La diaspora tunisienne regroupe les citoyens tunisiens vivant à l’extérieur du pays. Elle est la conséquence directe du fort taux d’émigration vers le nord de la Méditerranée que connaît la Tunisie depuis son indépendance en 1956.
Dans les années 1960 et 1970, la conjoncture économique favorable que connaissent certains pays européens contribue à amplifier le phénomène. Le début des années 1980 voit un véritable essor de la communauté tunisienne dans ces pays et, tout particulièrement en France, en raison des régularisations des situations (plus de 22 000 cas).
En 2014, le nombre de Tunisiens résidant en dehors du pays est évalué à près de 1.500.000 personnes dont la grande majorité en Europe. Néanmoins, ces chiffres officiels semblent être sous-estimés en raison de l’inadéquation des bases des immatriculations consulaires à des fins statistiques.
Parmi les ressortissants faiblement immatriculés figurent la troisième génération en France, dont on estime qu’une personne sur dix ne serait pas immatriculée, et les enfants de parents mixtes. Les sans-papiers, très nombreux en Italie par exemple, n’ont pas droit non plus à l’immatriculation. Plus de la moitié (950.000) est installée en France — l’une des plus importantes communautés étrangères du pays — et bénéficie pour les deux-tiers de la double nationalité. Ils se concentrent essentiellement dans les grandes villes (40 % à Paris, 12 % à Lyon et 8% à Marseille mais aussi à Nice, Bordeaux, Toulouse, Strasbourg ou Lille). 450.000 personnes sont installées dans les autres pays européens dont essentiellement l’Italie, l’Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et l’Angleterre. Les pays arabes du Maghreb et du Moyen-Orient abritent près de 150.000 émigrés tunisiens. Les USA et le Canada ainsi que les pays africains au sud du Sahara reçoivent quelques dizaines de milliers de personnes.
Un grand nombre de concitoyens dont une bonne majorité fait partie de l’élite du pays dans plusieurs domaines (économie-enseignement-administration-juristes) ont quitté la Tunisie au lendemain du 14 janvier 2011, non pas qu’ils étaient contre le changement intervenu dans notre pays mais parce qu’ils avaient d’autres ambitions à réaliser. Ils se sont installés un peu partout dans le monde, là où il leur semblait mieux réussir. Ainsi, notre diaspora, récente et surtout ancienne, avec sa diversité et ses capacités est, certainement, en mesure d’aider la mère patrie qui lui a tant donné et de mettre ses compétences à son service.
C’est pourquoi un effort particulier doit être effectué par les autorités, dans ce sens, en vue d’identifier toutes ces compétences, là où elles se trouvent, pour les mobiliser et les convaincre, eux et leurs amis ou connaissances dans les pays hôtes, à venir en Tunisie, créer des entreprises et investir. Une attention, toute particulière, doit être effectuée par tous les responsables, qu’ils vivent à l’intérieur ou à l’extérieur du pays, à l’égard de notre diaspora et en particulier envers une certaine élite, en vue de la convaincre de tout faire pour encourager ses connaissances, ses proches et amis étrangers à venir en Tunisie monter des projets et profiter des encouragements que leur offre le Code des investissements.
Des experts des cabinets spécialisés dans l’émigration soulignent que l’élite de la diaspora travaille généralement dans des secteurs de pointe, en y comblant les insuffisances que les pays riches connaissent en matière de ressources humaines. Ils ont établi une distinction entre les membres les plus formés et les plus productifs d’une diaspora, ayant quitté son pays pour des raisons politiques, les raisons qui poussent de plus en plus les nationaux à émigrer. C’est le cas des exilés des pays d’Asie du Sud et du Sud-Est, qui constituent aujourd’hui l’épine dorsale des entreprises de certains pays industrialisés dans les secteurs des technologies de l’information et de la communication (TIC), de la médecine de pointe ou de la recherche pharmaceutique et technique.
Un autre expert estime que la grande difficulté que rencontrent les professionnels africains installés en Europe et en Amérique du Nord vient d’abord de l’absence de structures de contact qui leur permettraient d’entretenir un dialogue avec les autorités de leurs pays d’origine. Il souligne, aussi, qu’il faudrait créer un cadre accueillant dans lequel les membres des diasporas puissent mettre en valeur leurs capacités ; l’expert a cependant noté qu’il faut éviter de créer un antagonisme entre la diaspora et les cadres restés dans les pays d’origine.
