Par Hayet Dhifallah
En 2017, le public tunisien apprenait par les médias la création du «Centre pour la stérilisation et la vaccination des chiens errants de la municipalité de Tunis», créé en mai 2017, sous la tutelle de la municipalité de Tunis – un centre qui allait appliquer la méthode TNR (Trap Neuter Release en anglais, soit en français Capture, Stérilisation, Relâche).
Cette initiative a bénéficié à l’époque de l’aide de l’OIE (Organisation mondiale de la santé animale) qui a fourni les vaccins, le matériel de capture et la formation des agents municipaux chargés de la capture des chiens errants.
En parallèle à l’action de ce centre, la municipalité cessait les abattages. Cette nouvelle a réjoui les amis des animaux qui déploraient la méthode d’abattage. Quelques articles ont suivi mais il semble que l’intérêt des médias pour cette action se soit estompé avec le temps.
Ce programme était inconnu jusque-là du public, hormis de quelques amis et défenseurs des animaux en Tunisie. Et il n’a pas été forcément bien compris, appréhendé ; les citoyens ordinaires exaspérés par la présence de chiens errants ne comprenaient pas qu’ils soient ensuite relâchés, et les défenseurs si attachés à sauver les animaux de la rue, et à leur trouver un toit, avaient mal au cœur de les voir renvoyés à leur errance.
La méthode TNR
Alors, qu’en est-il de cette méthode, bien évidemment non conçue en Tunisie, mais ailleurs et pratiquée depuis longtemps à travers le monde ?
La TNR consiste à capturer (au moyen de lassos généralement) des chiens errants dans un quartier et à les transporter dans des cages vers le centre où ils passeront la nuit avant d’être opérés à jeun (stérilisation pour les femelles, y compris celles déjà gestantes, et castration pour les mâles), vaccinés contre la rage et retournés le lendemain sur le lieu de leur capture, c’est-à-dire leur territoire (après la pose de «bagues» de couleur aux oreilles portant un numéro d’identification consigné dans un registre avec mention de la date et du lieu de capture, du sexe, de la date de la chirurgie et de la vaccination, et de la date de retour sur le lieu plus d’autres spécifications comme le nombre de fœtus si chienne gestante).
Cette méthode éprouvée est à la fois humaine et efficace. Les chiens errants sont à la base des chiens abandonnés par leurs maîtres, et, bien sûr, non stérilisés, ce qui entraîne leur multiplication sur un territoire donné du fait de leur reproduction incontrôlable.
Une fois les mâles castrés et les femelles stérilisées, plus de reproduction et la taille de la population se stabilise. L’espérance de vie d’un chien errant ne dépassant pas les 5 ans, du fait de leurs dures conditions, la baisse d’une population donnée dans un quartier sera progressive, évitant l’effet de vide dû à l’élimination brutale par abattage, qui entraîne l’invasion de ce territoire par d’autres chiens errants.
Les résidents de quartiers pensent naïvement qu’ils seront débarrassés du «problème» après un abattage, mais, en fait, ils se retrouveront à moyen ou même à court terme avec une nouvelle meute de chiens !
Qu’en est-il de l’autre volet du programme TNR : la vaccination ? S’il est d’usage de dire qu’il faut un rappel annuel du vaccin contre la rage, ce vaccin a en réalité une validité plus longue qui peut aller jusqu’à 3 ans ; ce qui signifie que le chien vacciné, vu son espérance de vie, ne représentera plus un danger mortel.
Dans un précédent article publié le 1er décembre, la comparaison entre cette méthode et celle de l’abattage a été largement traitée, faisant ressortir non seulement la cruauté, mais aussi l’inefficacité de cette dernière. Autre argument à ajouter au dossier contre l’abattage : aucune évaluation statistique préalable du nombre de chiens dans un quartier n’est effectuée ; donc les tireurs abattent les chiens qu’ils trouvent face à eux ou les poursuivent, mais ne peuvent éliminer un groupe tout entier ; de ce fait, il y aura à chaque fois des rescapés, mâles et des femelles, et rapidement les femelles donneront naissance à de nouvelles portées, démonstration de l’absurdité de cette méthode, obstinément pratiquée par les autorités depuis plus de 50 ans !
La TNR dans le monde
J’ai eu l’opportunité de recueillir toutes ces informations sur ce programme TNR, en juin 2012 lors d’une séance dans les locaux de la municipalité de Nabeul, réunissant le vétérinaire de la municipalité, un autre représentant de la municipalité et l’association SOS Animaux en la personne de sa présidente Dr Raoudha Mansour et moi-même pour écouter la présentation faite par la vétérinaire britannique de l’organisation internationale WVS, venue spécialement pour ce faire dans la perspective d’une coopération pour une application de cette méthode à Nabeul.
