• Il séduit sa victime, la domine et la manipule par la suite. C’est une personne aimable et admirable en public qui ne dévoile son vrai visage qu’en intimité lorsque sa victime est prise au piège.
• Culpabilisation, humiliation, dévalorisation, chantage et crises de nerfs sont les traits qui le caractérisent quand son masque tombe.
• Le pervers narcissique est une personne qui est à l’origine de relations toxiques et qu’on peut rencontrer n’importe où et à n’importe quel moment de notre vie. Il pourrait être notre supérieur hiérarchique, notre partenaire ou encore l’un de nos parents. Ce trouble méconnu auparavant commence à être discuté et vulgarisé par certains médias. Cependant, beaucoup de détails, qui tournent autour, le laissent encore dans l’ambiguïté.
• Afin d’y remédier, on a eu recours au Dr Salma Derouiche-El Kamel, enseignante-chercheuse en psychologie clinique et psychopathologie à l’Université de Tunis, qui a apporté son éclairage sur cette pathologie silencieuse.
Commençons par le commencement, Dr Salma. Quelle est la définition du narcissisme ?
Le narcissisme, c’est quelque chose qui nous concerne tous.
Le narcissisme est, en des termes simples, l’amour que nous portons à notre image. Selon Freud, c’est une étape importante dans le développement de tout petit, de l’enfant, qui se caractérise par le sentiment d’omnipotence et d’autosuffisance narcissique. C’est-à-dire que l’enfant à un certain moment de son développement va être dans un sentiment qui va le préparer à la rencontre de l’autre, à l’expérience de l’altérité. C’est quelque chose qui se développe à la petite enfance dès la première année de la vie.
Alors, si j’ai bien compris, le narcissisme n’est pas quelque chose de mauvais et pas toujours pathologique. Donc, comment peut-on définir le trouble de la personnalité narcissique ?
Tout à fait, il y a ce qu’on appelle un narcissisme sain et un narcissisme pathologique. Le narcissisme en soi, c’est quelque chose de positif car il est corrélé à l’estime de soi. En fait, nous avons tous besoin d’un peu de narcissisme pour construire notre propre identité et pour affronter les aléas de la vie ; tels que les deuils, les frustrations…
Le narcissisme constitue le fondement de notre identité, mais il faut en faire bon usage, comme l’a indiqué le psychanalyste Alberto Eiguer dans son livre «Du bon usage du narcissisme».
Donc, c’est le trop ou le trop peu qui pose problème et le rend pathologique. Et justement, c’est en cas d’excès dans un sens ou dans l’autre que nous parlons de personnalité narcissique.
Alors, qu’est-ce qui caractérise la personnalité narcissique et qu’est-ce qui la diffère du narcissisme sain ?
Le narcissisme fait référence au mythe de Narcisse qui était tellement subjugué par le reflet de sa beauté dans l’eau, qu’il resta cloué à cette image jusqu’à sa mort. En étant coupé du monde extérieur, il ne va pas prendre en considération tout ce qui l’entoure.
Il est resté amoureux de son image jusqu’à la mort. Bien sûr, il était conscient qu’il courait à sa perte mais cela ne l’a pas empêché d’admirer le reflet renvoyé par l’eau malgré tout.
Là, on est dans le narcissisme pathologique car c’est un narcissisme excessif qui mène à la mort et qui ne reconnaît pas l’altérité. Le problème de la personnalité narcissique, c’est qu’elle a du mal à accepter l’autre, elle est toujours dans la négation de l’autre, de l’altérité.
Elle est tellement centrée sur elle-même qu’elle a du mal à voir dans l’autre un complément ou une personne avec qui elle va échanger, une personne qui va lui apporter quelque chose…
Mais quand on parle de la pathologie narcissique, on parle d’une grande souffrance, ces personnes souffrent bien évidemment.
Donc, si le narcissique souffre, cela veut-il dire qu’il essaye de combler un certain manque caché ?
Tout à fait, le narcissique souffre d’un manque, d’une carence et il cherche justement à la combler, c’est quelqu’un qui souffre d’une blessure narcissique au cours de son développement.
En fait, un narcissisme défaillant est un narcissisme qui reste à un niveau primaire, d’autosuffisance et de négation de l’autre. D’où le discours du narcissique: «Je suis unique, je peux me suffire à moi-même !» C’est l’omnipotence et l’autosuffisance.
Il ne va donc pas développer un narcissisme sain, ce qu’on appelle aussi un narcissisme secondaire selon certains auteurs, ce narcissisme sain qui prend en considération l’autre, qui porte un discours qui accepte l’autre : «Je suis unique, mais je suis une personne parmi d’autres et j’ai évolué grâce aux interactions que j’aies avec le monde extérieur».
