C’est la fable de «Martyr» de l’auteur Mayenberg, un drame en crescendo qui avance en stations séparées-liées que son auteur a présenté en 25 actes sans grand nœud réel. Un drame qui ne met pas le lecteur face à une attente ou une course derrière l’inattendu ou l’imprévisible. C’est un drame tracé en mode crescendo jusqu’au point culminant sans nœud nécessitant un dénouement selon le modèle connu du «drame moderne», comme l’a théorisé l’Allemand Peter Szondi.
Mayenberg, conscient que sa pièce ne se base pas sur une structure solide et dialectique, a compté sur l’évolution du drame à travers une série d’arrêts et de situations séparées en se basant sur un rythme dynamique mouvant et rapide, à travers des phrases courtes dialoguées, nécessitant un énoncé et sa réponse, une question et sa réponse, une offense et sa réaction appropriée ou pire. C’est un rythme d’affront entre deux discours, un discours religieux agressif (Benjamin Südel) et un autre, posé, logique, défensif (la professeure Erika et les autres personnages). Un drame se basant sur la spéculation du dialogue, puisque la pièce est basée sur un conflit entre deux visions contradictoires, une religieuse, l’autre logique, sous forme de stations.
L’auteur a misé sur les transformations du protagoniste, Benjamin Südel, l’élève adolescent, ce qui a donné un drame biographique de ce «héros». Ce qui explique la position secondaire des autres personnages transformés en assistants, illuminant la présence du héros. Ce qui explique aussi la multiplicité des lieux dans ce drame, de la piscine, la salle de classe, l’église, le bord de rivière, à la chambre de la mère, et d’autres lieux.
Lors d’une observation profonde, on peut comprendre que ce sont des tableaux successifs sans lien dialectique. Ce ne sont que des stations avec la simple présence de Benjamin en action. Il n’est pas étonnant que cette pièce appartienne, de par sa nature dramaturgique, au «drame à stations» vu sa structure récurrente et en crescendo, et de par le contenu de son discours au style de «théâtre à thèse».
Considérons le point de vue de «théâtre à thèse», un fait annoncé dès le premier acte dans le texte, dans le dialogue entre Benjamin Südel et sa mère, un acte intitulé «un mot d’excuse», qui tourne autour de la raison de l’absence de Benjamin à l’école et à la natation.
Ce premier acte dans le texte original résume, d’une manière condensée et éloquente, toute la pièce, puisque le point de vue de la mère pour ce «mot d’excuse» justificatif de l’absence de son fils à l’école se confronte à celui qu’insiste celui-ci à mettre «que le cours de natation blesse mes sentiments religieux. Point…»(2) comme il le dit, et non, comme voulait mettre la mère, à cause d’une sinusite.
C’est entre la sinusite de Benjamin Südel et la blessure de ses sentiments religieux, comme deux justificatifs contradictoires, que se construit la pièce à thèse dans une confrontation entre deux visions du monde, une vision scientifique et une vision dogmatique, avec, comme moteur essentiel, le protagoniste donneur de leçons à tout le monde à travers sa vision purificatrice, contradictoire à toute thèse laïque, que ce soit à propos de la morale, des sciences ou de la croyance.
L’indication qui permet de considérer le drame «Martyr» comme «drame à stations» est la structure sur laquelle s’est construit le drame, basée sur des moments primordiaux (ou des stations) successifs qu’a organisés l’auteur, Mayenberg, selon les instants importants d’articulation du protagoniste ou du «héros» Benjamin. Cette structure est celle que décrit Jean-Pierre Sarrazac de «modèle aristotélo-hégélien», c’est une structure qui évolue dans l’amputation et la compression traçant un parcours de la pièce comme un pèlerinage.
Sarrazac indique que la structure du «drame à stations», conçu par les hommes de théâtre expressionnistes allemands à l’ère du drame moderne inspirés du modèle aristotélicien, s’est intéressée à l’exposition des «Passions du Christ», ce qui correspond parfaitement à la structure de la pièce «Martyr» où on suit le parcours de Benjamin Südel, évoluant du moment de son refus de nager jusqu’au moment de l’attentat, tuant les autres passants par son isolement, sa rébellion, sa prédication et sa tentation de se crucifier tel le Christ.
Ce qui le montre changeant d’une station à une autre ou comme l’appelle pertinemment Sarrazac comme «personnage- pèlerin», ce qui nous pousse en vérité à considérer le drame comme monodrame masqué ou bien «drame polyphonique», c’est-à-dire à multiples voix comme au théâtre de Strinberg.
Nous pensons que l’auteur dramaturge Mayenberg s’est choisi ce modèle du patrimoine dramaturgique expressionniste sous l’influence de la concordance de l’image symbolique des passions du Christ avec son protagoniste.
C’est pour cette raison que le modèle de drame de la pièce «Martyr», mettant l’accent sur l’évolution du personnage messianique, ne peut être porteur de surprises. Et puisque tout personnage messianique est en quête de prédication et de purification, et puisque dans la plupart des «drames à stations» (dans le cadre large du drame moderne) de Strinberg à Koltès, comme l’indique Jean-Pierre Sarrazac, l’acte du crime est un évènement libérateur(3), le personnage de Benjamin ne peut éviter l’acte de crime en tirant en fin de la pièce sur tout le monde.
On ne peut se presser d’interpréter ce crime comme étant un couronnement de parcours en l’identifiant en tant qu’acte terroriste, pouvant être mis dans le cadre actuel des faits et des changements géopolitiques dans l’ère d’après la lutte des identités et la collision des civilisations, comme l’a voulu la pièce, la pièce de Jaïbi, et de le transmettre au récepteur comme étant un emprunt de l’intolérance religieuse et du terrorisme, puisque c’est un parcours inévitable de ce genre de drame à stations cherchant le salut à travers le pèlerinage.
(A suivre…)