De même, chaque diaspora a des spécificités qu’il faut identifier pour pouvoir créer un lien productif entre elle et son pays d’origine et un environnement fiscal et juridique propice à son retour. Le membre de la diaspora qui veut investir ou se réinstaller dans son pays d’origine ne doit pas être perçu comme une menace, ce que l’on a trop souvent constaté dans certains pays parce que le dialogue qui aurait permis aux différentes parties de se connaître, de s’entendre et peut-être aussi de s’apprécier, n’existe pas. En Afrique, on constate aussi que les pays qui commencent à connaître un succès en la matière sont ceux qui ont créé des environnements porteurs en reconnaissant les double nationalités et en mettant en place un cadre ouvert d’expression publique et de gouvernance transparente. De nombreux participants à une table ronde ont mis en garde contre la tendance à considérer la diaspora comme des « vaches à lait ». Il ne faut pas oublier que les transferts financiers des émigrés vers leur pays d’origine sont des fonds privés. Les interventions des membres des diasporas dans les domaines de l’investissement et du développement ne peuvent se faire que de manière libre et volontaire. De toutes les façons, les ressortissants d’une diaspora ne peuvent rien faire de productif dans leurs pays d’origine s’ils n’y trouvent pas des relais et des réseaux de soutien. Ils ont besoin d’avoir des gens et des structures auxquels ils peuvent faire confiance quand ils veulent y investir leurs économies ou d’autres ressources. Il faudrait aussi qu’au sein des diasporas elles-mêmes, il y ait un cadre qui permette à leurs membres de se rencontrer et d’identifier ensemble les secteurs dans lesquels ils pourraient se lancer avec succès. La mission et le rôle des chancelleries et des consulats dans ce domaine sont d’une importance capitale. La dispersion et l’isolement des initiatives, que l’on a constatés, à ce jour, portent peu de fruits.La notion de codéveloppement, dont la tentative d’introduction a été faite il y a quelques années, dans le cadre de la gestion de la question de la migration et du développement, a longtemps été critiquée par certains partenaires au développement, mais on s’est réjoui que l’on commence à reconnaître aujourd’hui que ce concept, dont la mise en œuvre est basée sur la création de partenariats et d’un dialogue permanent, peut connaître le succès, comme on le voit au Mali et au Maroc. Dans ces pays, les migrants bénéficient de cadres qui leur permettent d’investir leurs transferts financiers dans des microprojets et dans la création de petites entreprises.
En même temps qu’on encourage la diaspora à investir, il faut néanmoins être réaliste et reconnaître que les risques d’échec sont concevables et que le chemin de la réussite peut être semé d’embûches. D’où la nécessité de créer en sa faveur un réseau de soutiens et de contacts, a poursuivi l’experte en estimant que quand elle investit dans son pays d’origine, la diaspora peut jouer un rôle de catalyseur. Ayant des liens avec l’extérieur, ses membres indiquent clairement, par leurs intentions et surtout par leurs actions, aux entreprises de leurs pays d’accueil que leur pays d’origine est stable, digne de confiance, et favorable à l’investissement.
La pauvreté en zones rurales étant le problème le plus grave auquel doivent faire face les pays en développement, que peut faire la diaspora pour y soutenir la création d’entreprises pouvant exploiter, transformer et exporter les nombreuses ressources naturelles et agricoles qui y végètent, faute d’investissements et de connaissances? Pour répondre à cette question, Mme Wanja Michuki, créatrice et directrice de la« Highland Tea Company », du Kenya a estimé qu’étant souvent mieux informés que leurs compatriotes, les membres des diasporas peuvent mieux tirer parti des cadres commerciaux préférentiels accordés aux pays pauvres par les pays riches. Elle a pris pour exemple le cas de l’Accord commercial préférentiel pour les opportunités de croissance (Agoa), offert par les États-Unis aux pays d’Afrique. Elle a relevé que la majorité des pays africains ne parvenaient pas à tirer parti de l’Agoa du fait de leur manque de capacités humaines et de ressources d’investissement.
Conçu pour favoriser le développement d’un secteur privé pouvant mettre en valeur les produits locaux et créer des emplois, ce genre d’accord préférentiel d’échanges commerciaux offre aux diasporas, et à leurs gouvernements d’origine, un cadre dans lequel ils pourraient coopérer de manière fructueuse, une des parties apportant ses multiples expertises et ses investissements, et l’autre l’aidant en mettant en place un cadre d’investissement et de gouvernance qui profitera aussi à un meilleur accueil de l’investissement étranger direct…
(A suivre)
Boubaker BENKRAIEM : Colonel ® Ancien Sous-Chef d’Etat-Major de l’Armée, -Ancien Gouverneur