
L’école est un univers idéalisé et sacralisé par les parents de l’enfant dyslexique, parce que cela nécessite des efforts de tous les instants et des investissements financiers importants sans garantir la réussite. Le système éducatif tunisien actuel est plein de carences et de lacunes qui minent le moral de l’élève dyslexique et ne favorisent pas son épanouissement scolaire.
Les troubles des apprentissages, appelés couramment troubles « dys », dont la dyslexie est le trouble majeur, sont au centre des préoccupations de nombreux parents et professionnels de santé. On n’a pas fini de découvrir de nouvelles notions et compréhensions à propos des troubles « dys ». Pour mieux faire connaître à l’opinion publique en général et aux responsables du système éducatif et scolaire tunisiens en particulier, les retombées de la dyslexie chez l’enfant, notamment dans son parcours scolaire, une conférence-débat a eu lieu vendredi dernier, à la Cité des sciences de Tunis (CST).
Trois interventions majeures d’une pédopsychiatre, une orthophoniste et une psychologue se sont produites avant d’entamer les débats. Pr. Asma Bouden, professeur en pédopsychiatrie et chef de service à l’hôpital Razi, a exposé la problématique de la dyslexie, avant d’aborder l’ensemble des troubles des apprentissages associés sur le thème : « Professionnels, parents, enseignants, que doit-on savoir sur la dyslexie ».
Selon l’OMS, la dyslexie touche près de 8 à 10% des enfants normalement scolarisés et 3 fois plus les garçons que les filles, quels que soient le pays, la culture et la langue. La dyslexie est un trouble durable entraînant plusieurs conséquences qui, généralement, viendront influencer la vie et la qualité de la vie des dyslexiques. Dyslexie de surface, phonologique, mixte… quelles sont les différentes formes de dyslexie? Que doit-on savoir sur la dyslexie? Comment faciliter l’apprentissage des enfants dyslexiques? Et bien d’autres questions préoccupant les parents et les enseignants.
Pr Bouden affirme d’emblée : « La dyslexie est un sujet très important au carrefour des préoccupations des psychopédagogues, psychologues, éducateurs et parents… Elle a une incidence sur la réussite scolaire et sociale de l’enfant qui présente ce trouble très fréquent. C’est un trouble spécifique et durable de l’apprentissage du langage écrit». La dyslexie est un trouble de la lecture qui s’accompagne généralement d’autres troubles, comme la dysorthographie qui suscite un déficit de l’expression écrite et la dyscalculie avec un déficit de calcul. La classification américaine la considère comme un handicap intellectuel et un trouble inter-développemental. Le dyslexique a au moins un an et demi de retard de lecture par rapport à l’âge scolaire. Pr Bouden avertit : « Toutefois, Il y a beaucoup de points à éliminer lors du diagnostic. Il ne faut pas faire de diagnostic avant sept ans, parce qu’il y a beaucoup d’erreurs similaires banales. Il faut vérifier si le bagage intellectuel de l’enfant est normal et distinguer un retard simple de la lecture avec le trouble en lui-même. Éliminer des troubles sensoriels de l’audition et de la vision. C’est un trouble qui n’est pas passager ».
Le dyslexique a un retard avec un dysfonctionnement des capacités et un défaut de développement des processus cognitifs. Présenter les trois troubles « dys » précités, est fort possible aussi, car la dyslexie est rarement isolée. Dans une déclaration à La Presse, elle dresse les objectifs de cette conférence-débat : « Elle permet une meilleure connaissance de ce trouble. Comment procéder au diagnostic approprié à partir de l’élimination d’autres causes ? Il faudrait mettre en place un projet thérapeutique pluridisciplinaire en articulation avec les pédagogues au sein de l’établissement scolaire afin d’assurer le suivi de ces enfants et éviter qu’ils décrochent. Il s’agirait de leur offrir des aménagements pédagogiques adaptés et appropriés à leur rythme scolaire et leur progression dans l’apprentissage». Nous lui avons demandé quel est le rôle de l’intelligence dont elle parle avec insistance dans son exposé et comment la décèle-t-elle chez le dyslexique ? Ce à quoi elle répond par ces propos : « Il y a un bilan psychométrique. On peut faire l’interrogatoire pour vérifier s’il n’y a pas eu de retard dans le développement du langage. Si le niveau intellectuel est déficitaire, jugé sévère ou moyen et qu’il y a un retard dans le développement de la motricité ou du langage, le bilan clinique suffit pour poser le diagnostic de dyslexie, à cause d’un recul de l’écriture et du langage. Quand le retard est limité, jugé léger et à peine perceptible, la situation est plus complexe et nécessite un bilan psychométrique ou des exercices spécifiques ».
Caractéristiques et symptômes de la dyslexie
Parmi les caractéristiques pour traiter une dyslexie, il existe plusieurs voies qui vont permettre au dyslexique de détecter les syllabes avec une correspondance entre une lettre et un son. Il y a deux voies pour acquérir la lecture, soit phonologique, soit lexicale. « La voie lexicale consiste à photographier un mot et le mettre dans un bagage lexical grâce à une image visuelle pour une lecture globale », poursuit Pr. Bouden. Les symptômes révèlent la façon laborieuse de décoder les mots et nécessite une phase de décodage pour le dyslexique pour chasser la confusion de phonèmes et graphèmes et obtenir une meilleure compréhension. « L’enfant dyslexique a souvent une difficulté de langage oral, à cause d’un antécédent. Il n’a pas un bagage important et présente une narration laborieuse. Il persiste dans sa façon de conduire son raisonnement si bien que la compréhension orale peut être perturbée. Ils ont différents troubles qui se développent entre eux et qui persistent. Il a du mal à se situer dans l’espace et dans le temps. Il y a un problème de latéralité. Ils ont du mal à lacer leurs chaussures, à boutonner leur blouson ». Il y a quatre formes de dyslexie. La dyslexie de surface qui ne présente pas de difficulté pour associer une graphie à un son. La dyslexie mixte fait qu’il a du mal à mémoriser les mots entiers (phare, chorale) la lecture est lente et l’accès au sens est perturbé. Les troubles associés créent une dynamique malsaine. La dyslexie est multifactorielle génétique avec des facteurs aggravants. Lors de l’évaluation, il faut éliminer le test du QI car le dyslexique présente en général un déficit d’intelligence.
