Accueil Economie Supplément Economique Impact des changements climatiques sur l’économie tunisienne | Cinq ans après l’accord de Paris : Quel est le chemin parcouru par la Tunisie ?

Impact des changements climatiques sur l’économie tunisienne | Cinq ans après l’accord de Paris : Quel est le chemin parcouru par la Tunisie ?

La Tunisie s’est assigné l’objectif de réduire de 40% l’intensité carbone à l’horizon 2030 par rapport au niveau de référence 2010.

En signant l’accord de Paris lors de la 21e Conférence internationale sur le climat qui s’est tenue, en 2015 à Paris, la Tunisie s’est souscrite aux efforts communs déployés à l’échelle planétaire par 194 Etats et organisations internationales pour contenir le réchauffement climatique à 2°C d’ici la fin du siècle. Une tâche ardue à laquelle s’est engagé le monde pour pouvoir sauver les écosystèmes de la planète. Si les avancées réalisées par les divers Etats signataires en la matière sont jugées timorées, au vu de la recrudescence des phénomènes climatiques extrêmes, il n’en reste pas moins que la prise de conscience de la lutte contre le changement climatique, dont témoignent les débats qui traitent de la question environnementale et qui occupent davantage d’espace médiatique dans le monde, constitue un acquis en soi.

Pour la Tunisie, qui figure parmi les pays les plus vulnérables aux extrêmes climatiques, il y a, certes, un travail colossal à accomplir pour parvenir aux objectifs d’atténuation et d’adaptation au changement climatique qu’elle s’est fixés. Quels sont les objectifs de la Tunisie en matière de lutte contre le changement climatique? Quelles sont les avancées réalisées en la matière? C’est dans l’optique de répondre à ces questions que l’Agence française de développement (AFD) a tenu, mardi 8 décembre, une conférence en ligne à laquelle ont pris part un nombre d’experts et de représentants des départements ministériels de l’Environnement et de l’Agriculture, qui ont dressé un bilan de l’état d’avancement de la mise en œuvre de la politique de lutte contre le changement climatique.

Des secteurs prioritaires

Après les mots d’introduction prononcés respectivement par l’ambassadeur de France, M. André Parant, la ministre de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche, Mme Akissa Bahri, et l’ancien ministre des Affaires locales et de l’Environnement, M. Mustapha Aroui, les intervenants ont présenté, tour à tour, le parcours qu’a fait la Tunisie, en matière de lutte contre le changement climatique, depuis l’accord de Paris.

Evoquant la Contribution Déterminée au niveau National (CDN) que la Tunisie a élaborée en préparation à la COP 21, le point focal national de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Unfccc) au sein du ministère des Affaires locales et de l’Environnement, Mohamed Zmerli a fait savoir que la Tunisie s’est assigné l’objectif de réduire de 40% l’intensité carbone à l’horizon 2030 par rapport au niveau de référence 2010. Il a précisé que la CDN élaborée a permis l’identification des secteurs prioritaires qui sont les plus vulnérables au changement climatique, à savoir les ressources en eau, les écosystèmes, le tourisme, l’agriculture et la santé. Il a expliqué, à cet égard, qu’outre le volet gouvernance, la Tunisie a pu faire des progrès en matière de planification, notamment dans le secteur de l’eau à travers l’élaboration de la vision eau 2050, qui vise à renforcer les capacités d’adaptation et de résilience du secteur de l’eau, mais aussi dans le secteur de l’agriculture avec la construction de projets comme le Programme d’adaptation au changement climatique de territoires ruraux (Pacctr) et le Projet de gestion intégrée des paysages (PGIP) dans les régions les moins développées.

Par ailleurs, Zmerli a noté que la Tunisie est, actuellement, en train d’actualiser la CDN et d’esquisser le Plan national d’adaptation qui est en phase de quête de financement auprès du Fond Vert. Ledit plan portera sur des enjeux comme la sécurité alimentaire et l’aménagement du territoire. Il a ajouté que la Tunisie a enregistré des progrès sur les plans juridique et institutionnel, à travers non seulement l’adoption de la loi sur le partenariat public-privé qui ouvre la voie à la participation du secteur privé dans l’atténuation, mais aussi grâce au processus de décentralisation (code des collectivités locales qui permet de valoriser les initiatives) ainsi qu’à la loi sur l’économie ESS.

