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Textile-habillement | Défis écologiques : Miser sur la responsabilité environnementale

Les chaînes textiles sont la source d’innombrables pollutions environnementales: émissions de gaz à effet de serre, épuisement des ressources énergétiques et hydriques, utilisation de produits chimiques toxiques, pollution des eaux, du sol et de l’air, énorme production de déchets pré et post-consommation… Bien que cette industrie soit stratégique pour l’économie tunisienne et la première industrie manufacturière en termes d’exportation, d’emploi et de valeur ajoutée, elle exerce une forte pression sur l’environnement et le climat.

L’industrie textile-habillement pèse lourdement sur l’environnement en Tunisie, qui souffre déjà de la rareté des ressources d’eau. Cette pression est exercée surtout sur les ressources en eau dans un pays classé en dessous du seuil de pauvreté en eau selon les critères de sécurité hydrique des Nations unies, et compte tenu de la diminution des précipitations de 28% au cours des deux dernières décennies sous l’effet des changements climatiques. Il est à noter que le volume d’eau par habitant est inférieur à 500 mètres cubes par an. Cette part devrait diminuer au cours de la prochaine décennie pour atteindre moins de 350 mètres cubes par an, notamment en raison de la croissance de la population et des changements climatiques. «En Tunisie, la production du coton qui est très consommatrice d’eau est externalisée à d’autres pays. Ainsi, l’empreinte eau (un indicateur de l’usage direct et indirect de l’eau pour produire un produit), pour un kg de coton brut est de 8.500 litres d’eau. Pour fabriquer un t-shirt, il faut 2 mille litres d’eau, dont 85% du coton est importé. De même, pour une paire de jean qui nécessite 20 mille litres d’eau, ou on ne consomme que près de 3.000 litres d’eau, qui est une consommation juste par rapport à la valeur ajoutée qu’elle confère au produit», assure Naffaa Ennaiffer, coordinateur général du «Tunisia Economic forum», 4e forum de l’Iace, en juin 2018. Il recommande, comme beaucoup d’autres, que les nouveaux investissements dans la fabrication des tissus en Tunisie doivent être dotés d’équipements économes en eau et de technologies permettant la récupération de l’eau utilisée. Il déclare : «Il est inéluctable d’intégrer, dans ce genre d’industrie, de nouvelles technologies permettant de récupérer et de traiter le maximum d’eau, et de se conformer aux normes environnementales, auxquelles les clients deviennent, de plus en plus exigeants». Ainsi, toute entreprise tunisienne ou étrangère installée en Tunisie doit avoir une responsabilité sociétale envers le citoyen et l’environnement, en pensant aux générations futures.

A l’échelle mondiale

Selon les données de la Banque mondiale, il faut 25 litres d’eau pour un maillot et 55 litres pour un pantalon. Et d’après le site «ADN.eu», un groupe qui plaide en faveur d’une nouvelle économie responsable autre que celle de l’abondance, l’industrie textile est le secteur le plus gourmand en eau. La mode est également la deuxième industrie la plus polluante au monde et est responsable de 20% des rejets d’eaux usées et de 10% des émissions de CO2. Plus de 60 milliards de m2 de tissus sont produits chaque année. Au total, 60 milliards de m2 de chutes sont gaspillées lors de coupe. En 2015, on estimait qu’une seule usine de textile produisait 5% à 25% de déchets par année de production, et ce, avant l’entrée des vêtements sur le marché. Seulement 20% des textiles sont recyclés chaque année dans le monde. La plateforme de mode durable «Sloweare» note qu’environ 140 milliards de vêtements sont produits chaque année. Ils nécessitent 79 milliards de mètres cubes d’eau. Un constat parfaitement illustré par la production des jeans qui nécessite pour une seule pièce 11.000 litres d’eau. Le secteur de la mode pollue, ainsi, plus que le trafic aérien et le transport maritime combinés. La Fondation «Ellen Mac Arthur» annonce que, d’ici 2030, la consommation mondiale de vêtements devrait augmenter de 63%, passant de 62 millions à 102 millions de tonnes de vêtements, soit plus de 500 milliards de t-shirts en plus dans nos tiroirs. A ce rythme, le secteur représentera 26% des émissions de gaz à effet de serre en 2050. En Tunisie, la situation est tout aussi critique. Des quantités importantes de rejets de fluides industriels sont déversées dans la nature, polluant ainsi les cours d’eau et le milieu marin et le sol, en particulier dans des régions côtières comme Monastir, le gouvernorat où sont concentrées les usines textiles. Le Forum des droits économiques et sociaux (Ftds) a dénoncé les industriels du textile comme étant derrière la grave pollution et la dégradation de l’environnement, en particulier au niveau de la baie de Monastir. «L’utilisation d’eaux souterraines non contrôlées et d’eau potable dans le processus de délavage du «jean» par la dizaine d’entreprises de la région requiert 550.000 mètres cubes d’eau par an, ce qui illustre encore l’exploitation excessive de l’eau dans cette région où les coupures d’eau sont fréquentes aussi bien pour la consommation des ménages que pour l’irrigation», lit-on sur le rapport du Ftds.

