Une alerte est adressée aux autorités : «De grands groupes étrangers qui ont créé des filiales en Tunisie sont en train de perdre leurs repères, leur confiance dans un site qui aurait pu tirer un grand profit du mouvement de relocalisation des entreprises européennes de la Chine vers des destinations de proximité offrant des avantages compétitifs probants».
Mais pourquoi la Tunisie en est arrivée à cette situation désastreuse de son économie ? L’agence Moody’s a, en effet, attribué une note négative à notre pays avec des perspectives négatives. En effet, Moody’s abaisse la note de la Tunisie à B3 et maintient ses perspectives négatives. C’est dire que notre pays n’a pas enregistré de bons résultats au sujet des différents critères économiques et financiers ayant trait à l’endettement, au déficit budgétaire, aux réformes… Tout semble faire du surplace depuis une dizaine d’années et aucun progrès n’a été fait jusqu’ici.
Inquiets, les partenaires étrangers de la Tunisie lancent un cri de détresse. Ils ont exprimé, dans un communiqué du Conseil des chambres mixtes daté de jeudi 25 février 2021, leur crainte face à l’instabilité politique et économique du pays, avec un manque de visibilité flagrant et un changement perpétuel des règles du jeu si bien qu’ils ne savent plus où ils en sont.
Mouvements sociaux
Ainsi un cri de détresse a été lancé afin que les autorités publiques tiennent compte de la nécessité d’asseoir un climat des affaires propice aux investissements et apte à préserver les investissements actuels et en drainer de nouveaux. Dans l’état actuel des choses, cet objectif ne peut pas être atteint. D’où la nécessité de prendre des mesures urgentes pour améliorer le climat d’investissement, selon le Conseil. La crise politique a pesé de tout son poids sur la vie économique. A la faveur d’un changement répétitif des membres du gouvernement, les investisseurs ne savent plus sur quel pied danser, d’autant plus qu’il n’existe vraiment pas une vision claire à moyen et long terme pour ce qui concerne les perspectives d’investissement.
Selon les hommes d’affaires précités, «après plus de dix ans d’attentisme, de grande instabilité politique, d’un cadre fiscal qui pénalise l’initiative et l’investissement (plus de 800 nouvelles mesures fiscales ont été introduites visant essentiellement le secteur organisé), de perturbation du cycle de production par des mouvements sociaux souvent non encadrés et sauvages, la Tunisie risque de perdre une grande partie de ses investissements extérieurs. De grands groupes étrangers qui ont créé des filiales en Tunisie sont en train de perdre leurs repères, leur confiance dans un site qui aurait pu tirer un grand profit du mouvement de relocalisation des entreprises européennes de la Chine vers des destinations de proximité offrant des avantages compétitifs probants».
C’est dire que du travail reste à faire pour mettre les perdules à l’heure et redresser une économie à la dérive. Les hommes d’affaires étrangers risquent, en effet, de délocaliser leurs unités si des mesures urgentes ne sont pas prises en vue d’organiser l’économie nationale dans le cadre de la concertation avec les professionnels. Il est nécessaire d’assainir le climat des affaires en vue de faciliter la vie aux investisseurs pour leur permettre de maintenir leur activité, développer leurs affaires et recruter de nouveaux cadres.
Les investisseurs étrangers ne regrettent pas d’être venus en Tunisie pour investir et créer leurs projets mais ils ont constaté, impuissant, la dégradation du climat des affaires qui a été aggravé par le Covid-19. Ainsi, le message des partenaires de la Tunisie précise que «dans ce contexte, loin de chercher à investir, les chefs d’entreprise se demandent dans quelles conditions ils peuvent, dans le meilleur des cas, maintenir une activité normale ou, le cas échéant, envisager un plan B. La multiplication des cris de détresse des chefs d’entreprise ne constitue nullement un phénomène marginal qui ne concerne que des cas isolés. Les derniers sondages réalisés par les différentes chambres mixtes confirment bien leur inquiétude quant à la dégradation de l’environnement de l’investissement dans le pays».
