De 1977 à 1987, les fans monastiriens applaudissaient à tout rompre les exploits de Kamel Haddad, un ailier droit déroutant, lancé dans le grand bain par Ameur Hizem et «perfectionné» par Faouzi Benzarti.
L’homme du maintien de 1981-1982, devant El Makarem, avoue avoir appris de Temime, Hergal et Mustapha Sassi.
«Si nous avions disposé de tous les avantages matériels dont bénéficient les joueurs aujourd’hui, nous aurions à coup sûr “bouffé” le gazon, pas vraiment par appât du gain, mais pour lever haut nos couleurs», témoigne-t-il dans cet entretien.
Khaled Haddad, tout d’abord, avez-vous toujours été ailier?
Oui, ce qu’on appelait jadis ailier de débordement. J’aime beaucoup évoluer tout à côté de la ligne de touche. En feignant de rentrer vers le centre, je prends un ou deux mètres d’avance sur mon vis-à-vis qui ne peut plus rattraper ce retard. J’ai figuré plusieurs fois aux premiers rangs du classement des meilleurs ailiers, droits ou gauches, du pays. Le journal «Al Bayane» décernait des étoiles chaque journée par poste, alors que le journal «L’Action» établissait le Soulier d’Or, le classement du meilleur joueur du championnat. Certes, je n’inscrivais qu’un ou deux buts par saison, mais j’en donnais un bon paquet à mes coéquipiers de l’attaque. Il en fut ainsi de Adnène Laâjili, arrivé de Sijoumi et qui allait partir au ST après avoir brillé à Monastir. Jemmali et moi-même lui servions des caviars. Malheureusement, cela allait se compliquer pour lui. Il a ouvert un club-vidéo, a commencé à veiller tard à Sousse… Nous lui avons conseillé d’intégrer Radio Monastir où il allait être recruté. Aujourd’hui, il doit remonter la pente.
Quelles sont les qualités d’un bon ailier ?
La technique de base, le changement de vitesse, la vision pour centrer à bon escient.
Vos modèles d’ailier ?
Temime Lahzami, Abdelhamid Hergal et Mustapha Sassi. J’ai appris de chacun d’eux quelque chose.
En quoi le football a-t-il changé ?
La technique et le placement étaient meilleurs. Avec Faouzi Benzarti, il nous arrivait d’attaquer avec deux ailiers côté droit afin de tirer au maximum profit de la faiblesse du latéral adverse. Je crois que si nous avons eu tous les avantages matériels dont bénéficient les joueurs d’aujourd’hui, nous aurons à coup sûr «bouffé» le gazon, pas vraiment par appât du gain, mais pour lever haut nos couleurs.
Quelle est votre meilleure rencontre ?
En 1981-82, contre El Makarem de Mahdia dans un match décisif pour le maintien. Nous étions coachés par Faouzi Benzarti. Un nul ou une défaite, et c’était la rétrogradation qui nous guettait. L’USM l’a emporté (2-1). J’ai réussi un but, et donné une passe décisive. Finalement, ce furent El Makarem et l’Association Sportive de Mégrine qui furent relégués. Nous avons terminé un point de plus par rapport aux Mégrinois.
Avez-vous encouragé vos enfants à pratiquer le sport?
Je leur ai laissé un choix total. L’essentiel, c’est que mes enfants me fassent honneur. Je les ai éduqués sur ces valeurs.
Et vos parents, vous ont-ils encouragé à pratiquer le football ?
Mon père Mohamed, tisserand de son état, me prévenait régulièrement : «Tu vas rater tes études, tu ne trouveras plus alors personne pour te donner un coup de main». Je m’adressais à ma mère, Kmar, couturière, pour la prier de lui demander de me laisser jouer. Pourtant, je dois avouer que les conditions étaient difficiles. Au collège moyen, les cours se terminaient à six heures du soir. Je devais être aux entraînements à six heures trente. Je rentraîs chez moi à Khenis par bus vers 21h00. Qui pensez-vous que je puisse trouver à cette heure-là dans le bus ? Généralement, des gens qui sortent des bars, saouls et sentant l’alcool. Quand j’ai arrêté les études en sixième année secondaire, j’ai été embauché par l’intermédiaire de mon club dans une banque. J’étais tout fier d’aller dire à mes parents : «Voilà, le foot ne m’a pas largué. Mon club m’a trouvé un job». Notre président Moncef Skhiri m’a intégré le 4 juin 1984 dans une banque à Tunis. J’ai dit à mes dirigeants que je ne pouvais pas m’entraîner toute la semaine à Tunis pour rentrer le week-end à Monastir disputer nos matches. Le 4 août suivant, le P.-d.g. de la banque en question, Néji Skhiri, me transférait à la succursale de Monastir.
