club de Bab Souika. Pourtant, enfant de Carthage-Dermech, j’aurais pu signer à l’Avenir Musulman (actuel Avenir Sportif de La Marsa) d’autant que la star marsoise, Taoufik Ben Othmane, était mon idole. En fait, à l’EST, je passais pour être l’exception, car chaque joueur venait d’un quartier de Tunis, alors que j’étais pratiquement le seul à venir de la banlieue.
Vos parents vous ont-ils encouragé à pratiquer le sport ?
Mon père Jalloul Touati, d’origine algérienne, n’accordait guère d’intérêt au sport. Quant à ma mère Neïla, elle ignora longtemps le fait que je jouais au football. Je m’entraînais entre midi et 14h00 avec les équipes des jeunes, et je lui disais que les études me prenaient tout ce temps-là. En partant le dimanche disputer les rencontres des jeunes, je prétendais que j’allais rejoindre le lycée pour disputer le championnat scolaire. Jusqu’au jour où ma mère découvrit le pot aux roses à l’occasion du match ESS-EST du 5 mars 1961 en quarts de finale de la Coupe de Tunisie. Ce jour-là, j’ai vu la mort de mes propres yeux, comme on dit. Nous l’avons emporté (2-0) à Sousse même. Les Etoilés contestèrent certaines décisions de l’arbitre Mustapha Belakhouas. Le jet de pierres qui s’ensuivit a détruit toutes les vitres du bus qui transportait l’équipe juniors de l’EST où j’ai pris place. Il nous a fallu nous cacher sous les sièges, protégés par nos sacs de sport. En rentrant, j’ai dû tout raconter à ma mère. Toute la semaine, en rentrant de mes études, ma mère me soignait en extrayant de mon dos des débris de verre, séquelles du caillassage du bus à Sousse, et qui continuaient à me torturer. Les violences, qui ont suivi ce match, restent mon plus mauvais souvenir. L’Etoile du Sahel a été par la suite dissoute pour une saison.
Qui vous a découvert ?
Chedly Ben Slimène, mon prof de sport au Lycée Alaoui. Au départ, je pratiquais l’athlétisme, et Si Chedly a décelé en moi des dons de footballeur. Direction l’Espérance où Ameur Bahri entraînait les jeunes. J’ai débuté en 1960 avec les cadets en tant… qu’attaquant. Et j’allais rester à ce poste jusqu’à mon premier match seniors, en 1962, à Monastir. L’USM comprenait alors de très grands joueurs, tels que Mahfoudh Benzarti dit «Al Moujahid», Nouri Hlila, Jouili, Moncef Tabka dans les bois… J’ai eu la chance d’inscrire notre but (1-1). Polyvalent, j’ai retrouvé le poste d’avant-centre durant quelques matches de la saison 1968-1969.
Alors, comment êtes-vous devenu défenseur ?
Nous devions jouer un match de coupe juniors contre l’UST que nous avons d’ailleurs remporté (6-0). Notre entraîneur, Hassen Tasco, a tout d’un coup découvert qu’il dispose pour ce match de beaucoup plus d’attaquants que de défenseurs. J’ai alors spontanément proposé à notre coach d’occuper le flanc gauche de la défense. L’entraîneur de l’équipe seniors, le Français Jean Baratte suivait cette rencontre où j’ai donné satisfaction à un poste inhabituel pour moi. Pourtant, je suis droitier.
Il n’en reste pas moins que, parmi les seniors, vous allez devenir défenseur axial….
Oui, après mes débuts sur le flanc gauche, je me reconvertis en défenseur axial aux côtés de Ridha Akacha, là où nous relevons Aloui et Youssef Baganda. Pour préparer les Jeux méditerranéens de Tunis, en 1967, le sélectionneur national me convoque en tant que défenseur gauche. Pour des raisons familiales, je décline la convocation. Je ne pouvais pas m’absenter aussi longtemps loin de ma famille, à commencer pour le stage de préparation en Hongrie. Ce refus me valut d’être, par la suite, écarté du onze national où je faisais figure de remplaçant de Mahfoudh Benzarti ou d’Ahmed Lamine. A 22 ans seulement, cela laisse inévitablement un arrière-goût d’amertume.
Comment s’est faite votre intégration parmi l’effectif de l’EST ?