WVS (Worldwide Veterinary Service) est une organisation «humanitaire» dans le domaine vétérinaire, qui fait appel à des vétérinaires internationaux pour des missions en tant que bénévoles et intervient en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud, en parallèle à des formations de perfectionnement pour des vétérinaires de différents pays. L’organisation a deux centres de formation, l’un en Inde et l’autre en Thaïlande. L’activité en Inde est très importante, pays où la rage est endémique et les populations de chiens errants sont vastes.
D’autres organismes collaborent avec divers pays dans le cadre de l’application de ce programme, telle l’organisation suisse Quatre Pattes, intervenant en Europe centrale et de l’Est, notamment en Ukraine. Dans ce pays, le projet a vu le jour en 2012, en réponse à l’abattage brutal des animaux errants en vue du Championnat de football de l’Uefa à Kiev.
La TNR en Tunisie
Qu’en est-il de l’application de cette méthode en Tunisie depuis 2017 ?
Le Centre «pilote» créé par la municipalité de Tunis sous l’impulsion de Dr Soumaya Chouk, convaincue du bien-fondé de la TNR, a poursuivi son activité, dirigé par Dr Chouk. Les actes vétérinaires étaient effectués par des internes de l’école de médecine vétérinaire de Sidi Thabet sous le contrôle du Dr Ben Chehida, dans le cadre d’une convention passée avec cette école.
Durant cette période, Dr Chouk a présenté cette méthode à diverses municipalités (Ariana, La Goulette, La Marsa, La Manouba, Soliman). Après son départ à la retraite en juin 2019, un autre vétérinaire a été nommé par la maire de Tunis.
La même année, le centre de vaccination et stérilisation des chiens errants de la municipalité de l’Ariana a ouvert ses portes (octobre 2019) et le maire de l’Ariana, Fadhel Moussa, a interdit l’abattage de chiens errants sur toute la commune.
Depuis, d’autres municipalités ont manifesté leur intérêt pour cette méthode et certaines ont concrétisé cet intérêt. En février 2019, la municipalité de La Marsa a annoncé la création d’un centre de vaccination et stérilisation des chiens errants, basé à Gammarth, qui travaillerait en collaboration avec les communes de Sidi Bou Saïd et Carthage. Mais ce centre n’a pas encore vu le jour. Le projet d’ouverture d’un centre par la municipalité de Soliman est en cours. La municipalité de Nabeul est intéressée aussi par la création d’un centre. Et la municipalité de La Goulette, après son communiqué du 24 novembre 2020, a ouvert son centre à la fin du mois de novembre (la maire, Amel Limam, est absolument opposée aux abattages) et débuté son activité —ironie du sort— alors qu’une campagne de 15 jours d’abattage a été décrétée dans le gouvernorat de Tunis ! Cette campagne a soulevé un tollé. On a vu en particulier sur le réseau social la maire de Tunis prise à partie ; rien de surprenant puisqu’après le changement de direction du centre de vaccination et stérilisation de la municipalité de Tunis, celle-ci avait repris les abattages et parmi les victimes figuraient nombre de chiens bagués, donc passés par le Centre, vaccinés, stérilisés et identifiables par leur bague auriculaire! C’était, autrement dit, détruire le travail accompli par le centre ! Au cours de la toute récente campagne, des chiens ont été abattus par la municipalité de Tunis. Pourtant la maire, dans un communiqué datant du 5 décembre 2020, avait affirmé qu’elle a refusé de participer à cette campagne, rappelant l’existence du Centre de la municipalité de Tunis… Et enfin, coup de théâtre, le 11 décembre, la municipalité a publié un arrêté annonçant que, sur décision de la maire de Tunis, l’abattage était interdit !
On voit se dessiner la perspective que de plus en plus de municipalités optent pour la création d’un centre de vaccination et stérilisation de chiens errants, et nous souhaitons que le programme de TNR y soit appliqué sur le long cours afin de cibler le maximum de chiens errants et qu’une fois pour toutes, les municipalités s’engagent à ne plus abattre les chiens errants ! C’est la seule voie efficace, et la Tunisie a déjà perdu trop de décennies !
Il n’est pas interdit de rêver voir un jour déambuler dans les villes de Tunisie des chiens errants coexistant pacifiquement avec des habitants bienveillants, scène que certains ont pu observer dans la ville d’Istanbul, où l’on en compte près de 150.000! Et serait-ce trop rêver que d’imaginer un jour, comme à Istanbul, un système de distributeurs de croquettes financé par les gains provenant du recyclage des bouteilles vides ?