Etait-il en votre temps possible de concilier sport et études?
Il m’était impossible de concilier les deux. Mais je ne regrette pas d’avoir arrêté ma scolarité d’autant que je n’éprouve aucun complexe lorsqu’il s’agit de discuter —avec des gens cultivés— de n’importe quel sujet.
Vous avez, en fait, côtoyé plusieurs joueurs qui ont marqué l’histoire usémiste….
Trois générations de joueurs, plus précisément. En débarquant chez les seniors grâce à Ameur Hizem qui m’a lancé dans le grand bain, j’ai trouvé Salah Guediche, Mohamed et Abdelkader Bouzgarrou, Ridha Jaziri, Belhassen, Moncef Skhiri, Hamadi Mkada, Habib Bhouri… La deuxième génération se composait de Mohamed Salah Mhala, Moncef Ghandri, Habib Jaziri, Younès Horchani… Enfin, dans la dernière, on pouvait trouver Tabka, Habib et Chokri Bouzgarrou, Nabil Kalboussi, Khaled Laâmiri, Naceur Sallem, Fethi Skhiri… Lors de ma première rencontre en 1977 face à l’AS Marsa, j’ai été aligné dans les vingt dernières minutes. J’ai été intégré dans le grand bain en même temps que Mohamed Naceur Mhalla et Kamel Trimèche. Nous avons perdu (1-0).
Lors de ma seconde rencontre, nous créons la sensation en battant l’Espérance Sportive de Tunis des Tarek, Kamel, Zoubeir, Kanzari et Bouchoucha (4-1). Nous avons empoché une prime de cent dinars.
Que ressent-on quand on dispute son premier match seniors ?
Une grande fierté car on se dit qu’on va rejoindre les ténors, les joueurs qui vous ont jusque-là fait rêver. J’ai alors réalisé tout le chemin effectué depuis Houmet El Hamra à Khenis, où la place attenant à la Maison des jeunes ne désemplissait pas le samedi et le dimanche avec une succession de rencontres de quartier. Nous confectionnions des ballons de fortune avec la toile que jetait ma mère qui était couturière. A l’occasion de mon premier match avec les cadets, à El Jem, j’ai marqué deux buts.
Quels furent vos entraîneurs ?
Chez les jeunes, Hédi Gdouda, un des tout meilleurs formateurs du pays, Ahmed et Khemais Chekir, Hedi Merchaoui. Avec les seniors, Ameur Hizem, Faouzi et Lotfi Benzarti, Amor Dhib, Manfred Hoener et Dieter Schulte. Il y eut également Zouheir Jaâfar et Todor en Ligue 2, en 1978-79.
Le meilleur d’entre eux ?
Ameur Hizem, malgré notre relégation en D2 sous sa coupe durant cette maudite saison 1978-79. Nous jouions bien, mais on finissait souvent par perdre de justesse (1-0), (2-1)…, sans avoir le moins du monde démérité. Le bureau directeur ne savait pas encadrer un effectif démoralisé. Si Ameur s’occupait de tout. Nous avions de la peine pour lui. C’est incontestablement mon plus mauvais souvenir sportif.
Comment se comportaient les entraîneurs à l’endroit de leurs joueurs ?
