Par Boujemâa Remili*
Nous croyons savoir qu’un certain nombre de compétences nationales seraient en train de travailler sur un bilan de la décennie 2011-2020. Nous en aurons probablement besoin pour non seulement connaître les maux dont souffre le pays, mais également pour savoir de quoi dispose-t-on pour toute velléité de rebondissement.
Le diagnostic va sans aucun doute mettre en lumière les dysfonctionnements graves de gouvernance qui sont à l’origine des dérapages de tout ordre.
Cela peut déboucher sur des enseignements politiques importants, capables d’éclairer l’opinion publique sur les capacités réelles et pas seulement tel que cela ressort de la propagande électorale, des différentes forces en présence, afin que la démocratie relève aussi de la mémoire et du fait que l’on n’est pas obligé de reconduire ceux qui finissent toujours par mener aux mêmes déboires.
Toutefois, tout en étant certain que nous aurons affaire à un bilan de qualité, il s’agit juste d’observer que 2011-2020 vient après 2001-2010 et que cela précède 2021-2030. Autrement dit, autant il nous intéresse de savoir ce qui s’est passé au cours du présent immédiat post-révolution, autant on aimerait également comprendre pourquoi nous avons eu cette révolution, et comment sortir d’une transition dont les questions qu’elle n’arrête pas de poser commencent à trop dépasser les réponses qu’elle donne l’air de pouvoir apporter.
Beaucoup de signes seraient en train de traduire le fait que pour les Tunisiens, contrairement à ce qu’il en était pour eux au cours de la première moitié de l’actuelle décennie, ils ne sont plus aussi certains de la «justesse» de leur révolution.
Si cela s’avère être vrai, nous ne serons pas loin d’une catastrophe. Car, le plus important ce n’était pas le fait que Ben Ali, paix à son âme, ait été congédié avec la manière dont cela s’était passé, après tout il aurait pu ne pas s’user jusqu’à l’os par vingt-trois ans de pouvoir pour finir de la sorte. Le meilleur dans la révolution ce n’était pas le «dégagement» de Ben Ali, mais les tonnes de rêves que cela avait suscitées, pour une société qui le méritait amplement et qui n’était obligée de n’avoir pour horizon que les tribulations des Trabelsias et autres Sakhr El Matri.
La révolution n’était pas une fatalité, mais si le champion de la sécurité militaire et civile le Général Ben Ali était là pour concocter un complot de mise à l’écart de Bourguiba, l’on désespérait de trouver quelqu’un qui puisse faire le même coup à Ben Ali lui-même.
Personne ne pouvait deviner ni la date ni la forme de changement, mais tout le monde savait que la contradiction profonde entre un pouvoir archaïque et une société dynamique et aspirant à la liberté, les droits de l’homme et du citoyen et la démocratie, n’allait pas durer une éternité sans qu’elle se procure une issue.
Néanmoins, quand advint la révolution, elle a trouvé une société certes rêveuse mais bien cabossée par cinquante-cinq ans d’autoritarisme systémique, une société qui avait encore de quoi «se défendre» contre l’hydre de l’islam politique et les dangers mortels de remise en cause de ses acquis, mais qui a été stérile pour «construire» quoique ce soit d’à-venir.
Fin 2020, on en est toujours au même point. Peu importe les genres de fauteurs de jeu, qu’ils soient affiliés à l’islam politique, à la corruption, aux théories fumeuses du conseillisme ou à ceux qui croient nous faire découvrir les tristement célèbres LPR qui nous ont assassiné Lotfi Naggadh au vu et au su de tout le monde, blanchis par la justice pour « absence de preuves » et qui courent toujours.
Les Tunisiens ont rêvé d’une «Tunisie nouvelle» mais peinent à se donner le leadership qu’il faut pour les y conduire. Bien sûr qu’en politique c’est comme en économie, la mauvaise monnaie chasse la bonne. Dans le bazar des échoppes du souk politique, il n’y a que l’embarras du choix entre marchandises de toutes sortes, hors de tout contrôle qualité. C’est de l’informel intégral, avec les frontières grandes ouvertes sur la contrebande et la malfaçon. En démocratie, il faut du temps au temps pour apprendre à faire les bons choix. Rien ne peut remplacer le développement de cette aptitude à distinguer le vrai du faux. Le bon grain de l’ivraie.
* Ex-député