Discours de haine, insultes, harcèlement en ligne, agressions verbales en plein public… Le monde virtuel et celui réel virent au chaos, aux injures en permanence… La violence verbale prend plusieurs formes et ne cesse de s’amplifier jour après jour devenant, de la sorte, un phénomène «inquiétant», vu sa propagation et dans l’espace virtuel et celui réel, surtout ces dernières années… Quelles sont ses origines, pourquoi devient-on aussi violent et comment remédier à ce problème ? Le sociologue, Abdel Satar Sahbani, nous fait des éclaircissements concernant ce phénomène de société et nous propose quelques solutions pour limiter sa propagation.
Pour définir tout d’abord ce qu’est la violence verbale sur les réseaux sociaux, le sociologue précise qu’il s’agit d’un fait social fréquent pour les individus, groupes et institutions. Les structures, quant à elle, n’ont pas réagi pour contrôler ce phénomène causé entre autres, par l’émergence des nouvelles technologies de communication et l’apparition des réseaux sociaux sur lesquels on peut s’exprimer librement sans dévoiler son identité (en se dissimulant derrière un faux profil, en cachant sa vraie identité…). Ce qui explique l’ampleur de la propagation de ce fléau dans la société tunisienne, c’est l’anonymat ! C’est-à-dire que les individus peuvent utiliser ces moyens de communication sans dévoiler leur identité réelle (on est derrière un écran).
Quant à la violence verbale dans l’espace public, on ne peut dire que le phénomène est récent, puisqu’on le voit et on le constate depuis longtemps, dans les familles (les mamans qui insultent leurs enfants, par exemple), mais le fléau a gagné de l’ampleur car ce genre de violence a été normalisé dans les médias de masse. Notamment, dans certains feuilletons, dans certaines émissions et celles de la télé-réalité… qui ont contribué et encouragé la banalisation de la violence verbale. «Le problème actuel, c’est que la violence verbale est généralisée dans l’espace public virtuel et personne n’en parle ! Jadis, le fait de blasphémer, dans les espaces publices, par exemple, était rare et passible d’amendes et même d’emprisonnement. Aujourd’hui, c’est devenu normal, et ne pose plus de problème ! Les insultes, les propos haineux et le blasphème sont devenus courants dans les espaces publics», explique l’expert en sociologie.
Un fléau normalisé par les médias de masse
Certes, les médias de masse, qui traitent de la violence dans leurs émissions dans le cadre de l’événementiel pour faire le «show» ou créer le «buzz», contribuent énormément à la normalisation et à la banalisation du phénomène, mais il est important de préciser que le fait de traiter ce fléau de façon comme étant un problème moral (surtout pour les fondamentalistes) explique, entre autres, cette distanciation qui se crée entre nos normes, nos valeurs, notre religion et notre authenticité. «Il y a évidemment une autre problématique dans la façon avec laquelle on réagit face à la violence, c’est qu’on la traite avec une logique sécuritaire, alors que la façon la plus adéquate pour limiter la propagation de la violence et traiter la problématique de fond, commence nécessairement et principalement par l’école, qui inclut les parents, le cadre enseignant, l’administration, mais aussi par les artistes qui devraient être mobilisés pour stopper ou limiter ce phénomène au lieu de le banaliser», note encore le sociologue.
La violence, certes, existe depuis toujours : on la remarquait dans les milieux publics, tels que les stades, les transports publics, dans les marchés et centres commerciaux, mais jamais dans les plateaux de télévision et les médias. «Aujourd’hui, elle est partout, et c’est devenu notre pain quotidien ! On la voit même dans certains spots publicitaires qui contiennent des messages incitant à la violence dans nos télés ! A ce titre, il faut absolument que les intervenants réagissent, chacun devrait jouer son rôle et s’impliquer pour remédier à cette problématique», insiste-t-il.
Le reflet d’un malaise sociétal
Pour comprendre les origines de ce phénomène et les raisons qui poussent les individus à devenir aussi violents, à s’exprimer avec une telle agressivité… le sociologue pense qu’il s’agit tout simplement du reflet d’une crise profonde de la société, résultat de la mutation et de l’évolution que vit la société actuellement. «D’ailleurs, les institutions sont incapables de digérer et de gérer ces ruptures au sein des structures sociales. C’est-à-dire que la dynamique sociale l’emporte de loin sur les dynamiques internes des institutions (les parents, enseignants, administration….) .La violence verbale est le résultat d’un malaise social que vit actuellement le Tunisien qui a été longtemps privé de parole dans l’espace public à cause de l’oppression… mais c’est aussi dû aux manques de moyens de distraction et de divertissement (les salles de cinéma, les musées, le théâtre, les clubs de lecture…)», détaille M. Sahbani.
Pour conclure, notre sociologue précise que l’émergence des nouvelles technologies de communication et des réseaux sociaux reflète évidemment cette dynamique sociale qui s’est installée depuis la création de ces moyens de communication, car cela permet le confort pour chaque individu, qui a son propre téléphone, son propre compte Facebook… ce qui lui permet de pratiquer ces formes de violences verbales sans être reconnu au sein de la famille ou dans la communauté, mais on ne peut guère dire que ce phénomène a gagné de l’ampleur à cause de ces nouveaux moyens de communication virtuels, car l’espace virtuel a donné une autre forme à la violence verbale, qui existait déjà dans les espaces publics depuis longtemps. «Pour remédier à ce problème, à savoir la violence verbale, on devrait tout d’abord le comprendre, l’expliquer, l’analyser par des enquêtes, des recherches… Et pour lutter contre le fléau, il faut organiser des campagnes de sensibilisation et des spots publicitaires pour toucher la société, changer absolument de stratégie et de méthodologie, Faire valoir d’autres moyens et faire une action sociétale », conclut le sociologue Abdel Satar Sahbani.