«Med Test»

Selon la même source, 74% des entreprises industrielles tunisiennes rejettent leurs eaux usées sans se conformer aux normes tunisiennes, et ce, en raison de l’application limitée des lois et normes contre les industries polluantes. C’est pour cette raison que, depuis 2015, l’industrie du textile et de l’habillement en Tunisie tente de s’adapter à une nouvelle conjoncture mondiale où les normes de qualité environnementale sont de plus en plus exigées. Et c’est exactement l’objectif principal du programme régional «Switchmad» et de sa filiale orientée vers le secteur textile en Tunisie, au Maroc et en Egypte «Med Test III». Un programme financé par l’Union européenne et mis en œuvre en coopération avec le Programme des Nations unies pour le développement industriel (Onudi), qui a pour finalité d’aider le plus grand nombre d’entreprises actives dans le secteur, 100 entreprises au départ, à adopter le recyclage et la gestion des déchets textiles et vestimentaires, postindustriels et de pré-consommation et d’éliminer les produits chimiques éventuellement toxiques et, partant, créer des chaînes de valeur plus circulaires. Plusieurs produits chimiques qui sont largement utilisés dans le secteur du textile ne sont pas seulement dangereux pour la biosphère mais représentent également un obstacle majeur pour le recyclage de textiles. En raison de la croissance globale de la demande en textiles, les matières premières, comme les fibres, deviennent de plus en plus rares et ensemble avec les produits chimiques, ils représentent un facteur de coût important pour l’industrie du textile. Néanmoins, une sensibilisation croissante des consommateurs à l’impact environnemental de la production de textiles a créé une demande grandissante pour des textiles produits de manière durable et a incité des marques mondiales à analyser leurs chaînes d’approvisionnement afin d’identifier des alternatives pour allier l’utilisation des fibres renouvelables et recyclés avec des processus de production plus propres.

Antonio Tremarchi, représentant du Pnud et coordinateur du programme «Switchmad» en Tunisie et au Maroc, affirme : «L’idée derrière ce projet, qui se poursuivra dans sa première phase jusqu’en 2023, est de faire de la valorisation et du recyclage des déchets textiles une solution commercialement viable, réalisant ainsi profit économique et limitation des impacts du secteur sur l’environnement et création d’emplois». Une initiative qui nécessite, selon lui, l’établissement de relations commerciales appropriées entre les différents acteurs de la chaîne de valeur textile. D’ailleurs, de nombreuses entreprises tunisiennes ou exportatrices en Tunisie se sont engagées dans une démarche de production durable dans le cadre de ce programme. Plusieurs d’entre elles ont pu réaliser dans avancées sur le plan écologique, comme l’entreprise «Sitex» qui est parvenue à réduire, en 2019, le pourcentage de ses émissions de dioxyde de carbone de 17% et est arrivée à réaliser une économie d’eau de 34%, une économie d’énergie de 14% et 3,2% d’économie de matières premières. Aussi une autre société, active dans le lavage, la teinture et le traitement de produits textiles entièrement exportés vers l’Europe, a pu réduire ses émissions de dioxyde de carbone de 27% et réaliser une économie en eau et en énergie équivalente à un investissement annuel de plus de 366 milliers d’euros. Une société opérant dans le secteur du cuir et de la teinture a pu réaliser grâce à ce programme une réduction de ses émissions de CO2, en 2019, de 33,5% et elle a pu économiser ses eaux usées de 20% et son énergie de 34%.

Traçabilité des déchets textiles

Les participants au programme, considérés comme acteurs dans les écosystèmes textiles locaux, pourraient bénéficier de plusieurs avantages. En premier lieu, ils optimiseront les coûts initiaux, réduiront l’impact environnemental et minimiseront les charges de traitement des déchets. Ensuite, ils augmenteront la longévité des ressources, réduiront la dépendance des matières premières vierges à disponibilité limitée et enfin garderont la valeur dans l’économie locale. Le programme «Med Test III» mettra à niveau les processus et les opérations des PME locales tout au long de la chaîne d’approvisionnement du textile, de manière à accroitre la compétitivité de l’écosystème afin de répondre aux besoins futurs du marché. Il réduira les coûts de mise en conformité, atténuera les risques environnementaux dans les opérations quotidiennes et augmentera la transparence tout au long de la chaîne d’approvisionnement

Mehdi Dhraief, chargé du programme «Switchmad» et «Med Test III» en Tunisie, déclare qu’une idée est actuellement à l’étude pour le lancement d’une application en ligne, en Tunisie, qui permettra une traçabilité des déchets textiles depuis leur sortie des usines, via les collecteurs, jusqu’aux destinataires. «Tous les procédés et toutes les étapes seront beaucoup plus faciles une fois l’Agence nationale de gestion des déchets (Anged) informée des quantités réelles, de leurs collecteurs et leurs récepteurs. Ainsi, le processus de contrôle sera mieux réalisé. Ça permet aussi de les récupérer et de les valoriser au lieu de gaspiller cette ressource», explique Dhraief. Pour lui, la solution pour réussir une démarche d’économie circulaire dans le secteur textile réside dans le fait d’organiser les circuits de recyclage. «Il faut que la filière des recycleurs s’organise. On ne peut pas valoriser un flux de déchets non traçable. Il faut le cerner, évaluer les quantités et coordonner après, pour créer des opportunités d’exportation et d’emploi et en même temps préserver l’environnement», a-t-il exigé.

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