Comme des frères. Par exemple, Faouzi Benzarti, qui m’aimait énormément, me demandait de venir au stade une heure avant la séance d’entraînement. Devant les vestiaires du stade Ben Jannet se trouvait un petit carré de gazon d’à peine 8 mètres sur 4. Si Faouzi me prenait tout seul pour m’entraîner sur la conduite de balle, les penalties… Il n’y allait pas de main morte et ne me lâchait plus. Mort de fatigue, je lui disait : «Basta, coach ! Je n’en peux plus». Et lui me répondait : «Allons, serre les dents, encore un effort». Après la séance, il me remettait 20 dinars à titre d’encouragement, ce qui constituait alors une petite fortune pour le jeune footballeur que j’étais. Abdelhamid Korbi rentraît des entraînements avec moi jusqu’à Khénis. Il habitait à une centaine de mètres de chez moi. Une fois, je lui ai raconté ce que faisait Benzarti. Il m’a glissé : «Alors, la prochaine fois, je viendrai avec toi». Effectivement, le lendemain, il m’a accompagné. A la fin de la séance, Benzarti m’a salué en me tendant une poignée de main plus chaleureuse que d’habitude. En fait, il cachait à la main les 20 dinars habituels afin que Korbi ne s’en aperçoive pas. En partant, celui-ci m’a demandé : «Alors, Si Faouzi ne t’a rien donné cette fois ?».
Sous le règne de Bourguiba, l’US Monastir ne bénéficiait-elle pas de petites faveurs ?
Contrairement à ce que l’on peut penser, personne ne nous a fait de cadeaux. Aucune faveur ne nous était concédée, y compris durant la présidence du Combattant Suprême. Tout ce que nous avions gagné alors, c’était une série de coupes 3 Août, organisées à l’occasion de l’anniversaire du président, et notre accueil plusieurs fois au palais de Skanès par le chef de l’Etat. Ailleurs, les arbitres nous traitaient comme tous les autres petits clubs de l’époque.
Par exemple ?
Le 24 mai 1981, en demi-finales de la coupe, nous étions allés à Sfax disputer notre match contre l’Etoile Sportive du Sahel, tout simplement parce que le gouverneur de Monastir, Mansour Skhiri, n’a pas voulu assumer la responsabilité du volet sécuritaire.
Nous avons perdu (1-0) après prolongations. L’arbitre Ali Ben Naceur nous a tout simplement privés d’une finale contre le Stade Tunisien. C’était flagrant…
A votre avis, quels sont les meilleurs joueurs de l’histoire de l’USM ?
Nouri Hlila, Hedi Merchaoui, Frej Chaouch, Moncef Tabka, Mahfoudh Benzarti, Hamadi Mkada, Abdelkader Bouzgarrou, Ahmed Chekir…
Et les meilleurs à l’échelle nationale ?
Hamadi Agrebi qui a la technique et la vision. Je citerais également Tarek.
Le défenseur latéral le plus accrocheur auquel vous avez eu affaire ?
Mohamed Ali Moussa. Quelle classe, et quelle élégance! Ses tacles sont propres, comme du reste tout son foot qui reste un régal pour les puristes.
Le Railwyste Nouri Hafsi est du même genre, tout aussi distingué et fringant. Quant au défenseur de l’Etoile Sportive du Sahel, Dhaouadi, son côté agressif et teigneux rendait nos duels très durs. Il valait mieux l’éviter.
Nourrissez-vous des regrets pour n’avoir pas eu l’honneur de porter le maillot de l’équipe nationale ?
Pas le moins du monde parce que je savais de quelle façon se faisaient les convocations et l’avantage non négligeable dont profitent les joueurs parfois les plus moyens des grands clubs.
En fait, la carrière internationale d’un joueur dépend pour beaucoup de la région d’où il vient et du nom du club auquel il appartient.
Malgré tout, si je n’ai pas joué avec la sélection A, j’ai eu la chance de faire partie de la sélection cadets, et celle juniors conduite par Zouheir Karoui et Moncef Melliti.
Celle-ci pouvait compter sur Slim Ben Othmane (CA), Aloulou (CSS), Latrach, Ben Yahia et Soula (EST), Berrabah (Olympique du Kef), Mondher Mokrani (CAB), Lotfi Sanhaji (SSS, CSS et CA), Kamel Gabsi (ESS), et Harzallah, Moncef Belgaroui, Hafedh Soudani et Faouzi Chtara (SRS).
