Avec la propagation vertigineuse du Covid-19, s’est posée avec insistance la problématique suivante : l’institution hospitalière publique a-t-elle vécu, ou vit-elle ses derniers jours ?
En ces temps de pandémie, nul ne peut nier que seule la santé publique est censée se mettre au-devant de la scène, prête à une guerre contre un ennemi invisible et redouté. Et c’est à elle seule que revient le dernier mot pour brider les convoitises des privés. Une évidence, certes, mais pas une réalité. Car ce qui est vrai pour certains ne l’est pas forcément pour les autres. Sous nos cieux, le droit à la santé demeure, hélas, une contrevérité. C’est que ce droit qui était, au fil du temps, garanti n’est plus aujourd’hui digne de ce nom.
Petit rappel pour l’histoire ! Au lendemain de l’Indépendance, l’Etat moderne avait beaucoup misé sur le capital humain, mais aussi sur le développement de la matière grise, comme le disait souvent Bourguiba. Cet homme d’Etat qui a fondé l’école et l’hôpital, deux indicateurs phares du bien-être social, dans le but de lutter contre les épidémies de l’époque (tuberculose, rougeole, coqueluche…) et bien d’autres maladies infectieuses. Ce fut, alors, une politique sanitaire qui a dû faire du patient le moyen et la finalité de toute action. Ce qui lui a valu privilèges et succès. Qu’en reste-t-il, à ce jour ? Un temple fantôme incapable même de se prendre en charge pour gérer sa crise. Sauf qu’un corps médical et paramédical au four et au moulin, se débrouille avec des équipements insuffisants. Une carence doublée d’une fuite des cerveaux et des capitaux. La passivité de l’Etat est telle qu’il n’arrive pas à mettre le doigt sur la plaie. Mais, il y a souvent des cris de détresse et des voix qui s’élèvent pour dénoncer cette situation, à l’instar de la Coalition civile de défense du service public de la santé qui a tiré la sonnette d’alarme, appelant à parer à l’urgence.
Le secteur dans tous ses états
Fort soutenue par nombre d’associations, elle avait tout récemment adressé une lettre ouverte au gouvernement et au Parlement, afin d’attirer leur attention sur un secteur à bout de souffle. Le coronavirus lui a assené un coup de grâce, mettant à nu ses dysfonctionnements à bien des égards. Un constat que ce collectif associatif vient d’en parler, noir sur blanc. En clair, «c’est un secteur gravement déficitaire», révèle-t-elle. Chiffres à l’appui, le budget qu’on lui réserve chaque année est en decà de ce qu’il faut : «Le projet de budget 2021 table sur 5,5% tout au plus, soit nettement inférieur au seuil fixé en 2008 par le comité moyen-oriental relevant de l’OMS (8%) et que la Tunisie avait adopté». Celui de l’année en cours ne dépasse pas 5%. Ce qui a pesé lourd sur l’approvisionnement en médicaments et la fourniture d’équipements hospitaliers nécessaires à la lutte anti-Covid (ambulances, lits d’oxygène et de réanimation). A cela s’ajoutent les lourdes dettes dues à la Cnam en faveur de la Pharmacie centrale et des hôpitaux universitaires et régionaux, et dont le montant s’élève à plus de mille millions de dinars en 2020. Et malgré la décision du gouvernement de consacrer, depuis 2019, 100 MD en guise d’appui financier à la santé publique, seulement 45 MD sont, déjà, programmés pour l’exercice 2021. « Alors qu’il faudrait pas moins de 400 millions de dinars pour aboutir à l’objectif fixé », estime la coalition. Et pourquoi pas la généralisation des frais de 1% retranchés du chiffre d’affaires des cliniques privées, comme le stipule l’article 59 des lois de finances au titre de l’année dernière, aux prestataires de services, aux sociétés pharmaceutiques, ainsi qu’à toutes les industries polluantes. De même pour le tabac et tous produits alcooliques et boissons gazeuses nuisibles à la santé.
Parer aux urgences !
En cette conjoncture difficile, l’Etat devrait agir dans le bon sens pour sauver les meubles. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles ! Que propose la coalition ? Au moins 500 MD supplémentaires devraient être injectés, au titre du budget de l’Etat 2021, et qui soient orientés aux priorités du secteur. En quoi consistent-elles ? D’après ladite coalition, il s’agirait, a priori, de favoriser suffisamment de médicaments à la médecine de première ligne, d’améliorer la périodicité des consultations dans les centres de santé de base et de rapprocher les prestations sanitaires des citoyens. Il est aussi question de procéder au recrutement de cadres médicaux et parvenir à résoudre le problème des médecins spécialistes dans les régions intérieures. Pour les motiver à y aller travailler, sans la moindre réticence, la coalition recommande la révision radicale des privilèges professionnels et matériels qui leur sont accordés à cet effet. Autres priorités mises en avant : des mesures urgentes visant à promouvoir les programmes préventifs de lutte contre les pandémies, métamorphoser l’infrastructure hospitalière et renforcer la maintenance des bâtiments et équipements, à même de faire des régions de véritables pôles de santé actifs », renchérit-elle.
Aussi, est-il judicieux de faire preuve d’Open-gov et de la transparence requise dans la gestion du budget du ministère de la Santé. Qu’en-est-il, alors, du fonds 1818 dont les dons et contributions sont estimés à 200 millions de dinars ? «D’amples détails sur ses dépenses et revenus seront ainsi de mise», livre-t-elle, insistant sur la nécessité d’accélérer l’achat du matériel et des équipements médicaux prévus et leur distribution équitable, sous contrôle des parties intervenantes, y compris la société civile. Pour ce faire, gouvernement et ARP sont appelés à prendre en considération ces recommandations lors de l’élaboration de la loi de finances et du budget de l’Etat pour l’exercice 2021. De même, la coalition s’attend à ce qu’un Conseil ministériel sur les urgences du secteur ait lieu dans les plus brefs délais. Tout en instaurant un dialogue approfondi et participatif, dans le but de mettre en place un vrai plan de réforme susceptible de tirer le système de santé vers le haut et rompre avec les anciennes politiques de bricolage. «Car, on ne badine pas avec la santé de nos concitoyens…», conclut-elle.