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Pour cette comédienne atypique, le monde du cinéma et du jeu lui est venu par pur hasard, une rencontre, un casting et une terrible envie de vivre une nouvelle expérience. Nadia Boussetta est une artiste à part, elle sait tirer son épingle du jeu, prendre à bras-le-corps les projets qu’elle endosse et s’engager corps et âme dans chaque entreprise qu’elle entame. Elle n’a pas froid aux yeux, aventureuse, déterminée et surtout audacieuse. Maîtresse de son parcours, elle sait choisir, dire non aux choses qui ne l’interpellent pas et fonce tête baissée dans toute proposition qui lui semble pertinente. Entretien avec Nadia Boussetta, une découverte d’une femme actrice qui sait raconter.
Depuis votre premier rôle au cinéma, toute jeune, dans le film de Khaled Barsaoui «Bin el Wedyenne», une actrice s’est révélée au fil des projets, quel regard posez-vous sur ce parcours ?
J’aime être polyvalente, je suis ce genre d’actrice de son temps, capable de passer de la scène au grand et au petit écran avec la même verve. J’estime avoir eu beaucoup de chance d’être venue dans une époque avec ses turpitudes et ses interactions contradictoires propices à beaucoup de créations. Je suis la fille de mon époque ; très dure pas uniquement sur le plan économique mais aussi idéologique et identitaire. Ces tourments ne sont pas spécifiques uniquement aux artistes mais ce sont des questionnements que nous nous posons. Tout est en ébullition, tout se radicalise dans un sens ou dans un autre. Nous vivons à la fois à l’air de la fusion et d’ouverture sur l’autre mais aussi avec le besoin de renfermement, de communion et de retour aux origines. Tout cela est tellement intense que tout artiste le ressent.
Votre arrivée dans le monde du cinéma était relativement facile, un casting puis tout de suite un premier rôle, mais cela ne suffit pas de trouver sa place dans ce monde régi par des règles, comment avez-vous trouvé votre légitimité dans ce milieu?
Cela m’a pris beaucoup de temps pour trouver une cohérence dans ce désir de jouer et de faire ce métier qui me lie à la famille du cinéma et de la culture en Tunisie. La légitimité professionnelle ne vient pas uniquement par un cursus académique qui est la porte la plus évidente, bien que j’ai fait une école de cinéma mais pas une école d’acting. Moi, j’ai commencé comme beaucoup par un casting et un rôle auquel je ne m’ attendais pas. Khaled Barsaoui a misé sur moi, m’a révélée à moi-même et j’ai découvert un métier dans lequel aujourd’hui je m’inscris et je voudrais m’inscrire encore plus. Mais en y pensant maintenant je me dis que c’était une super grosse responsabilité qui reposait sur les épaules de la jeune fille de 20 ans que j’étais, à l’affiche d’un film avec pour partenaires Ahmed Hefiene et Moez Gdiri… Ce n’était pas une mince affaire… Cela m’a permis de creuser dans des endroits que la situation et le contexte m’ont imposés.
Comment votre carrière est-elle devenue si claire pour vous ?
J’ai pensé «Métier» dès le début. Et il fallait que je me cale sur la profession et ne pas la prendre à la légère. Ce n’est pas qu’une envie de jouer, encore moins une envie de m’exposer. C’est un questionnement sérieux: Qu’est-ce qu’un métier, comment le faire ? Comment l’apprendre ? Comment en faire partie ? Comment l’aborder ? C’est qui les autres ? Comment ça nous parvient ? Et le public dans tout ça ? Mes collègues? Ma génération, mes aînés… Le travail et le manque de travail. Le tout qui évolue, qui avance et qui se développe. Ce frottement m’a mené vers un dépassement de soi, une envie de changer des choses, mettre son empreinte dans ce métier.
Quel type d’actrice vous plaît-il de mettre en avant ?
Je ne présente pas un modèle d’actrice que j’imagine et que j’impose mais plutôt une interprète qui se nourrit de moi-même, de mon mode de vie, de ce que je traverse. Je n’ai pas envie de présenter une image qui n’est pas réelle sans pour autant être dans la confusion entre personne et persona. Je me place dans la recherche de ce que je suis, de la femme, de la maman, de tous ces questionnements que je traverse. Et si je me fabrique une image que je vendrais, ce qui est un peu normal, je tiens à ce que ça soit une continuité de tout cela. Ce n’est pas le personnel que je mets en avant, mais je fais appel à des expériences de ma vie, de mon vécu que je connais et que j’exprime.