L’enfant dyslexique à l’école
Il faut reconnaître la souffrance de l’élève dyslexique car il y a une pression supplémentaire sur la réussite, rétorque Pr. Bouden, qui poursuit : « Les notes sont sacralisées par les parents. Ces derniers doivent encourager et motiver leurs enfants. Il peut y avoir des accidents de parcours et il faut les accepter ».
On parle un peu trop de dyslexie, à croire que tous ceux qui ont des troubles des apprentissages sont dyslexiques. Les parents n’admettent pas la dyslexie de leur enfant et rejettent son échec à l’école. « Les enfants dyslexiques, finissent par s’épuiser avec le marathon de consultations des assistants du psychologue à l’orthophoniste ». Cependant, il faut aller consulter un orthophoniste spécialisé dans les troubles des apprentissages et dédramatiser. Toujours favoriser la scolarisation en milieu ordinaire, du reste. En conclusion, ces troubles nécessitent une réadaptation psychosociale, donc le dépistage précoce. La prévention et le suivi sont importants.
Le deuxième panel d’intervention a trait aux « troubles ou difficultés d’apprentissages», présenté par Mme Samia Chaabane, orthophoniste avec 20 ans de carrière, a permis d’écouter le récit du parcours de trois enfants qu’elle suit et qui ont des troubles de l’apprentissage. Elle estime que l’orthophoniste ne fait que suggérer, mais ne pose pas le diagnostic final de la dyslexie qu’il laisse au soin du pédopsychiatre. Mme Chaabane avance son argumentaire : «Le parcours scolaire est très important, selon que l’enfant dyslexique soit inséré dans une école publique ou privée. Il y a une multiplicité de choix et des parents qui ne font pas les bons choix cohérents. On voit des enfants débuter dans un jardin d’enfants municipal avant d’intégrer une école qui enseigne les langues étrangères dès la première année. Le déracinement qui fait qu’on change d’un établissement à un autre et qui est mauvais pour l’enfant qui perd ses repères ».
Mme Chaabane est présidente de la Chambre nationale des orthophonistes de Tunisie. Elle termine : « Le dyslexique fait des confusions de règles et nécessite d’être vigilant pour poser le bon diagnostic et faire attention aux faux diagnostics. Il a généralement un vocabulaire et un champ lexical qui n’est pas très riche».
La troisième et dernière intervention sur la « prise en charge et les adaptations pédagogiques en faveur des enfants ayant des TSA », aborde notamment l’aspect psychologique de la dyslexie qui devait être exposée par Mme Ilhem Barboura, inspectrice générale de l’éducation, chargée de l’inclusion scolaire et des catégories vulnérables au ministère de l’Education, a été finalement présentée par Mme Aïda Bouraoui qui l’a supplée à cause d’un empêchement. Bouraoui n’a pas manqué de poser un questionnement fondé sur le : « Pourquoi, comment et quand adapter la dyslexie en milieu scolaire ? ».
Elle estime qu’il ne faut pas attendre les situations d’échec et de blocage scolaires. Ne pas entraîner de retards dans les acquisitions. « Les résultats seuls ne suffisent pas. L’élève doit avant tout être dans le bon rythme scolaire. Pour combler ses difficultés lorsqu’il ne peut pas apprendre la table de multiplication, il peut utiliser la calculatrice à titre exceptionnel ». Elle relève la réticence des enseignants à prendre en charge un élève dyslexique faute de formation adaptée, même si cette situation de décalage n’explique pas tout. Le manque de collaboration entre les parents et les enseignants et le rapport déséquilibré entre les moyens des écoles privées et publiques ont été pointés du doigt par l’intervenante. Les réactions du public présent ont permis de tirer certains enseignements. Une enseignante en biologie dans une école canadienne à Tunis raconte ses difficultés au moment d’évaluer ses élèves dyslexiques : «Lorsque j’ai mis une appréciation remarquable avec la mention ‘‘Excellent’’ à mon élève, j’ai reçu le courroux des parents qui s’étonnent de mon évaluation sur le simple fait des fautes d’orthographe qu’il commet. Pourtant, je veux l’encourager sur la bonne voie. Comment je peux savoir si mon élève est en train de progresser ou pas ?».
D’autres se questionnent sur la capacité de l’élève dyslexique à passer les examens du baccalauréat ou le concours d’accès en neuvième dans les conditions normales, sachant que la plupart ne disposent pas du tiers de temps supplémentaire indispensable. Les parents investissent beaucoup en soutien scolaire et mobilisent beaucoup de moyens financiers pour permettre à leurs enfants de suivre le rythme scolaire classique. Malgré les ressources humaines limitées au niveau du ministère de l’Education qui ne compte pas suffisamment d’orthophonistes dans ses rangs, le combat se poursuit.