Accueil Culture Anis Lassoued et Chema Ben chaabene, coauteurs de «Je suis ma propre république», à La Presse: «Nos enfants, aujourd’hui, sont livrés à eux-mêmes…»

Anis Lassoued et Chema Ben chaabene, coauteurs de «Je suis ma propre république», à La Presse: «Nos enfants, aujourd’hui, sont livrés à eux-mêmes…»

«Je suis ma propre république» est un film documentaire, coécrit par Chema Ben Chaâbane et Anis Lassoued. A l’occasion de sa diffusion dernièrement sur la chaîne Al Jazeera, nous avons eu cet entretien avec eux.


Vous êtes co-scénariste sur le documentaire «Je suis ma propre république». Est-ce votre première expérience
dans le genre ?

Chema Ben Chaâbene : Mon rapport à l’écriture est vital, il remonte à 25 ans avec «Nuit blanche», un texte théâtral que j’ai également interprété et qui m’a valu l’un de mes premiers prix. L’écriture pour le cinéma a commencé avec Anis Lassoued en 2011 avec le film «L’opposant». Je qualifierais cette écriture par «cohabitation» également. Puis l’aventure a continué avec «Sacrifices» en 2014, «En attendant la constitution» en 2016 et «Je suis ma propre république» en 2021 avec Al Jazeeera pour producteur. Pour la fiction, j’ai co-écrit le scénario de «Gadha», long métrage qui sortira bientôt.

Anis Lassoued : Chema et moi avons réussi à trouver un équilibre. Elle porte le film mais ma manière d’écrire à moi est dans la tension et la recherche. Elle va dans la direction de mes recherches et ajoute sa touche. J’ai trouvé donc une symbiose dans la réflexion autour de mes personnages et du récit dans l’expérience de ce documentaire qui est aussi le fruit d’une écriture. Mais c’est aussi une écriture en devenir qui évolue pendant le tournage et le montage. C’est cette dynamique qui a guidé le nouveau documentaire «Je suis ma propre république». Dans la fiction «Gadha», on a voulu aller dans la transgression de l’écriture et créer une écriture nouvelle pour sortir des formules classiques et cela nous a permis de nous retrouver sur un autre terrain très intéressant.

CBC : Dans le documentaire, la cohabitation de l’écriture est facile à mon sens. On commence par une réflexion qui va être confrontée à la réalité. Pour la fiction, la relation entre Anis et moi est plutôt difficile et je dirais entêtée. Chacun peut avoir son propre point de vue et nous discutons pendant des mois, mais l’échange est toujours fructueux. A mon avis, il y a deux subjectivités qui se confrontent dans l’écriture à un moment donné. Quand ces subjectivités deviennent très égotistes aux dépens de l’objectivité, le projet peut tomber à l’eau. C’est toujours l’objectivité sur une direction ou une autre qui sauve la mise.

Dans votre nouveau documentaire «Je suis ma propre république», vous parlez d’adolescents qui quittent le pays clandestinement, «profitant» de leur âge mineur pour être pris en charge en Europe…

AL : Quand un enfant vous dit «je suis ma propre république» c’est-à-dire qu’il n’a plus de solution… Il ne pense qu’à sa propre personne. L’enfant est aujourd’hui livré à lui-même face à une démission de l’Etat, de l’école, de la famille, du quartier, de tout le monde. Les chiffres le montrent d’ailleurs. 41% des personnes qui quittent le pays clandestinement sont des enfants, 300 enfants ont fait des tentatives de suicide sans oublier le fameux chiffre de 100.000 enfants qui quittent l’école chaque année. Ce qui fait plus d’un million d’enfants qui ont quitté l’école depuis la révolution. Une partie de ce million est apparue dans ce que j’appelle «Le soulèvement des enfants» qui a eu lieu dernièrement lors du couvre-feu pendant le mois de janvier. Des enfants qu’on abandonne et auxquels on n’offre ni activité culturelle ni formation professionnelle. Ces enfants livrés à eux-mêmes ne pensent qu’à quitter le pays… C’est une véritable bombe à retardement sur le plan social…

CBC : En faisant ce film, j’ai découvert les deux faces d’une même pièce. Il y a les enfants des quartiers défavorisés, mais il y a des enfants de milieux favorisés qui sont dans le privé aussi bien dans les écoles que dans les clubs culturels ou sportifs, etc. Mais finalement, les enfants aisés ont aussi des problèmes… Parce que le capitalisme sauvage a créé de tout temps des frustrations. Il n’existe pas de projets pour nos enfants quel que soit leur milieu d’origine.

AL : Personne n’est à l’écoute de ces enfants. Nous avons 3.500.000 enfants, soit le tiers de la population. Et je dirais même que les gens aisés aujourd’hui tentent de faire accoucher leurs femmes dans un pays européen. Il y a déjà l’idée de faire quitter le pays à ses enfants même chez les gens qui ont un statut social supérieur. C’est une sorte de voyage clandestin prénatal en quelque sorte. L’autre exemple est celui de l’explosion des écoles privées, entre autres les écoles françaises, américaines canadiennes, etc. Il faut environ de 250.000 à 600.000 dinars pour que l’enfant atteigne le bac et cette somme est versée à la France, au Canada ou aux Etats-Unis. C’est aussi une manière de payer pour préparer la fuite de nos enfants ou de nos futurs cerveaux à l’étranger. Apparemment, tout le monde veut partir. Ce qui m’intéresse, moi, ce sont les enfants qui restent! Ces enfants qui restent doivent être protégés et c’est le rôle de l’Etat aujourd’hui démissionnaire.

Quelles sont les solutions possibles, selon vous ?

AL : Il y a deux solutions à notre sens : lancer une chaîne de télévision nationale pour les enfants. La télévision, le cinéma et le théâtre peuvent sauver nos enfants. Aujourd’hui, c’est le langage de l’image qui prédomine. On ne peut plus avancer aujourd’hui sans que nos enfants apprennent à lire une image, voire à la manipuler. C’est à l’Etat de créer cette chaîne parce que c’est à lui de construire le rêve national. D’ailleurs, aucun pays arabe n’a une chaîne nationale pour les enfants… L’illustration fait peur et tout cela est aux dépens de l’identité de ces enfants. Le seul projet qui peut nous donner de l’espoir, c’est l’éducation à l’image.

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