“Le tourisme peut être une solution aux problèmes de développement et de chômage, quelle que soit la région. Notre pays est truffé d’histoire, de sites culturels, qui ne sont pas du tout valorisés et qui sont mal entretenus souvent, faute de moyens”
A seulement quelques kilomètres de la ville de Gafsa, se trouve le domaine du Dr. Monaem Lachkhem. Plusieurs dizaines d’hectares de terres, sur lesquelles poussent des oliviers et… des orangers! Un petit paradis caché dans cette région du sud-ouest de la Tunisie, où la culture des agrumes semble invraisemblable. Dans ce domaine privé des Lachkhem, s’érige une bâtisse, un gîte de cinq chambres et suites familiales. “Dar Yamma”, qui veut dire ” la maison de ma mère” en dialecte gafsien est le nom qu’a choisi le chirurgien pour son gîte rural. Style rustique et matériaux naturels (bois, fer forgé, pierre taillée) qui se marient parfaitement avec la décoration moderne.
Un véritable havre de paix. “Depuis que j’avais quatre ans, je savais que j’allais être chirurgien et agriculteur. Un rêve qui se planifie, devient une réalité. En 2003, j’ai trouvé ce lot de terrain et tout de suite c’était le coup de foudre. C’était un terrain monstrueux avec des épines partout, il ne valait rien à l’époque. Je l’ai acheté et j’ai commencé à faire pousser des arbres. L’idée de planter une orangeraie est venue du fait qu’ en Tunisie, il existe trois arbres qui sont verts toute l’année, à savoir les oliviers, les palmiers et les orangers”, s’amuse à expliquer le médecin. “Dar Yamma” devrait être le troisième établissement touristique alternatif dans la région, une fois le permis d’exploitation obtenu. Malgré son énorme potentiel, le tourisme alternatif est très peu développé à Gafsa, cet intarissable gisement culturel.
“Gafsa est une région qui connaît beaucoup de difficultés sur les plans économique et social. Qui dit Gafsa, dit bassin minier. Tout le monde est braqué sur ce problème-là. Nous voulons montrer que le tourisme peut être aussi une solution et peut apporter sa contribution au développement de la région. C’est un message à toutes les régions intérieures que le tourisme n’est pas l’apanage des zones côtières. Quant à Gafsa, le potentiel est énorme. Le tourisme culturel peut s’y tailler un beau succès. Ici, c’est 8 mille ans d’histoire ! ”, a souligné Habib Ammar, ministre du Tourisme et de l’Artisanat, dans une déclaration à La Presse, en marge de sa visite officielle, effectuée les 14 et 15 mars, à la région.
Sened, commune touristique
Le village montagnard Sened, situé à l’est de Gafsa, était l’un des sites touristiques où s’est rendue la délégation ministérielle. Sa principale caractéristique? Les grottes troglodytiques creusées à flanc de colline de Jebel Sened. Selon les historiens, ce type d’habitat berbère remonte aux Xe-XIIe siècles. “L’Association des jeunes agriculteurs de Sened s’est battue, depuis 2014, pour décrocher la nouvelle classification de commune touristique. L’objectif de l’association est d’encourager les habitants de Sened à se lancer dans des projets de tourisme alternatif, vu l’assise culturelle et historique que le village recèle”, souligne Anis Sendi, le trésorier de l’association. Selon les habitants de Sened, le site historique est délaissé d’autant plus que, depuis 2011, il a été complètement déserté suite à la baisse des visites touristiques. La classification de Sened en commune touristique, ainsi que la création d’un commissariat régional au tourisme à Gafsa vont certainement contribuer à préserver ce site. Mais le déficit d’infrastructure, la pénurie d’eau, l’exode des jeunes vers d’autres villes beaucoup plus attractives constituent autant de freins au développement de l’activité touristique dans la région.
Un cadre réglementaire hostile à l’investissement dans le tourisme alternatif
Le tourisme alternatif peut se tailler un véritable succès dans cette région du sud-ouest de la Tunisie. Un endroit maintes fois séculaire où plusieurs civilisations se sont succédé et ont influencé l’identité, les spécificités culinaires et les traditions à Gafsa. Mais la mise en place d’un tourisme alternatif dans cette région, comme ailleurs, se heurte à un écheveau de difficultés. En premier lieu, le cadre réglementaire qui étouffe l’élan et l’engouement du secteur privé pour les projets d’hébergement alternatifs. “Le cadre réglementaire constitue un frein à 80% des projets de tourisme alternatif qui existent déjà. Il faut automatiquement adapter le cadre réglementaire.
Le ministère du Tourisme n’est qu’un facilitateur. Les véritables départements, qui ont leurs mots à dire, sont les départements de l’agriculture, de l’équipement, mais il y a aussi d’autres institutions impliquées comme les gouvernorats, les municipalités, l’Apal. C’est ce qui fait que notre priorité est de faire adapter les réglementations de façon à ce qu’on mette en place un cadre législatif, qui favorise l’investissement dans ce genre de projets”, a souligné, à cet égard, le ministre du Tourisme Habib Ammar.
Et d’ajouter : “On a du mal à enlever cette image ancrée qui promeut la Tunisie en tant que destination exclusivement balnéaire. Le balnéaire n’a pas le soutien de beaucoup de gens en Tunisie, puisqu’ils estiment que c’est un produit destiné uniquement aux étrangers. Aujourd’hui, le message que je veux véhiculer, c’est que le tourisme peut être une solution aux problèmes de développement et de chômage, quelle que soit la région. Notre pays est truffé d’histoire, de sites culturels, qui ne sont pas du tout valorisés et qui sont mal entretenus souvent, faute de moyens. Aujourd’hui, la crise liée au coronavirus nous a donné l’occasion pour nous pencher sur le tourisme alternatif— que j’aimerais bien appeler tourisme complémentaire—. C’est une action qui a été entamée par le privé. Il était en avance même par rapport à l’administration. Et c’est lui qui a vu l’utilité d’investir dans ce genre de produits. Le tourisme balnéaire est globalement orienté vers une clientèle de masse, par définition et vers des tour-opérateurs qui font des allotements. Par contre, le tourisme alternatif intéresse des gens beaucoup plus aisés. Ce sont des produits touristiques qui peuvent plus s’apparenter au développement du tourisme intérieur, un des axes stratégiques majeurs sur lequel on est en train de travailler”.