Insultes à caractère sexuel, harcèlement et attouchements ont été le lot des femmes journalistes venues couvrir la marche du 27 février dernier organisée par le mouvement Ennahdha. Une stratégie de l’intimidation visant à dissuader les journalistes femmes de revenir sur le terrain et d’exercer leur métier selon un de ses fondamentaux : le reportage
Les milices d’Ennahdha, déguisées à l’occasion en services d’ordre, ont braqué contre les journalistes femmes, venues samedi 27 février couvrir la marche organisée par le parti de Rached Ghannouchi, une arme immonde. Victimes d’insultes à caractère sexuel et d’attouchements répétés, au moment où le chef du parti s’adressait aux foules devant le ministère du Tourisme, elles ont vécu un moment de grande détresse et d’infinie solitude.
Ce samedi-là souillera moins le corps de mes consœurs que celui des annales d’Ennahdha. Et ne nous dites surtout pas qu’il s’agit de «dérives parsemées et individuelles». Faux : l’agression a été relevée largement, des photographes, des reporters télé, de radios privées et de sites l’ont subie. Elles en témoignent aujourd’hui dans les réseaux sociaux.
Tout porte à croire que l’ordre pour l’exercer est par conséquent méthodique. Sûrement pour dissuader les journalistes femmes de revenir sur le terrain et d’exercer leur métier selon un de ses fondamentaux : le reportage. Sûrement aussi et surtout pour faire main basse sur leur liberté d’expression acquise à la faveur de la révolution. Car depuis toujours le corps des femmes est un terrain de bataille. Un champ d’honneur. L’éclabousser se répercute, notamment dans nos sociétés arabo-musulmanes, non seulement sur l’individu mais aussi sur toute la communauté. D’autre part, ici l’enjeu de la conquête rêvée est de taille : celui de (ré)asservir les médias.
«Iîlam Al âr» (Médias de la honte), deux mots lancés aux journalistes des deux sexes samedi dernier (les hommes aussi ont été agressés par les agents de sécurité d’Ennahdha). «Iîlam Al âr», une insulte récurrente envers les médias ces dix dernières années, que les milices islamistes incarnées par les fameuses Ligues de protection de la révolution avaient déjà utilisée contre les journalistes de la TV publique en 2012. Rappelez-vous de ce sit in des LPR (Se sont-ils convertis en agents du service d’ordre d’Ennahdha ?), qui a pris place devant le siège de la TV nationale le 2 mars 2012 pour protester «contre la chaîne de Ben Ali, qui continue à arborer sa couleur mauve». Le sit-in s’est prolongé jusqu’au 25 avril. Deux mois de campagnes d’injures jetées à la tête des reporters du journal télévisé, aux femmes en particulier, accusées de vouloir «saboter par leurs images négatives et partiales le travail du gouvernement dirigé par la Troïka». Deux mois d’intimidations et de tentatives d’intrusion dans les salles de rédaction au bout desquels les sit-inneurs ont appelé à la… vente de la «télé de la honte» !
«Iîlam al âr», deux mots qui disent long sur les frustrations d’un parti orphelin de caisses de résonances édifiées à l’effigie de sa gloire. Et malgré les «médias de l’honneur», qu’Ennahdha a érigés dans l’illégalité pour se servir elle-même en se regardant dans son propre miroir, le parti n’arrive pas à contrebalancer une image encore plus ternie au fil des ans, face notamment à une gestion désastreuse de l’Etat et de ses diverses institutions.
Ce samedi de la honte révèle une profonde volonté de bâillonner un métier en inhibant et attaquant sa moitié entière. Le Syndicat national des journalistes tunisiens (Snjt) a annoncé dans la soirée du samedi 27 février sa décision de poursuivre en justice des membres du comité d’organisation de la marche d’Ennahdha, en réaction aux agressions et harcèlements à l’encontre de plusieurs journalistes. De son côté, la Fédération internationale des journalistes (FIJ) a dénoncé le silence assourdissant des dirigeants du parti islamiste.