Lorsque j’ai été convoqué chez les Espoirs, j’avais avec moi mes coéquipiers de l’USM Bouraoui Jemmali et Habib Jaziri, mais aussi Hsoumi (ESS), Naffati (SAMB), El Aid Youssefi (OCK), Abbès Abbès (CSS)… Jamel Bouabsa et Mokhtar Ben Nacef étaient nos entraîneurs.
Pourquoi avez-vous arrêté votre carrière en 1987-88 alors que vous n’aviez que 28 ans ?
Après une décennie avec les seniors, j’ai senti que je n’avais plus rien à donner. J’ai dit à notre président Naceur Ktari et à l’entraîneur Amor Dhib que je voulais revenir à Khénis où j’ai évolué pour quatre saisons.
Lors de mon dernier match perdu contre Teboulba, en D3, j’ai réussi un penalty et raté un autre.
Pourquoi n’avez-vous pas épousé une carrière d’entraîneur?
Parce que ce métier est très ingrat, une guerre des nerfs. Je m’y étais essayé un peu en amateur, et j’ai trouvé que cette fonction vous fait perdre le sommeil. A plus forte raison aujourd’hui, puisque nous comptons douze millions d’entraîneurs. Les gens jonglent avec la tactique, les systèmes, l’analyse du jeu…
Quel club avez-vous entraîné ?
Mon club d’origine, le CS Khénis, avec lequel nous avons terminé en 1993 deuxièmes de la 3e division quand j’ai succédé à Abdelhamid Bouguila, «El Moujahid» de l’Etoile du Sahel.
On a envoyé des convocations à tous les anciens joueurs pour aller passer le 1er degré d’entraîneur. Mon grand ami Bouraoui Jemmali y était allé, moi non. Jemmali est un être exquis. Lorsque j’ai débarqué à l’USM, il a abandonné son aile droite où il évoluait déjà depuis des années afin de me laisser la place. Nous partagions régulièrement notre chambre d’hôtel.
Que représente l’USM pour vous ?
La famille qui m’a éduqué, où je me suis construit et assuré mon avenir. C’est l’amour de ma vie. Elle m’a donné l’amour des gens.
Nous n’y gagnions pas grand-chose. On nous motivait par exemple avant un match contre l’EST en nous promettant une prime de 50 dinars. Parfois, les gens que vous rencontrez dans la rue vous désarment par leur sympathie. Ils vous racontent tel match où vous avez brillé, le bonheur que cela a fait naître en eux… J’aime également l’Etoile Sportive du Sahel parce que c’est l’association de tout le Sahel. J’ai failli y atterrir. Sans oublier le Club Sportif de Khénis, l’équipe de mes premières amours.
Parlez-nous de votre famille…
J’ai épousé en 1985 Naïma. Nous avons trois enfants : Moez, 31 ans, cadre dans une société pétrolière, Ziad, 28 ans, employé, et Dhouha, 24 ans, récemment mariée. Je compte une petite-fille adorable, Meriam qui a 4 printemps.
Quels sont vos hobbies ?
Je continue de pratiquer le foot que ce soit dans le cadre du championnat Sport et Travail, ou avec les vétérans de l’USM. A la télé, je regarde les matches de l’USM et du Real. J’aime aussi rencontrer mes amis au café. Pas de jeu de cartes, mais plutôt des discussions parfois enflammées.
Que signifie pour vous l’amitié ?
Elle n’est plus ce qu’elle était jadis. Elle passe à présent pour être une denrée rare. La vraie amitié, c’est quand vous trouvez un confident auquel vous êtes prêt à confier vos secrets, surtout dans les moments de peine.
Vous considérez-vous un homme comblé ?
Dieu merci, tout ce dont j’ai rêvais tout jeune s’est réalisé à 99%. J’ai rêvé de ballon rond, et j’ai été gâté. Le sport ne pouvait pas me décevoir.
Enfin, si vous n’étiez pas dans le foot…
J’aurais fait de l’hippisme. Nous avions un cheval, et cette passion m’était restée.