Il est important aussi, pour moi, de ne pas être éloigné des questions d’aujourd’hui pour que ce que je fais ait du sens. Même dans la fiction on se raconte de différentes manières et, au final, on raconte une époque, les manquements de générations, une histoire, celle de nos parents, la nôtre… et ce n’est pas, selon moi, dissociable. A chaque fois on donne quelque chose de l’ordre de l’intime.
Je ne sais pas si c’est un type d’actrice, ce que j’explique, mais aujourd’hui c’est ce que je remarque de moi-même ! J’agis selon mon bon sens, mon bon vouloir, mon désir et les choses qui m’interpellent. J’essaye le plus possible de laisser l’expérience de vie infuser dans l’image et l’action de l’actrice que je suis.
La question du corps est une question récurrente qu’on vous pose…
Ce corps est sujet à beaucoup de passion et nous n’avons aucune idée de ce que ce corps subit et endure. Ce corps qu’on regarde de toutes les manières dévalorisantes, qu’on emprisonne dans des cadres fixes comme la maternité ou la féminité…
Je trouve qu’il est de mon devoir envers mon corps et mon histoire de femme, pour ma fille et pour nos filles, de ne pas me taire et de ne pas être dans la complaisance. Je suis dans le refus des prototypes, de ce que je dois et ne dois pas faire. Moi je raconte mon histoire je ne suis pas porte-parole de toutes les femmes, mais faire marcher ce corps dans l’espace public à n’importe quelle heure, de jour comme de nuit ou le faire courir quand l’envie le prend est un acte qui s’arrache au quotidien.
Pouvons-nous dire, alors, que Nadia Boussetta est une actrice qui ose. Est-ce une définition qui vous flatte ou vous met mal à l’aise ?
Le corps de l’actrice Nadia Boussetta est un outil et c’est un positionnement que je défends et que j’assume. Quand je me joins à une campagne de lingerie, quand j’expose mon corps, Ce n’est pas que pour le travail. Je ne fais pas les choses à la surface ou par obligation. C’est toujours un engagement que j’essaye de prendre en charge pour que ça ait du sens pour moi et pour exprimer quelque chose aux autres. J’assume aussi, dans mon métier, et avec la somme d’expérience de femme, de maman et d’actrice que je suis aujourd’hui, ce désir de libération de ce corps.
Dans mon métier, je ne peux pas exclure ce corps qui est le mien de toute cette expression et expressivité, avec sa quête, ses questions sans réponse, l’injustice qu’il a subie à certains endroits, les anciennes violences qui l’ont marqué. C’est aussi ma responsabilité de déployer ce corps comme un outil pour servir un script, une idée, un projet une réflexion qu’on me propose et qui est en symbiose avec moi. C’est aussi ma manière d’exprimer un peu de ma réalité.
La rencontre avec Ghazi Zaghbani, les deux projets «La fuite» et «Cicatrice» et l’espace l’Artisto est une rencontre qui compte vraiment pour la comédienne et la personne que vous êtes ?
Le travail avec Ghazi est comme une continuité. Comme un couple qui se rencontre qui se séduit mutuellement, qui attend le bon moment pour que l’histoire commence. De l’envie de travailler ensemble et la concrétisation de notre collaboration, un an et demi est passé, je reconnais que nous avons pris notre temps. Et puis on a commencé «El Harba», seuls rien que lui et moi puis Grayâa nous a rejoints. Ensuite les représentations, chaque représentation, chaque rencontre avec le public. Je suis entrée dans quelque chose qui s’inscrit dans des étapes de la vie, dans l’amical, dans le professionnel. En plus, il l’espace. Cette phase de ma vie est comme un départ pour une exploration pour revenir avec plein de découvertes et un accomplissement pour soi, pour le groupe et pour l’espace que nous partageons.
Et puis il y a eu le film un an après.et c’est pareil, avec la même verve. Dans un immeuble pas loin de l’Artisto, tourné à l’arraché en 12 jours mais fort de ce que nous avons cumulé par la pièce. Avec une équipe magnifique qu’on ne cite pas assez alors que c’est notre premier miroir et que c’est à travers eux que nous arrivons à savoir si un film est bon ou pas. C’est comme un cycle qui s’est bouclé, un retour au cinéma avec en plus Mohamed Maghraoui le DOP, avec qui j’ai fait mes débuts…
Endosser le rôle d’une travailleuse du sexe n’est pas une mince affaire. Comment l’avez-vous pris en charge?
