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Loi de finances 2021 | Un financement difficile à mobiliser

La part des emprunts est estimée à 18,7 milliards de dinars, dont 13 milliards de dinars sous forme de crédits extérieurs et 5,7 milliards de dinars sous forme d’emprunts intérieurs.

Non-adoption des articles relatifs aux équilibres budgétaires en commission, révision à la baisse du déficit budgétaire, passage direct au vote en plénière… les coups de théâtre qui ont émaillé le vote du PLF 2021 étaient inédits. Engagés dans une course contre la montre, exécutif et députés se sont démenés pour faire passer le PLF avant que les délais constitutionnels prennent fin. Finalement la loi de finances 2021 a été adoptée de justesse avec 110 voix pour, à la dernière minute. Pourtant, il s’agit d’une loi, dont devrait dépendre le sort de plusieurs acteurs économiques, compte tenu de la crise étouffante qui s’abat sur le pays. Quelles sont les principales dispositions de la LF 2021? Quels sont les schémas de croissance et de financement proposés par cette loi? Comporte-t-elle des mesures de soutien aux entreprises, les aidant à faire face aux effets négatifs de la crise liée au coronavirus ? C’est dans la perspective de répondre à ces questions que l’Institut IT Business School (Itbs) a organisé, vendredi 18 décembre 2020, un webinaire animé par l’économiste Aram Belhadj et auquel ont pris part d’éminents experts et économistes, à savoir la professeure universitaire Salma Zouari, l’ancien ministre des Finances Hakim Ben Hamouda, l’expert-comptable Walid Ben Salah et le membre de la commission parlementaire des finances Hichem Ajbouni.

La fin de l’épidémie au mois de janvier : principale hypothèse

Revenant sur les péripéties qui ont jalonné le processus du vote de la LF 2021, le député du Courant démocrate, Hichem Ajbouni, a rappelé que, pour la première fois,  la commission des finances de l’ARP  n’a pas voté les articles relatifs aux équilibres budgétaires mettant le ministère des Finances dans l’obligation de revoir à la baisse divers postes de dépenses. Il a rappelé, à cet égard, que les dépenses de compensation ont été  abaissées de 200 millions de dinars au niveau des subventions des produits alimentaires de base et de 100 millions de dinars pour le transport. Le ministère a également fait diminuer le coût de la dette de 245 millions de dinars, ainsi que des dépenses imprévues de 264 millions de dinars. M. Ajbouni a également fait savoir que le montant et la structure de l’endettement ont été également modifiés. Le montant global de la dette est passé de 19,6 milliards de dinars, dont 16,6 milliards d’emprunts extérieurs, à 18,7 milliards de dinars, dont 5,7 milliards d’emprunts intérieurs. «Si on tient compte de la note souveraine de la Tunisie et de l’absence d’un nouveau programme de financement avec le FMI, je vois mal comment on pourrait lever 13 milliards de dinars en 2021. On pourrait penser à un emprunt auprès de notre diaspora, mais il y a un véritable problème de confiance», a-t-il ajouté.

Le membre de la commission parlementaire a noté que la LF 2021 prévoit des recettes estimées à 29,8 milliards de dinars, contre 26,4 milliards de dinars en 2020, soit une augmentation de 12,9%. Elles représentent 64% du budget. «Ce qui est, à mon sens, surestimé et optimiste dans un contexte de récession», a-t-il précisé. Quant à la masse salariale, elle s’élève à 20,1 milliards de dinars, ce qui représente 38,8% du budget et 50% du total des dépenses. Pour les services de la dette, ils ont été fixés à 15,5 milliards de dinars, soit 30% du budget.    

Par ailleurs, M. Ajbouni a considéré qu’il s’agit d’une LF «sans âme, qui n’est pas adossée à une vision économique et qui est complètement déconnectée de la réalité du pays et des entreprises tunisiennes, notamment les PME sinistrées». Le député du Courant démocrate a, par ailleurs, souligné que la fin de l’épidémie au début de l’année et, par voie de conséquence, l’absence de ses effets sur les entreprises sont la principale hypothèse sur laquelle est construite la LF 2021. «La principale hypothèse de prévision sur laquelle se basait la loi, n’était pas le taux de croissance, ni le taux de change, ni le prix du baril, mais  que la pandémie va disparaître à partir du mois de  janvier 2021 et qu’il  n’y aura plus de répercussions sur les entreprises», a-t-il indiqué. Il a ajouté qu’hormis la mesure relative à l’abaissement du taux de l’IS à 15%, ainsi que quelques mesures en faveur de l’épargne et du secteur du tourisme, la loi ne prévoit pas des mesures phares qui puissent soutenir les entreprises sinistrées, les classes défavorisées ou les personnes mises au chômage suite à la crise liée au coronavirus.

