Accueil A la une Hichem Elloumi, Vice-président de l’UTICA, à La Presse : «Le PLF 2021 ne comporte pas de mesures pour traiter la situation des secteurs en difficulté»

Hichem Elloumi, Vice-président de l’UTICA, à La Presse : «Le PLF 2021 ne comporte pas de mesures pour traiter la situation des secteurs en difficulté»

L’entreprise, un des principaux moteurs du développement économique et de la création d’emplois, subit de plein fouet les répercussions de la crise sanitaire. Baisse d’activité, chute de la demande, difficultés de trésorerie sont les signes de l’essoufflement des PME et des TPE tunisiennes. Pour sauver le tissu des entreprises, désormais fragilisées par la première vague de l’épidémie, le vice-président de l’Utica, Hichem Elloumi, recommande la mise en place d’une nouvelle  batterie de mesures, qui devraient être cette fois-ci plus simplifiées et rapides à appliquer. Entretien. 

Comment se porte le secteur privé, notamment de l’industrie, face à la crise du coronavirus ? 

D’abord, il faut noter que la situation économique n’était pas bonne avant la crise sanitaire du coronavirus. Ensuite, il y a eu le déclenchement de l’épidémie puis  l’instauration du  confinement à partir du mois de mars qui a duré environ dix semaines, avec un passage progressif d’un confinement total vers un confinement ciblé. A la sortie de la première vague, les résultats du confinement étaient  bons sur le plan sanitaire. On a réussi à enrayer l’épidémie. Cependant, la situation était catastrophique sur les plans économique et social. C’est ce qui nous a menés vers un  taux de décroissance de 9% et un taux de  chômage qui a explosé et qui est passé de 15 à 18%. A fin juin, on était à plus de 160 mille emplois perdus, maintenant nous sommes, certainement autour de 200 mille. Avec la deuxième vague de l’épidémie, la situation s’est encore aggravée. En effet, la situation épidémiologique est très mauvaise et malgré toutes les mesures qui ont été prises, on ne voit pas d’amélioration — c’est un constat clair — sur le plan sanitaire et pratiquement tous les secteurs connaissent de graves difficultés. Les secteurs liés au tourisme, comme l’artisanat, le transport, la restauration et autres services annexes mais également l’industrie et les entreprises du BTP, ont été touchés par les conséquences économiques et sociales de l’épidémie de coronavirus. Nous savons que c’est une crise mondiale, donc nos partenaires et nos clients sont également en crise. Notre marché principal, qui est l’Union européenne, connaît une récession dramatique et actuellement, on sait que plusieurs entreprises industrielles prévoient des plans sociaux, c’est-à-dire des plans de licenciement technique ou autres. La situation économique est dramatique et les mesures prises par le précédent gouvernement pour sauver le tissu économique n’ont pas été efficaces puisque le chômage a explosé et plusieurs entreprises sont au bord de la faillite, certaines ont fermé. Très peu d’entreprises ont bénéficié des mesures exceptionnelles de financement qui ont été décidées en faveur des entreprises en difficulté.  D’après le feed-back de nos adhérents et des entreprises des différents secteurs qui sont couverts par l’Utica, plus de 90% d’entre elles n’ont pas bénéficié des financements prévus, et même les aides au chômage, à savoir l’allocation de 200 dinars, ont été servies pour le mois d’avril tandis que les sommes prévues pour le mois de mai n’ont  été débloquées que dernièrement et uniquement pour certains secteurs. Donc c’est vraiment des mesures symboliques. Et ce qui est encore pire, c’est l’aide  qui a été décidée au profit des petits métiers et des patentés, qui est de l’ordre de 200 dinars. C’est insignifiant. Franchement, les mesures de soutien n’ont pas été efficaces et n’ont pas préservé le tissu économique. Donc, le choc, nous l’avons reçu de plein fouet et ce qui est encore plus inquiétant, c’est que le projet de loi de finances 2021 ne prévoit aucune mesure pour aider les entreprises à faire face à la deuxième vague.

Est-ce que la deuxième vague de l’épidémie  a engendré des perturbations des chaînes d’approvisionnement comme c’était le cas lors de la première vague? A-t-elle constitué un frein à la reprise d’activité?

Cela dépend des secteurs. Comme je l’ai déjà indiqué, il y a des secteurs qui sont en baisse ou en arrêt d’activité, notamment ceux liés au tourisme et  qui sont dans le service au grand public comme les cafés, les restaurants, les salles des fêtes et tout ce qui est événementiel. Les entreprises qui opèrent dans ces secteurs ont accusé une baisse d’activité dramatique et sont en grave difficulté financière. Pour l’export, il y a une reprise. A vrai dire, durant les trois mois de confinement, il y a eu une chute brutale et toute la supply chaîne a été impactée au niveau des livraisons, de l’annulation des commandes. Le monde entier était touché par le confinement. Aujourd’hui, on constate que l’exportation a quand même repris. Les exportations mensuelles sont comparables à celles de l’année dernière. C’est un signal positif mais ce n’est pas le cas pour les entreprises qui sont orientées vers le marché local. Elles ont pour la plupart des difficultés financières à cause de la baisse de la consommation et de la chute d’activité sur le plan national. Il y a des secteurs qui se portent mieux que d’autres.

