En Tunisie, les PME contribuent aux deux tiers des activités économiques et à 65% des emplois. Malgré leur poids économique important, les petites et moyennes entreprises peinent toujours à se financer.
La crise du coronavirus risque de mettre sur la paille un grand nombre d’entreprises tunisiennes. Leur accès au financement n’a jamais été aussi vital. Maintenir la trésorerie à flots est une mission ardue pour les dirigeants des petites et moyennes entreprises. Pourtant, les freins au financement des PME persistent et ils constituent l’obstacle n°1 à leur développement. «Selon une étude sur la perception du climat des affaires, réalisée par la Banque mondiale, 40% des PME tunisiennes affirment que les freins au financement sont l’obstacle le plus important auquel elles sont confrontées. Au CJD, nous considérons que ce taux traduit une réalité inacceptable. Tous les autres facteurs, comme l’instabilité politique, la corruption, etc. se situent loin derrière l’accès au financement. En ces temps de crise, ce taux est vraiment inquiétant», a souligné la présidente du CJD, Mouna Chaieb, dans une déclaration accordée à La Presse. Elle a ajouté, à cet égard, que les mécanismes d’appui qui ont été mis en place pour soutenir les entreprises à faire face à la crise liée au Covid n’ont pu répondre à leurs besoins de financement. «Pour les entreprises qui veulent se financer en cette période de crise, il y a deux voies de financement. La première, à travers le mecanisme de garantie des crédits, assurée par la Sotugar, tandis que la deuxième, via une enveloppe de crédits octroyés en dehors de la ligne de garantie. A fin septembre, seules 45% des entreprises qui ont déposé leurs demandes de prêt en dehors de la ligne de garantie, ont pu accéder à des crédits. C’est un taux très faible! En revanche, aucune entreprise n’a pu bénéficier de crédit dans le cadre de la ligne de garantie Sotugar. Ces données révèlent qu’il y a un problème au niveau du fonctionnement et des procédures qui entrave le bon déroulement de ces mécanismes. C’est pourquoi il est important de revoir les conditions d’éligibilité à ces crédits. Ce n’est pas la première fois qu’on met en place des fonds ou des lignes de crédits au profit des entreprises et que ces dernières n’arrivent pas à en bénéficier. Cela a toujours été le cas en Tunisie. Un suivi continuel et une évaluation constante des mécanismes et des fonds qu’on met à la disposition des entreprises s’imposent pour avoir un feedback qui permette d’identifier les causes de ce dysfonctionnement. Nous croyons qu’il y a la possibilité de se financer, mais les entreprises n’arrivent pas à y accéder parce que les conditions d’éligibilité ne sont pas conformes à leur réalité. Le financement est une nécessité pour toutes les entreprises, sans lequel elles mourront à petit feu», a-t-elle indiqué.
Instaurer une vision générale des politiques sectorielles
Mais dans cette tourmente économique et avec la disette budgétaire qui sévit dans le pays, beaucoup plaident pour un financement ciblé et orienté vers les PME des secteurs d’avenir, dans la mesure où l’Etat ne peut pas soutenir toutes les entreprises. A cet égard, la présidente du CJD a expliqué qu’une vision générale et claire des politiques économiques de l’Etat doit être instaurée, pour servir de boussole pour les entreprises. «Il faut qu’il y ait une vision générale des politiques économiques qui identifie les secteurs qu’on veut promouvoir réellement.
Il est vrai que l’innovation et les technologies sont des secteurs à part entière et sont des domaines d’avenir, mais une industrie puissante et une agriculture forte sont indispensables pour le tissu économique du pays. Il faut renforcer ces secteurs-là qui sont créateurs de richesse, pour réduire notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur, sinon nos importations vont exploser et il y aura un déséquilibre monstre de nos échanges. Il faut instaurer une vision qui englobe les orientations stratégiques sectorielles de l’Etat et qui sera la référence pour les entrepreneurs à laquelle ils s’adossent dans leurs choix», a expliqué Mouna Chaieb.
Elle a déploré, dans ce même contexte, l’absence de fonds et d’institutions financières, dont la mission est d’accompagner la restructuration des entreprises (mis à part le fonds qui a été créé en 2018). «Il faut qu’il y ait une volonté de sauver les entreprises tunisiennes, dont la majorité sont en difficulté. Peut-on avoir une institution financière consacrée au redressement des entreprises tunisiennes à fort potentiel de développement, à l’image de ce qui a été fait auparavant en termes de mise à niveau et d’aide à l’exportation? Aujourd’hui, il n’y a pas une seule banque qui accompagne le redressement des PME tunisiennes», a-t-elle indiqué.
Améliorer le management tunisien
Au sujet du risque d’éviction engendré par le recours excessif de l’Etat au marché interne pour le financement du déficit budgétaire, la présidente du CJD a fait savoir que les entreprises tunisiennes ont besoin des banques de la place. Elle a affirmé, dans ce sens, que l’assèchement de la liquidité va accentuer la rigidité des banques et compromettra davantage l’accès des entreprises au financement bancaire. «En période de crise, les entreprises tunisiennes ont aussi besoin du financement bancaire. Les crédits octroyés doivent être, dans ce cas, à des taux préférentiels et accompagnés d’expertise, en termes de management et de business plan. La banque devient, ainsi, un partenaire de l’entreprise», a précisé Mouna Chaieb.
Elle a, par ailleurs, souligné que pour remédier au manque d’appétit des banques pour les PME — qui puise son origine dans l’opacité des entreprises et dans le manque de confiance en la capacité des dirigeants à produire du retour sur investissement—, il est indispensable d’instaurer une politique qui vise à améliorer le management tunisien. «Si on réussit à mettre en place des mécanismes de financement qui offrent, parallèlement, de l’expertise au bénéfice des dirigeants des entreprises, les aidant à réussir leur restructuration, on va donner des ailes à ces PME et sauver des milliers d’emplois. Il faut qu’il y ait une volonté de l’Etat, dans ce sens. Mais si on continue à cultiver la défiance et la légitimer, on va se trouver dans une impasse et on va porter le coup de grâce au tissu entrepreneurial tunisien. Et ça va enlever, à coup sûr, l’envie d’entreprendre», a-t-elle conclu.