Mon club venait d’essuyer une terrible déconvenue (6-0) contre la formidable équipe de l’Union Sportive Tunisienne de l’époque. De quoi provoquer un profond malaise et un fort sentiment d’humiliation. Notre président Chedly Zouiten demande sur le coup à l’entraîneur de construire une équipe pour l’avenir. Haj Ali, Khaled, Abdelmajid Tlemçani sont écartés. Place à six juniors lancés dans le grand bain des seniors : Taieb Mezni, Abdeljabbar Machouche, Abdessalam, Sadok Meriah, Fethi Tnanni et moi-même. Cette saison-là, nous avons dû cravacher dur afin d’assurer notre maintien parmi l’élite. Rached Meddeb et Salah Nagy étaient les seuls rescapés de la vieille garde, alors que Chedly Laâouini débarque dans l’équipe-fanion. La saison d’après, en 1964, nous terminons deuxièmes du championnat derrière le Club Africain et décrochons la Coupe de Tunisie devant le Club Sportif d’Hammam-Lif (1-0, but de Chedly Laâouini). Un trophée très cher, car remporté dans des circonstances particulières, juste après le décès de notre président charismatique, Chedly Zouiten, un véritable éducateur parti le 1er août 1963.
Quels furent vos entraîneurs ?
Mouldi Laâroussi, Hassen Tasco, Abderrahmane Ben Ezeddine, Cheikh Draoua, Am Mehrez, Hedi Feddou, les Français Robert Domergue et Jean Baratte et le Hongrois Sandor Pazmandy.
Quel est le plus grand footballeur tunisien de tous les temps ?
Noureddine Diwa, sans conteste.
Les meilleurs joueurs de l’EST ?
Hassen Tasco, Salah Nagy, Abderrahmane Ben Ezeddine, Haj Ali, Rached Meddeb, Hedi Feddou, Mehrez, Abdeljabbar Machouche, Abdessalam, Tarek… Je citerai aussi Larbi Gueblaoui et Abdelkader Ben Sayel pour leur incroyable engagement et esprit de corps, et Abdelmajid Ben Mrad, un artiste-né auquel il arrive parfois de dépasser les limites…
Qu’avez-vous fait une fois les études arrêtées ?
Notre président entre 1963 et 1968, Mohamed Ben Ismaïl, brillant journaliste reconverti en grand éditeur, m’embauche à Cérès Editions, dont il va faire une maison-phare de l’édition dans notre pays. J’y ai fait toute ma carrière professionnelle. Ben Ismaïl me montra le bon chemin. Je n’ai jamais fumé ou bu. Cela m’a permis d’observer une hygiène de vie impeccable.
De combien était votre prime pour la victoire en Coupe de Tunisie 1964 ?
A peine 5 dinars, ou quelque chose comme ça. Mais le plus important, ce fut un voyage à Paris offert cet été-là par notre club. Ce séjour nous a permis de voir à l’œuvre des clubs aussi prestigieux que le Real, Reims, Anderlecht, Dortmund et le Santos du Roi Pelé, tous invités dans un tournoi au Parc des Princes.
Cinq ans plus tard, vous perdez la finale de la Coupe de Tunisie face au frère ennemi, le CA (2-0). Vous étiez alors de la partie ?
Oui. Cette finale-là a traîné en longueur. Elle n’eut lieu que le… 13 juillet 1969, en plein été. Notre entraîneur Robert Domergue avait hâte de rejoindre son nouveau club, l’AS Monaco. Avant de partir, il a communiqué à son successeur Abderrahmane Ben Ezeddine la formation qu’il devait aligner à l’occasion de la finale, et les clés du jeu «sang et or». Il insista sur le fait qu’il ne fallait pas aligner côte à côte, dans la même équipe et Chedly Laâouini, et Noureddine Diwa qui étaient tous deux en fin de carrière. Chacun d’eux devait tout au plus disputer une mi-temps, car ils étaient sur le déclin. Malheureusement, Ben Ezeddine fit autrement, alignant et Laâouini et Diwa. Avec le résultat que l’on connaît. Je crois du reste que Domergue a été le meilleur entraîneur que j’ai connu.
Quelles qualités doit posséder un bon défenseur axial ?
Placement, relance et lecture du jeu. Il doit également jouer des deux pieds.
Parlez-nous de votre famille
J’ai tout sacrifié pour mes trois enfants : Sonia, 47 ans, cadre dans une banque, Ziad, 43 ans, comptable, et Tarek, 42 ans, cadre bancaire. Je lui ai choisi ce nom par admiration pour l’ancienne gloire de l’EST, Tarek Dhiab.
Enfin, quels sont vos hobbies ?
Je revois souvent mes anciens coéquipiers Abdeljabbar Machouche, Abdelkader Ben Sayel «Gaddour»…. A la télé, je regarde le foot européen. Je suis fan du Real. Le foot tunisien ne me plaît plus. Il n’a plus aucun attrait pour moi.