Les actions engagées par la Tunisie

L’intervention du manager régional au sein de NDC partnership, Omar Zemrag, s’est articulée autour des actions engagées par la Tunisie, en matière de lutte contre le changement climatique, depuis 2015. Il a rappelé que c’est en 2016 que la Tunisie a adhéré à NDC partnership qui est une initiative regroupant 112 pays et 42 institutions internationales, agences de coopération technique et banques multilatérales de développement. Elle a été lancée par plusieurs Etats et organisations, après l’accord de Paris, dans l’objectif de créer une plateforme de discussion et de coordination pour l’accompagnement des pays signataires de l’accord, dans leur mise en œuvre des CDN.

“ En Tunisie, on peut constater que les actions d’atténuation sont plus nombreuses que les actions d’adaptation. C’est le cas aussi de la Jordanie, contrairement au Maroc où les efforts d’adaptation sont plus nombreux, en raison de l’orientation stratégique d’aller vers les énergies renouvelables”, a-t-il précisé. Il a ajouté que la Tunisie a entrepris au total 155 actions d’adaptation contre 166 pour l’atténuation et 24 autres actions transverses. Par ailleurs, il a souligné que le premier défi auquel fait face la Tunisie dans la mise en œuvre des CDN est la gouvernance, notamment au niveau institutionnel et sur le plan coordination sectorielle. L’implémentation des indicateurs MRV et le financement des projets sont aussi les enjeux futurs auxquels font face les autorités compétentes dans la période à venir.

La modélisation de l’impact du changement climatique

De son côté, Sawsen Ben Nasr, économiste principale à l’Itceq, chargée du projet de modélisation macroéconomique de l’impact économique du changement climatique, un projet qui s’inscrit dans le cadre du mémorandum de dialogue stratégique signé en 2018 entre la Tunisie et l’AFD, a précisé que les dommages provoqués par les inondations qui ont eu lieu en 2018 dans le gouvernorat de Nabeul ont coûté 122 millions de dinars aux agriculteurs de la région. Elle a ajouté que, cette année, la ville de Gabès a connu, au mois d’août, une température record, soit la 6e température la plus élevée au monde. “Le changement climatique devient un défi de premier ordre pour la Tunisie.

Les risques liés à ce changement doivent ainsi être intégrés dans la politique de développement afin de définir une trajectoire de croissance inclusive et durable”, a-t-elle précisé. L’économiste a expliqué que le projet sur lequel elle travaille vise à doter le gouvernement tunisien d’un outil de modélisation. Il sert à évaluer, dans un premier temps, l’impact du changement climatique sur le secteur agricole en se basant sur deux scénarios: un scénario de référence climatique moyen qui estime le coût de l’inaction à l’horizon 2050 et un scénario pessimiste qui évalue la vulnérabilité au changement climatique. Les résultats de cette première phase seront présentés lors de la troisième réunion du comité technique prévue pour le mois de janvier 2021.

L’économiste a, en outre, ajouté que l’objectif de la deuxième phase du projet est d’identifier les politiques d’adaptation les plus appropriées selon une approche “bottom-up”, qui se base sur un modèle macroéconomique conçu pour faire des projections du rendement des cultures à l’horizon 2050. Ce travail permet d’estimer l’offre potentielle du secteur agricole selon les divers scénarios climatiques. L’intervention du chercheur à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), Florent Mouillot, était axée sur la vulnérabilité des forêts tunisiennes à la sécheresse. En se basant sur des études et des travaux scientifiques qu’il a encadrés en Tunisie, depuis 2007, et qui sont financés par l’RD et le ministère des Affaires étrangères français, il a révélé que la sécheresse est un élément-clé du fonctionnement forestier en Tunisie, en termes de croissance des arbres et en termes de risques d’incendie. Il a affirmé que le changement climatique prévoit une augmentation de cette sécheresse dans les années à venir par une modification de la température et par une modification de la précipitation. C’est dans ce sens qu’il a proposé une piste de mitigation qui repose sur la gestion de la densité d’arbres et du couvert forestier pour limiter la compétition pour l’eau et la propagation des incendies.

De son côté, le représentant de l’organisation internationale de l’environnement WWF Afrique du Nord, Hamadi Gharbi, a présenté le projet climat-énergie engagé depuis 2018 par l’ONG. C’est un projet qui vise à renforcer la capacité des organisations de la société civile à mener un dialogue constructif avec les pouvoirs publics au Maroc et en Tunisie pour qu’elles puissent avoir un rôle plus impactant dans l’adaptation au changement climatique. Le projet a réussi à créer un Réseau tunisien du changement climatique (Rtcc),composé de 17 acteurs de la société civile — dont les objectifs sont le renforcement de la participation, des OSC dans l’élaboration des politiques et des stratégies d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, le développement d’une culture de lutte contre le changement climatique en Tunisie et l’appui aux initiatives communautaires liées aux écosystèmes les plus vulnérables et partager leurs recommandations avec les décideurs.

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