Alors qu’est-ce qui caractérise la personnalité narcissique et quels sont ses traits ?
La personnalité narcissique est une personne qui a une haute opinion d’elle-même, qui se considère comme importante, exceptionnelle et supérieure aux autres. C’est une personne qui ne prend pas en considération l’autre, le dénigre, dénigre le besoin de l’autre, le désir de l’autre et est centrée sur elle-même.
Tous ces traits rassemblés composent le tableau clinique du narcissique.
Toujours supérieure aux autres, personne ne pourrait l’égaler
C’est son principal trait. Elle se sent au-dessus des autres, le centre d’intérêt de tout le monde car elle est exceptionnelle et formidable. C’est une personne qui aime «briller»; d’ailleurs, elle dit qu’elle est brillante. C’est un terme que la personnalité narcissique affectionne particulièrement. Elle attend toujours de l’admiration de l’autre et elle croit vraiment à son délire, celui d’être supérieure aux autres.
Généralement, cette personne va investir et exceller dans un domaine bien particulier, ce qui va alimenter ce comportement et cette attitude de supériorité que l’on retrouve dans le discours narcissique. Elle va le faire valoir et à partir de ça, elle va dire qu’elle est exceptionnelle dans tous les domaines et pas seulement dans ce domaine. Ce sont des personnes qui aiment susciter l’admiration des autres.
Cette personne doit être aussi admirable afin de gagner la confiance de l’autre. Elle se positionne au-dessus des autres, donc elle a besoin d’un degré de beauté et/ou d’intelligence équivalent à la sienne pour qu’elle soit prise en compte.
La personne narcissique place la barre haut, est-elle donc quelqu’un d’une intelligence exceptionnelle ?
Non, c’est juste une simple croyance. Puisque le narcissique se croit supérieur aux autres donc, il se croit toujours plus intelligent, plus intéressant, plus beau… plus aimable et admirable…
Est-ce qu’on peut dire que toute personnalité narcissique est forcément perverse?
Non ! En fait, la perversité narcissique est le degré le plus élevé de la pathologie narcissique.
Alors, qu’est-ce que c’est que la perversion narcissique?
La perversion narcissique est un trouble de la personnalité narcissique où la personne est manipulatrice. En fait, pour arriver à ses fins, elle utilise les autres sans scrupules et sans état d’âme. En fait, le terme de perversion narcissique a été utilisé pour la première fois par le psychiatre et psychanalyste français Paul-Claude Racamier en 1986. Il l’a utilisé pour décrire un degré très élevé de la pathologie narcissique. C’est pour dire et souligner qu’il y a des troubles du narcissisme et que le degré le plus élevé est la perversion narcissique. Il s’agit d’une perversion morale sans passage à l’acte.
Dans notre vie quotidienne, on rencontre certainement des pervers narcissiques, comment peut-on les repérer?
Justement, il y a un profil type du pervers narcissique.
C’est une personne qui ne reconnaît pas l’autre, qui ne peut pas prendre soin de l’autre. Donc, ici on parle d’absence d’empathie et d’absence de sentiment de culpabilité aussi. La personne peut prendre plaisir à instrumentaliser l’autre, voire jouir de sa destruction.
C’est une personne qui cause beaucoup de mal aux autres et qui est à l’origine des relations toxiques.
Le pervers narcissique ne reconnaît pas ses erreurs, même quand il s’excuse, ça sera toujours dans le cadre de la manipulation pour ne pas perdre sa victime. C’est une personne admirable en public (calme, appréciable, parfaite) qui change (colérique) rapidement dans l’intimité.
Pour résumer, nous retrouvons ces trois traits de caractère : Séduction, Domination, Emprise et Manipulation.
Car l’autre, pour le pervers narcissique, n’est qu’un instrument, il va le déshumaniser pour assouvir ses besoins. Et là on parle de vampirisme chez le pervers narcissique. Après, il isole sa victime pour la posséder : la technique du collage. En effet, après la phase de séduction, bienvenue les critiques.
En fait, le pervers narcissique attaque le narcissisme de l’autre pour se nourrir. La dévalorisation de l’autre lui permet d’exister, alimente son narcissisme à lui, qui est bien évidemment mis à mal et carencé.
On remarque chez lui généralement trois types de discours : le discours destructeur (personne ne t’aime sauf moi, tu ne vaux rien), le discours paradoxal et le discours de victimisation pour chercher de l’attention. Son but final est de pervertir l’image qu’a la victime d’elle-même pour garder le dessus et rester dans une position de domination.
Ce que vous venez de dire me pousse à vous demander si le pervers narcissique est conscient du mal qu’il cause à autrui ou non?