Le personnage, je l’ai porté en entier. C’est un personnage-clé dans la carrière et c’est un personnage que j’ai fantasmé. Je l’ai imaginé longtemps avant de commencer à le toucher. Et du fantasme je suis passée à la réalité, la réalité de l’interpréter. Et la réalité elle fait peur ! Je n’ai pas eu peur de l’image de mon personnage, Narjess la travailleuse du sexe, mais de travestir l’image, de donner une image qui ne la mettrait pas à sa juste place. Pour moi, actrice et femme, Narjess n’est pas comme n’importe quel autre personnage. Au fil des jours, les choses se sont étoffées et se sont construites petit à petit. Le mieux qu’offre le théâtre à une partition, c’est le temps.
Envisagez-vous une carrière internationale ?
Ça urge même pour moi ! J’ai envie de déployer mes ailes, de jouer en d’autres langues, d’autres cultures, d’autres personnes, toucher d’autres choses. D’être dans une autre dynamique, de m’éloigner de ma zone de confort. Je me sens prête pour tenter du nouveau. Revenir au point de départ de l’apprentissage et cela, nous ne pouvons l’avoir qu’avec des expériences nouvelles.
On dit que Nadia Boussetta porte bien les projets des autres mais votre projet à vous c’est lequel ?
Mon projet c’est «Bromski». Cette nouvelle écriture que j’ai empoignée est venue à moi pendant le confinement de l’année dernière et, suite au décès de mon père, et dans une langue avec laquelle je n’ai pas l’habitude d’écrire qui est le dialectal tunisien.
Et là, je découvre que ce dialectal si riche est un outil qui me connecte à une partie de moi-même que j’ai longtemps ignorée, des sonorités qui résonnent en moi, qui viennent de très loin. Cela me met dans l’écriture, dans la narration, dans l’oralité, dans la possibilité de raconter quelque chose à des Tunisiens comme moi.
Et puis l’histoire… Moi aussi je m’étonne encore aujourd’hui et me pose la question : comment cette histoire est-elle venue à moi ? Comment s’est-elle manifestée ? Comment je l’ai articulée ? Comment m’inscrire en elle et comment va-elle s’inscrire dans le temps ? Comment se révèle-elle dans son oralité en même temps que l’écrit.
Et c’est qui ce petit garçon ?
C’est un petit garçon orphelin qui se fait passer pour un ado, on ne sait pas d’où il vient ou comment il est arrivé à Salammbô. On sait qu’il a commencé sa prime enfance dans la rue à dormir dans des endroits improbables. C’est l’enfant des circonstances qui a été adopté par tout un quartier sans pour autant dévoiler son côté mystère. Et il raconte son amour très précoce pour Jiji la couturière, cette femme qui débarque dans le quartier.
Ce texte va mener où ?
Je le considère comme une épopée. Je l’inscris dans le temps, je ne sais pas quand l’écriture va s’arrêter. J’ai déjà mis en podcast le premier chapitre (soutenue par la fondation Lazaâr). J’ai essayé le dispositif et ça me plaît. Et je peux continuer ainsi à transmettre cette histoire oralement avec ma voix.
Que représente pour vous cette histoire ?
Tout ce dont je rêve, tout ce que je voudrais qu’on me raconte, toutes les choses qui me touchent, toutes les choses qui semblent acquises, subtiles, tellement évidentes que les gens n’y prêtent pas attention. C’est tout l’humain que j’ai envie d’incarner avec son côté darkside. «Bromski» est un ange mais un ange qui a sa boîte noire, qui est «capable» du meilleur comme du pire.
Que va dire «Bromski» et que Nadia Boussetta n’arrive pas à exprimer ?
Une parole très jeune, ce personnage a 7 ans, il raconte l’amour, il raconte la vie, les turpitudes de ce quartier les manquements des uns, la violence des autres, l’amour, le partage, la tendresse. Il peut exprimer cet amour beaucoup plus librement que moi, cet amour qu’on voudrait donner à quelqu’un qui n’en veut pas.
Jugurtha
9 mars 2021 à 04:34
Une actrice de grand talent, intense et inspirée. Une dame qui a de l’étoffe. Un visage de la Tunisie comme on la voudrait: libre et vibrante.