Accueil Actualités Vient de paraItre : «Indissociables droits et libertés» | Fractures entre l’élite politique et les revendications de la révolution

Vient de paraItre : «Indissociables droits et libertés» | Fractures entre l’élite politique et les revendications de la révolution

L’enchevêtrement du lien entre droits, libertés et dignité est une thématique sur laquelle travaille depuis plus d’une année l’Association de défense des libertés individuelles (Adli). Fruit de cette réflexion, un ouvrage vient de paraître : «Indissociables droits et libertés»


L’Association, cofondée par le professeur Wahid Ferchichi, «l’agitateur» principal de l’ONG de par ses réguliers plaidoyers, ses interventions dans les médias et colloques scientifiques et de ses articles en faveur des droits et libertés individuels, a décidé de réunir à l’occasion des dix années de la révolution et en même temps dix années de l’Adli un ensemble de chercheurs de diverses disciplines. La question autour de laquelle ont réfléchi quatre chercheurs, une historienne, une juriste, une politiste, un sociologue et une journaliste concerne la complémentarité des droits humains. Ce travail, basé sur la multidisciplinarité, a donné lieu à un ouvrage collectif, publié avec le soutien de la Fondation Heinrich Boll, intitulé «Indissociables droits et libertés », (décembre 2020, 245 pages) et dont les auteurs sont : Kmar Bendana, Asma Nouira, Zouhair Ben Jennet, Rim Abdmouleh, Mejda Mrabet et Olfa Belhassine.

Le populisme comme menace

Dans l’introduction du livre coordonné par le professeur en droit public Wahid Ferchichi, l’universitaire et juriste  annonce la couleur : le slogan phare de la révolution tunisienne, «Travail, liberté, dignité nationale», qui s’inscrit dans l’interférence entre droits, libertés et dignité est remis en question par la nouvelle élite politique, issue des élections de 2019. Le populisme de ce personnel politique est basé sur un discours derrière lequel se cache « une stratégie caractéristique de tous les courants fascistes, totalitaires, dictatoriaux et autoritaires, qui consiste dans une première étape à écarter, voire éradiquer les libertés individuelles, pour porter l’attaque ensuite sur les droits économiques, sociaux et culturels. Cette stratégie découle d’une idée claire : ces courants ne croient pas aux droits humains. Ni dans leur universalité, ni dans leur acception complémentaire et interdépendante et encore moins dans leur caractère indivisible », écrit le juriste.

Et au professeur Ferchichi de s’interroger : «Allons-nous accepter que des forces politiques de passage détruisent les fondamentaux d’une société et d’un Contrat politique scellé en 2014 dans la Constitution ?». Une manière de s’opposer à un tel danger est probablement celui de débattre, de déchiffrer le réel et de dévoiler d’obscurs desseins. Réfléchir et écrire est aussi une manière de lutter, semble insinuer le coordinateur du projet.

Eclairage historique

L’histoire illumine toujours le présent : «Avoir été, c’est une condition pour être», notait Fernand Braudel dans son magnifique livre «La Méditerranée». D’où le commencement de l’ouvrage avec un éclairage signé par la professeure  Kmar Bendana, qui a cherché dans son article à appréhender les droits humains en Tunisie depuis les dix-neuvième et vingtième siècles, en suivant les moments historiques majeurs de l’histoire politique du pays. L’abolition de l’esclavage (1846), le Pacte fondamental (1855-1859) et la Constitution de 1861 annoncent un intérêt certain pour les questions de l’égalité entre les citoyens, les droits individuels et l’idée de la séparation des pouvoirs. C’est avec la lutte pour la décolonisation que naît en Tunisie l’idée des droits de l’homme. «L’accélération des péripéties politiques dans les années 1950 est un passage à l’action significatif. Il ramène à une vision plus internationale des droits collectifs dans la mesure où plusieurs contextes coloniaux bougent, en Afrique et en Asie», écrit Kmar Bendana.

L’indépendance du pays en 1956 apporte son lot d’avancées mais aussi d’ambiguïtés des discours et des pratiques en lien avec les droits de l’homme. A l’époque de Bourguiba et surtout sous le régime de Ben Ali, la question des droits humains est accaparée, voire confisquée par le pouvoir, y compris pour imposer un féminisme d’Etat, peu contestataire du système patriarcal.

Avec la révolution, s’ouvre une autre étape : la Tunisie adopte une nouvelle Constitution en janvier 2014.

«Le texte constitutionnel offre un catalogue peu structuré des droits fondamentaux, alors que des signaux des droits individuels clignotent, pour affirmer leur place à côté et en plus des droits collectifs», fait remarquer l’historienne. Tout en insistant sur l’écart persistant qui sépare les acquis juridiques de taille des transformations des mentalités.

Au terme de sa lecture des textes relatifs à l’évolution des droits en Tunisie, l’historienne conclut sur l’idée que la dégradation des conditions économiques au sein des classes moyennes et défavorisées et l’occultation par les décideurs de la justice sociale font privilégier les droits économiques et sociaux sur les droits  individuels.

De la spécificité culturelle

C’est une conclusion plutôt proche que fait la professeure Asma Nouira à l’issue de son article intitulé : «Les libertés individuelles, les droits économiques, sociaux et culturels : quelle approche dans le discours politique ?».

En analysant les propos des partis politiques en campagne pour les élections législatives et présidentielle de 2019, la politiste Asma Nouira se rend compte que la plupart des forces politiques reconnaissent les libertés individuelles et l’égalité, en tant que valeurs démocratique. Sauf qu’elles les subordonnent à la spécificité culturelle et à la préservation de l’identité islamique : «La spécificité culturelle, pour les partis islamistes, à la religion et à ses enseignements, et, à la préservation des traditions et de la dimension sociologique de l’identité, pour les partis non islamistes.

Certains acteurs politiques traitent la question des droits et des libertés d’une manière sélective, en tenant compte des particularités culturelles dont la religion est le tributaire le plus important. D’autres, reconnaissent l’universalité des droits de l’homme, mais refusent d’en consacrer certains sous prétexte de la particularité religieuse et culturelle et du respect du sacré».

Le rejet absolu des libertés individuelles et de l’égalité apparaît chez le mouvement Ennahdha, mais aussi chez les nouveaux populistes installés à l’ARP. Pour qui le peuple «voulant préserver sa religion et sa culture, refuse toute « dérogation » à ses valeurs «sacrées». Et ces libertés deviennent une conspiration extérieure contre son identité», écrit encore Asma Nouira.

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