Et d’ajouter : «En effet, outre l’impact négatif du Covid-19 qui a affecté sérieusement les capacités productives d’un nombre considérable de secteurs d’activité, les chefs d’entreprise déplorent l’instabilité politique qui constitue à leurs yeux un facteur à risque et un véritable goulot d’étranglement et soutiennent que malgré leur bonne volonté, le site tunisien des affaires est devenu de moins en moins attractif». Pourtant, la démocratie est la première réussite du changement politique opéré en Tunisie après un certain 14 janvier 2011. On a constaté une fluidité au niveau de la désignation des gouvernements mais la situation a empiré récemment. La mésentente entre les trois têtes du pouvoir a pesé lourd sur la scène économique qui ne s’attendait pas à une telle déroute.
«Absence de tout message clair»
Les partenaires de la Tunisie sont en tout cas catégoriques : «D’ailleurs, l’attentisme et l’inquiétude qui prévalent se déclinent à travers la propension importante des entreprises qui hésitent encore à décider des extensions ou un développement futur de nouveaux investissements en Tunisie. Manifestement, l’absence de tout message clair de la part des autorités publiques, à même de restaurer la confiance des opérateurs étrangers implantés en Tunisie, risque d’exacerber davantage les difficultés du pays en cette période de transition cruciale.
Le Conseil des chambres mixtes continue, malgré ce contexte difficile, à croire en la Tunisie et à soutenir toutes les initiatives et tous les efforts qui visent à réaliser des améliorations significatives de l’environnement administratif et réglementaire des affaires et à regagner la confiance des investisseurs».
Le temps est venu, de l’avis de plusieurs économistes et experts, d’effectuer le changement radical en amendant le système politique qui est la source principale des problèmes vécus par la Tunisie. Certains parlent aussi de changement nécessaire du mode de scrutin pour une assemblée nationale plus représentative. Pour ce qui est de l’investissement, le Conseil des chambres mixtes «réitère son appel pressant à tous les acteurs responsables, de par leur statut dans la gouvernance du pays, à lancer un vaste et ambitieux plan de relance des investissements nationaux et internationaux capable de générer une croissance durable, de contribuer à la création d’emplois permanents et d’intégrer les zones prioritaires dans une dynamique de développement territorial».
Les mesures urgentes à prendre
«Le Conseil des chambres mixtes appelle à prendre des mesures urgentes pour améliorer le climat d’investissement à travers notamment :
— Un programme de digitalisation des procédures administratives en rapport avec l’activité économique (investissement, commerce extérieur, emplois et formation)
— Une stabilisation de la fiscalité appliquée aux investissements extérieurs.
— Une accélération des processus de traitement des dossiers d’investissement nouveaux ou d’extension.
— Une révision de la réglementation des changes.
— Un interlocuteur unique au cabinet du chef de gouvernement auprès duquel les chambres mixtes pourraient intervenir pour proposer des solutions aux difficultés potentielles que peuvent rencontrer les investisseurs étrangers».
Il faut en finir avec la crise politique vécue par la Tunisie et sortir de l’impasse constitutionnelle qui paralyse l’économie du pays, sévèrement impactée par la crise du Covid-19.
Il est à rappeler que le Chef de l’Etat avait refusé d’inviter les nouveaux ministres nommés par le Chef du gouvernement, Hichem Mechichi, à prêter serment. Un refus justifié par l’inconstitutionnalité du remaniement opéré en janvier dernier, en plus de « suspicions de corruption » concernant certains des ministres nommés. On rappellera également que les onze ministres concernés ont bénéficié de la confiance de l’ARP et que Hichem Mechichi a adressé deux correspondances au Président pour fixer une date de prestation de serment, toutes deux ayant été rejetées.
Mardi 23 février 2021, un nouveau coup de massue s’abat sur le pays : l’agence de notation Moody’s a décidé d’abaisser la note de l’émetteur à long terme en devises et en monnaie locale de la Tunisie de B2 à B3 en maintenant la perspective négative. Ce qui impactera les sorties du pays sur les marchés internationaux pour solliciter des crédits et qui seront désormais très coûteuses. Des mesures urgentes doivent être prises pour sortir de l’ornière et permettre aux chefs d’entreprise de travailler dans un environnement sain et stimulant. Il s’agit de commencer par résoudre le problème politique qui se pose avec acuité avant de passer aux réformes économiques et financières en suspens.