Le Chef du gouvernement a, récemment, affirmé que les effets économiques de la crise sanitaire  vont encore persister pour les deux prochaines années. Est-ce que les entreprises privées vont pouvoir tenir le coup? 

Il est clair que l’épidémie de coronavirus est loin d’être jugulée et que la deuxième vague semble résister fortement. On ne voit pas d’amélioration, que ce soit sur le plan national ou international. Les pays européens plongent dans une crise très sévère et nous, en Tunisie, nous avons une grande inquiétude et il est inévitable que les conséquences de cette crise vont encore durer. C’est clair que pour l’année prochaine, nous serons en pleine crise. On espère que d’ici, la fin de l’année prochaine, le vaccin sera opérationnel et on pourra aller vers  2022 avec une situation sanitaire plus ou moins maîtrisée. Maintenant ce qu’il faut faire,  c’est essayer de préserver notre tissu économique et nos emplois. Prendre des mesures pour préserver les entreprises, les emplois et relancer l’économie doit être l’objectif principal du gouvernement et du secteur privé. Il y a le projet de relance qui a été proposé par le gouvernement précédent. Il a été traité au niveau de la commission des finances du Parlement et il devrait être voté à l’ARP, mais il a été pratiquement vidé de son contenu. A l’Utica, nous espérons rediscuter de ce projet et faire part de nos propositions pour la relance de l’économie. Mais ce qui est urgent et immédiat, c’est la discussion du projet de loi de finances 2021, qui malheureusement ne comporte pas de mesures pour  traiter la situation des secteurs en difficulté, donner de l’espoir et, pourquoi pas, dynamiser les moteurs de croissance que sont l’investissement et l’exportation. Malheureusement, nous ne voyons pas dans le projet des mesures qui vont booster ces moteurs de croissance. 

Justement, quelle est votre lecture du PLF 2021? 

Comme je l’ai indiqué, on ne voit pas dans le projet de loi de finances 2021 des mesures pour soutenir les entreprises et les petits métiers et pour favoriser l’investissement et l’exportation qui sont les moteurs de croissance.

Le premier point que nous avons contesté au niveau de cette loi, c’est l’unification du taux d’IS à 18%. Il s’agit d’un très mauvais signal pour l’exportation, parce que cela va alourdir la pression fiscale sur le secteur exportateur dont le taux d’imposition va augmenter de 80% par rapport au taux initial puisque les entreprises exportatrices sont, actuellement, soumises à un taux de 10%. Pour les entreprises orientées vers le marché local, c’est un avantage, le taux d’IS a été réduit  de 25 à 18%. Pour l’exportation, c’est un très mauvais signal et cela a été refusé par les entreprises étrangères basées en Tunisie et par  l’Utica parce que nous dépendons aussi bien des entreprises étrangères que des entreprises tunisiennes qui seront toutes impactées très négativement. Nous proposons de retirer cette augmentation d’IS décidée  pour le secteur exportateur et de maintenir l’avantage fiscal pour les entreprises exportatrices. Il faut que le gouvernement trouve une solution à cette problématique. Il y a une nouvelle disposition en relation avec le nouveau régime fiscal qui a été établi en remplacement du régime forfaitaire et qui est  spécifique aux petites entreprises individuelles  de type industriel et commercial dont le chiffre d’affaires annuel ne dépasse pas les 100 mille dinars. A l’Utica, on demande de rehausser le plafond du  chiffre d’affaires des entreprises couvertes par ce nouveau régime à 300 mille dinars. Nous proposons également de revoir le zoning, parce qu’il y a un certain nombre d’indicateurs qui dépendent des gouvernorats et des délégations. L’article qui propose un nouveau système de contrôle fiscal, qui s’appelle le contrôle fiscal limité, est également contesté par l’Utica. Nous sommes contre l’instauration d’une multitude de contrôles qui va réduire même les garanties au niveau des entreprises. A la limite, ce nouveau système de contrôle peut être applicable et ciblé  pour des restitutions des crédits de TVA ou d’impôts. La fiscalité tunisienne a tendance à trop prélever d’avance. Ce que nous demandons, c’est que la trésorerie des entreprises soit préservée et donc nous appelons à ce que toutes les avances soient limitées et à ce que les crédits d’impôts et de TVA soient remboursés rapidement. Il est très important de préserver la trésorerie des entreprises à travers la restitution des crédits de TVA et des crédits d’impôts parce que la difficulté principale des entreprises, c’est bien la trésorerie. Il y a également un autre problème, à savoir les créances de l’Etat envers le secteur privé. Un engagement a été pris, à cet effet,  entre la Banque centrale et le ministère des Finances, mais malheureusement ces mesures n’ont pas encore été activées. Le paiement des créances des entreprises privées sur l’État et sur les entreprises publiques est une mesure très importante qui va permettre aux entreprises de se maintenir en activité. 

