Accueil Culture Vient de paraître | « Grabuge » de Hichem Ben Ammar : L’écume des mots

Vient de paraître | « Grabuge » de Hichem Ben Ammar : L’écume des mots

Des textes et fragments datant des années 1990 composent le dernier recueil de poèmes de Hichem Ben Ammar. L’auteur y déploie son art de démonter le langage pour mieux le réinventer et provoquer à la fois l’étonnement et le plaisir du lecteur.

On le savait talentueux cinéaste, spécialiste du documentaire et directeur de la Cinémathèque tunisienne jusqu’au début de l’été 2020. Or, Hichem Ben Ammar est aussi poète, ayant déjà publié deux recueils : en 1988 (L’idéal atteint) et en 1990 (La négociation). Les cinéphiles, qui suivent son œuvre cinématographique, ont dû intercepter la touche de poésie et de sensibilité à fleur de peau et de mots qui marquent ses films dominés pourtant par une démarche anthropologique. De « Cafichanta » (2000), à « O capitaine des mers » (2002), à « J’en ai vu des étoiles » (2006), à plus loin « Un conte de faits » (2010) et à « Bourguiba de retour » (2017)…le rythme des images, la tension des situations et la délicatesse des répliques répondent tous au besoin de poésie de l’ancien directeur de la Cinémathèque.

Hichem Ben Ammar vient de publier un nouvel ouvrage, toujours dans la langue de Molière, consacré à ce genre littéraire, « Grabuge » (Contraste Editions, septembre 2020, 95 pages). Si la rime court sur les titres des six parties du livre : Déluge, Subterfuge, Vermifuge, Centrifuge, Refuge, Transfuge, elle n’est pas toujours de mise dans les textes. Selon les codes de la poésie contemporaine, il fonde ses poèmes sur un système d’écho entre les rimes intérieures, les assonances, les répétitions et les allitérations.

On entre dans le recueil lentement, à pas de loup, en suivant presque le souffle du poète et en se laissant envahir par sa liberté, ses fantasmes, son délire. Dans « Grabuge », coexistent des récits en prose, des poèmes-chansons, des haïkus. Hichem Ben Ammar multiplie les genres, se joue et réinvente la réalité à souhait. Picasso ne répétait-il pas : « L’art est un mensonge, qui permet d’approcher la vérité » ?

Dans « Fragment 1 », l’auteur de « Grabuge » clame :

« Le raisin se résigne à devenir vin. Comme si la vigne pouvait changer son destin. Comme si le vinaigre était sa disgrâce »

Il s’amuse, rit et chante dans « Bestiaire 11 » :

« L’âne chante au lieu de braire. La vache refuse de se laisser traire. Le cheval veut choisir son itinéraire. Le coq exige des congés et des honoraires. Le mouton devient contestataire. Le chien ne quitte plus la chaumière. Car il a des prétentions littéraires ».

Le corps, l’amour, le départ, la mort, le mal de vivre, les mots, la langue, la poésie, l’art, la bêtise humaine, la violence, le rêve, la folie, la liberté de parole…le livre est dense de par ses thèmes. Le traitement va du plus dramatique au plus léger et aérien. Et lorsque le poète se réfugie dans la simplicité des mots, le jeu des sonorités et l’humour et la saveur des images, on pense à Prévert et à ses « Paroles ». Comme l’immense poète français, Hichem Ben Ammar maîtrise l’art de démonter le langage pour mieux le réinventer et provoquer à la fois l’étonnement et le plaisir du lecteur.

Dans « Centre de gravité », il dit entre autres: « Il y a dans gravir quelque chose de grave. Comme un drame subit…Dans contempler il y a temple. Ferveur et mystère. Dans comprendre il y a prendre. Et violence secrète. Dans apprentissage il y a sage et tissage. Et tout un métissage de circonstances. Dans équilibre il y a libre. De rester ou de partir ».

Ecrit entre 1990 et 2000, « Grabuge » date déjà de vingt ans. On serait curieux de lire aujourd’hui la poésie du sexagénaire Hichem Ben Ammar.

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