30% de la LF ont été votés à la dernière minute

De son côté, l’expert Walid Ben Salah a rappelé que neuf  articles de la LF  portant sur des dispositions fiscales, soit 30% de la LF, ont  été votés à la dernière minute, à minuit, ce qui reflète l’existence d’un «problème d’approche et de méthode», selon ses dires. «Lorsqu’on dit que ces dispositions ont été adoptées à la dernière minute, c’est qu’elles n’ont pas été suffisamment  étudiées. Nous sommes toujours dans les mêmes pratiques qui consistent à ne pas analyser suffisamment l’impact des mesures fiscales sur l’économie, sur le trésor public, sur les entreprises…»,  a-t-il précisé. Et d’ajouter : «Parmi les 9 mesures qui ont été modifiées d’une manière profonde à la dernière minute, il y a des mesures qui impactent directement le budget de l’Etat, notamment les recettes et les dépenses. D’une part, il y a la  réduction du taux de l’IS qui a été accompagnée d’une réduction du taux de  retenue à la source, deux mesures qui ont un impact sur les recettes fiscales. D’autre part, il y a d’autres dispositions qui vont augmenter les dépenses pour l’année 2021, notamment la prise en charge des cotisations Cnss, au profit des établissements touristiques et de l’artisanat, l’octroi d’une prime au profit des travailleurs et des employés de ces établissements, la possibilité de déclarer les acomptes provisionnels et l’impôt sur les entreprises au cours de l’année, sans pour autant  les payer. D’emblée, on sait qu’à l’heure du vote du PLF,  on a besoin d’une loi de finances complémentaire, ce qui  démontre qu’il y a un manque  de vision, de méthode  au niveau de l’élaboration de la loi, sachant que ces dispositions ont été votées après avoir voté le budget économique dans sa globalité et par mission».

M. Ben Salah a souligné que la LF 2021 prévoit un financement sur le marché intérieur à hauteur de  5,6 milliards de dinars. Une opération qui implique une création monétaire pour le financement du budget de l’Etat qui est englouti à plus de 85% par les dépenses courantes, principalement la masse salariale, la compensation et le service de la dette. «On n’est pas en train de créer la monnaie pour financer  l’investissement, l’exploitation ou l’économie réelle qui permet la création de la richesse. On risque d’avoir des problèmes importants en 2021 suite à cette orientation au niveau du financement budgétaire. Elle va impacter le taux de change et  l’inflation», a-t-il ajouté. L’expert-comptable a, en outre, fait savoir qu’hormis les mesures prises en faveur des établissements touristiques, la LF 2021 ne comporte pas de mesures fiscales qui permettent de sauver les entreprises qui sont, désormais,  en difficulté financière, suite aux effets de la Covid-19.

«Même la mesure qui concerne l’extension de la ligne de garantie pour l’octroi de crédits, qui permet de financer l’exploitation jusqu’au 31 décembre 2021, bénéficie seulement aux entreprises sinistrées qui sont définies  par le décret-loi publié au mois d’avril et qui établit des conditions draconiennes d’éligibilité», a-t-il noté.

Par ailleurs, l’expert-comptable a souligné que l’unification du taux de l’impôt à 15% est une mesure qui pose problème, dans la mesure où elle ne permet pas d’avoir de l’équité fiscale, du moment où elle met sur un pied d’égalité l’industriel exportateur et les importateurs de produits babioles. «Ce n’est pas un bon message aux exportateurs tunisiens»,  a-t-il commenté.

Amorcer une relance par l’offre

De son côté, l’économiste Hakim Ben Hamouda a indiqué que la LF 2021 a été élaborée dans un contexte de croisement de trois grandes crises. La première crise, qui est structurelle, est liée au modèle du développement qui est essoufflé et totalement dépassé. «Tous les gouvernements qui se sont succédé n’ont pas été en mesure de développer un nouveau modèle de développement», a-t-il précisé. Il a ajouté que  la deuxième crise concerne les grands équilibres macroéconomiques, dont le dérèglement date depuis 2011.

«On a assisté à une augmentation très rapide des dépenses qui n’a pas été suivie d’une augmentation des recettes, on est dans une situation de grandes difficultés macroéconomiques qui s’est traduite par une forte augmentation de la dette», a-t-il indiqué.

La troisième crise est  liée à l’impact de la pandémie Covid et ses effets sur l’économie tunisienne, et qui a induit la plus forte récession dans l’histoire du pays. Il a expliqué que l’élaboration d’une LF dans un contexte aussi inédit nécessite deux préalables, à savoir l’identification des priorités avec, à leur tête, la stabilisation macroéconomique (un déficit de 13,5% est difficile à financer et à accepter par les institutions internationales, a-t-il estimé) et l’instauration d’un consensus autour de ces priorités.   

Interrogé sur la LFC prévue au mois de mars 2021, M. Ben Hamouda a fait savoir qu’au cas où  le dialogue économique et social, initié par l’Ugtt, est lancé, la LFC pourrait être le moyen de mettre en place des mesures urgentes issues du dialogue.

A travers une analyse exhaustive, la professeure Salma Zouari a détaillé le schéma de croissance sous-jacent de la LF 2021. En somme, elle a démontré que la LF 2021 amorce un changement de cap et esquisse une politique de l’offre (une relance par l’offre), dont l’élément essentiel est de favoriser la production, en réduisant l’impôt sur les sociétés. Elle a cependant estimé que  la maîtrise de la consommation publique et privée demeure très largement insuffisante. «Il aurait fallu stopper l’accroissement de la dépense publique et freiner de façon sérieuse les dépenses privées. L’effet de ce changement de cap pourrait ne pas se manifester immédiatement. Il ne faut pas oublier que la résolution des problèmes structurels du pays, dont la crise des industries non manufacturières est déterminante. Si réellement on arrive à résoudre la crise, des industries non manufacturières, il y aura un effet d’entraînement sur le reste de l’économie», a-t-elle noté.

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