Comment les entreprises gèrent-elles les cas de Covid qui se déclarent au sein de leurs unités ? Est ce que cela a des répercussions sur leurs activités ? 

La dégradation de la situation sanitaire et la multiplication des cas de contamination figurent parmi les conséquences de la deuxième vague de l’épidémie. Ce que je peux garantir, c’est que les entreprises sont en train de prendre toutes les mesures pour respecter les protocoles sanitaires. A l’Utica, nous sensibilisons nos adhérents et les entreprises pour que le protocole sanitaire soit respecté de manière stricte (prise de température, distanciation, etc). Le plus souvent les contaminations ont lieu à l’extérieur des entreprises parce que dans les entreprises nous sommes très rigoureux. C’est ce que j’ai constaté à travers les entreprises avec lesquelles je suis en contact. Toutes les consignes sont respectées et s’il y a un cas suspect la personne est automatiquement placée en auto-isolement. C’est clair aussi que cette situation de crise sanitaire a des conséquences sur le fonctionnement des institutions et de l’entreprise. Mais si l’entreprise adapte les postes de travail, fournit des masques et sensibilise son personnel, toutes les inquiétudes vont se dissiper. Mais il est vrai que c’est un problème parce que si vous avez des cas Covid dans l’entreprise, vous êtes obligés de demander à la personne mais également aux personnes contacts de se confiner et donc c’est perturbant. Si une entreprise qui emploie 20 personnes enregistre un cas Covid, elle va inévitablement demander le confinement de 5 ou 6 personnes qui étaient en contact avec la personne contaminée. Mais le fait d’avoir respecté le protocole sanitaire va limiter les contaminations. Donc je confirme, c’est une complication qui est gérée au niveau des entreprises. Nous sommes obligés de nous adapter. Nous devons vivre avec le virus mais le problème, à mon sens, c’est le manque d’activité, c’est le fait qu’une entreprise ou un artisan ne réalise pas de ventes et  donc n’a pas d’activité. C’est ça la vraie crise. Quand il y a de l’activité, des commandes à livrer, que ça soit à l’export ou sur le marché local, l’entreprise, l’artisan ou la société de service s’adapte et fournit le service. Nous n’avons jamais été dans l’incapacité de livrer les besoins des clients. Malheureusement, la demande a fortement baissé et ce sont les difficultés financières qui provoquent la crise.

 

De quoi les entreprises ont-elles besoin pour surmonter  la crise. 

Ce qui est important, c’est d’annoncer de nouvelles mesures pour faire face à la deuxième vague qui est beaucoup plus sévère que la première. Aujourd’hui, nous ne voyons aucun signal pour soutenir les entreprises en difficulté et pour préserver les emplois, donc il faudrait penser à un deuxième plan de mesures anti-Covid. On n’a pas été très efficaces avec les mécanimses décidés auparavant  et on ne voit pas venir un deuxième plan de mesures anti-Covid. L’un des problèmes les plus importants, c’est de soutenir les entreprises qui sont en difficulté financière à cause de la crise Covid. Il faudrait des mesures pour réactiver les mécanismes de financement des entreprises en difficulté et d’après notre feed-back à l’Utica, très peu d’entreprises ont bénéficié de soutien financier au niveau de la trésorerie. Autre mesure: le paiement par l’Etat et les entreprises publiques de leurs dettes auprès des entreprises privées. Cette mesure n’a pas été  activée alors qu’on parle de 800 millions de dinars rien que pour le secteur du BTP. Aussi, il ne faut pas qu’il y ait de la pression fiscale supplémentaire sur le secteur de l’exportation. Dans cette conjoncture de crise, il ne faut pas compliquer les difficultés financières en alourdissant la pression fiscale sur le secteur de l’export et il ne faut pas aussi introduire des mesures qui vont gêner nos secteurs productifs parce qu’on a vu au niveau du PLF2021, des dispositions qui vont réduire les garanties au profit des contribuables et instaurer des contrôles supplémentaires. Pour nous, il faut faciliter le travail des entreprises et se pencher sur les moteurs de croissance que sont l’exportation et l’investissement. Il est également question de réduire les droits de douane sur les intrants de l’industrie, sur la matière première et le produit semi-fini. Réduire les droits de douane sur les intrants est une manière de faciliter la vie des entreprises.

Les mesures de la deuxième vague doivent être appliquées rapidement et simplifiées avec un suivi efficace et rapide de mise en œuvre. Il faut qu’il y ait  un vrai feed-back parce qu’il est vrai qu’en réalité, le gouvernement précédent  a prévu des montants importants pour le financement des entreprises en difficulté mais ces sommes-là  n’ont pas été débloquées. Je cite ici l’exemple des allocations chômage de 200 dinars qui n’ont pas été versées entièrement lors de la première vague, alors qu’on fait face à la deuxième déclenchée il y a plusieurs mois et qu’on en a besoin immédiatement.  

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Un commentaire

  1. Habib

    9 novembre 2020 à 11:10

    Il n’est pas mort depuis longtemps ?

    Répondre

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