Non, il n’en est pas conscient car il déploie des mécanismes de défense qui lui permettent d’éviter la décompensation psychotique par exemple.
D’un point de vu psychopathologique, ces mécanismes de défense sont les mêmes mécanismes de défense qu’on retrouve dans la psychose, sauf qu’ils ne sont pas gérés de façon interne, mais ils sont extériorisés et projetés sur l’autre. On parle là d’«extraterritorialité» pour reprendre une expression d’A. Eiguer. C’est pour dire qu’au lieu de gérer ses propres conflits d’une manière interne, il va transférer ses conflits sur une personne autre que lui ; c’est-à-dire que le sujet va tenter de compromettre une autre psyché. Cela lui permettra d’éviter la décompensation et de garder un pied dans la réalité.
Maintenant, il y a une question qui s’impose ; quels sont les causes de la perversion narcissique ? Et pourquoi devient-on pervers narcissique ?
Il n’existe pas une seule cause, il y’en a plusieurs. Selon Alberto Eiguer ; un père inexistant avec une mère distante et économe en tendresse qui limite son rôle en donnant des soins et investit son enfant en le considérant comme un prolongement d’elle-même, comme la continuité de son idéal narcissique. Tout ça se passe lors des premières interactions des premiers mois de la vie. On ne naît pas pervers narcissique, on le devient.
Arrivons maintenant à la victime, quel est son profil ? Toute personne pourrait être un jour victime d’un pervers narcissique mais la question est-ce que cette personne va rester avec celui-ci?
En fait, ceux qui entretiennent une relation avec un pervers narcissique sont des personnes qui souffrent aussi. Ces personnes ont des troubles de l’estime de soi. Elles ont une faille narcissique et souffrent d’un excès de culpabilité. Elles culpabilisent vite, ce qui facilite leur manipulation. Ce sont des proies faciles. Elles sont aussi dépendantes affectivement. Elles veulent toujours aider l’autre et pourraient avoir ce qu’on appelle «le syndrome du sauveur».
En fait, elles arrivent même à justifier la maltraitance, les actes et les abus du pervers narcissique.
Un pervers narcissique peut-il changer ? Y a-t-il une possibilité de prise en charge?
Le travail thérapeutique n’est pas possible avec le pervers narcissique. Il n’est possible qu’avec la victime. Le pervers narcissique ne va pas être demandeur de thérapie, car pour lui elle représente un danger, une menace pour son «pseudo-équilibre psychique».
En fait, le P. N. fait partie des états limites oscillant entre les tableaux cliniques de la névrose et de la psychose, présentant des perturbations de l’image de soi, des incertitudes dans ses choix et ses valeurs avec des sentiments envahissants de vide.
En revanche, c’est quelqu’un qui mène une vie «normale» ; il sort, il travaille, il fait des rencontres, donc on ne peut pas l’obliger à suivre une thérapie. D’ailleurs, celle-ci est le dernier de ses soucis.
En fait, il ne ressent pas qu’il est en train de faire du mal à l’autre car il n’a aucune empathie envers lui.
Pour lui, l’autre mérite ce qui lui arrive et c’est toujours en relation avec la vision omnipotente et autosuffisante du soi. D’après sa logique, les autres ne sont que des «minables», donc à quoi bon se faire soigner pour un «minable» !
Le P.N.se considère toujours meilleur et supérieur aux autres qui ne sont que des «vers de terre», qui ne valent rien. Ce sont les pensées les plus profondes du P. N. qui ne sont évidemment pas dévoilées car il tient à son image sociale.
Finalement, après toute relation toxique, il y aura certainement des conséquences néfastes pour la victime…
Certainement ! La victime va perdre toute confiance en elle, elle sera lésée, touchée dans son narcissisme, dans l’image qu’elle a d’elle-même qui va être pervertie par le P.N.
En fait, il y a même des victimes qui ne réalisent pas comment elles ont entretenu une relation avec un P. N. et qui ne peuvent pas sortir de cette souffrance.
Ces victimes doivent envisager un processus de reconstruction et de réhabilitation du soi au cours de leur psychothérapie. Cela leur permettra de repérer leurs propres failles narcissiques et de panser leurs blessures.
Un travail de prise en charge est possible avec un psychologue clinicien, et ça donne de très bons résultats.
En effet, la victime sera réconfortée quand elle découvrira qu’elle avait affaire à un P.N. qui n’est autre qu’une personne malade !
muchery
11 décembre 2020 à 09:09
Vivant depuis près de 50 ans avec une personne que je qualifie de PN depuis janvier 2012, c’est l’explication la plus claire sur le sujet que je n’ai jamais lue.
Merci de cet éclairage…