Sur les réseaux sociaux, principale voie d’expression pour les consommateurs, ces dernières années, tout le monde se plaint, les prix s’envolent ! Tout est payé bien plus cher qu’avant. Produits de grande consommation, services… Certains groupes ont même été créés sur Facebook pour assurer un comparatif de prix. La Toile regorge de ces petits exemples de Tunisiens s’étonnant d’une hausse des prix dans les grandes surfaces. Et pourtant, les distributeurs l’assurent, ils ne les ont pas augmentés. Parmi eux, il y en a même qui ont assuré en avoir bloqué certains pour préserver le pouvoir d’achat. Les autorités, elles, semblent aussi être préoccupées par cette situation, mais rien de concret n’est encore fait !
La question des prix ne cesse de préoccuper les Tunisiens dont le pouvoir d’achat a connu une forte baisse au cours des dernières années. Les consommateurs ne peuvent plus joindre les deux bouts à cause des prix élevés de certains produits, surtout ceux appartenant au groupe agroalimentaire. Un problème qui aurait pu être résolu si les autorités en place avaient réussi à mettre un terme à la spirale infernale. Ce qui, malheureusement, n’est pas le cas !
Entre 2010 et 2018, la quantité des biens à la consommation et des services qu’un foyer peut acheter affiche un recul de 88 %. Selon certains experts en économie, cela est dû, entre autres, à l’inflation et au glissement important du dinar. Et pour retrouver la capacité d’achat des années 2010, le salaire d’un Tunisien doit doubler. Les entreprises tunisiennes sont, également, victimes de cette situation, car elles affichent un dédoublement de dettes à cause de la dépréciation de la monnaie nationale.
Consommateurs en souffrance
D’après les statistiques officielles de 2018, le pouvoir d’achat des Tunisiens a régressé de 4 % environ entre 2011 et 2018 alors qu’il a enregistré une hausse de 20 % entre 2002 à 2011. Et par rapport à l’année 2017, le recul du pouvoir d’achat de 2018 est estimé à 3 %. L’économie parallèle et le déséquilibre entre l’offre et la demande en plus de la dévaluation du dinar sont les principales causes de cette baisse du pouvoir d’achat. Egalement, la contrebande, l’évasion de liquidités qui échappent aux banques, la corruption et le terrorisme sont les causes de cette baisse de la capacité d’achat des Tunisiens.
D’après les statistiques de l’Institut national de la statistiques pour le mois de février 2021, les prix à la consommation se stabilisent après une hausse de 0,7% en janvier dernier. Cette stagnation est justifiée, d’une part, par la hausse des prix des produits et services de santé de 1,4%, des transports de 0,8% et d’autre part par le repli des prix des produits d’habillement de 4,6% en raison des soldes d’hiver. Les prix du groupe alimentation sont globalement stables. Aussi, le taux d’inflation se stabilise à 4,9% pour le quatrième mois consécutif après avoir atteint un taux de 5,4% en octobre 2020. Cette stabilité est expliquée par la conjugaison de plusieurs évolutions, soit l’accélération des prix du groupe santé (7,5% contre 6,6% en janvier), la légère décélération observée au niveau du rythme d’augmentation des prix du groupe alimentation (4,8% contre 4,9% en janvier) ainsi que le maintien du rythme d’accroissement des prix pour les autres groupes de consommation.
Quoi qu’il en soit, et même si les statistiques officielles traduisent une certaine stabilité des prix, le quotidien des consommateurs est très pénible. La liste des produits touchés par ces hausses est très longue. Aucune marchandise n’est épargnée. Médicaments, produits d’entretien et d’hygiène, matériaux de construction, habillement et chaussures… tous les secteurs ajustent leurs tarifs et suivent cette mode haussière, à tort ou à raison ! La hausse des prix touche tous les types de commerces, même ces petits vendeurs à la sauvette qui occupent les rues ne font pas exception à la règle et suivent la danse. Ces derniers doublent et, parfois même, triplent les prix de leurs marchandises.
De multiples tentatives
Depuis la Révolution, les gouvernements successifs se sont penchés sur la problématique de la maîtrise des prix, mais en vain ! Rien ne semble pouvoir arrêter cette vague haussière. Au mois de janvier dernier, le Conseil national du Commerce s’est réuni et a recommandé de renforcer les mécanismes de contrôle et de veiller à l’application ferme de la loi. L’objectif étant de maîtriser les prix et optimiser les préparatifs pour le mois de Ramadan.
Auparavant (octobre 2020), le chef du gouvernement, Hichem Mechichi, avait souligné, à l’ouverture des travaux de la commission nationale du suivi de l’évolution des prix, la nécessité de réguler les prix de certains produits alimentaires de base qui ont récemment fait l’objet de dépassements de manière à les rendre à la portée des citoyens. « La maîtrise des prix, la régularité de l’approvisionnement et la protection du pouvoir d’achat des citoyens figurent en tête de nos priorités », avait déclaré le chef du gouvernement. Il avait également appelé les ministres concernés à intensifier les visites d’inspection et les campagnes de contrôle, afin de garantir un rythme régulier d’approvisionnement et de réguler les prix.
En novembre 2018, Youssef Chahed avait annoncé la réactivation de la commission nationale de maîtrise des prix et l’accélération du rythme de ses travaux. Cette décision intervient dans le cadre de la préservation du pouvoir d’achat du citoyen et la maîtrise des prix, qui doivent constituer, selon le chef du gouvernement de l’époque, une «priorité pour la prochaine période».
Il a été question, également, du renforcement du travail de terrain des brigades de contrôle économique et d’assurer le suivi de leurs activités au niveau des ministères et de la présidence du gouvernement. «Sans suivi de l’exécution des décisions, toute action, notamment de terrain, de ce corps n’aura pas de sens», avait insisté Chahed.
Aussi, en 2015, le chef du Gouvernement, Habib Essid, a présidé un conseil ministériel restreint consacré à l’examen d’un certain nombre de mesures pratiques pour la maîtrise des prix. Certaines mesures ont été annoncées dont notamment ; une réunion mensuelle de la commission nationale pour la maîtrise, la création de commissions régionales appelées à se réunir chaque semaine sous la présidence du gouverneur de la région et en présence des administrations concernées et des organisations nationales, révision de la loi sur la concurrence et les prix afin de pouvoir sanctionner les commerçants sans passer par les tribunaux, en raison de la lenteur des procès-verbaux des infractions et pour sensibiliser les contrevenants de l’importance des sanctions. Il a été encore décidé de poursuivre les concertations et la coordination entre tous les intervenants et fournisseurs des produits en réduisant les prix notamment pour ceux connaissant une grande affluence, le recours à l’article 4 de la loi sur la concurrence et les prix, si des écarts de prix sur les produits sensibles sont enregistrés au niveau des différentes régions du pays.
En 2012, et face aux tensions qui apparaissent dans la société tunisienne du fait de la montée vertigineuse des prix des produits de base et des denrées alimentaires, le gouvernement de Hamadi Jebali avait décidé de prendre les choses en main en élevant pratiquement la question de la maîtrise des prix au niveau d’affaire nationale. Ainsi, une vaste campagne de communication sur la maîtrise des prix avait été lancée. Elle avait ciblé le citoyen lambda ainsi que les intervenants au niveau des différentes opérations de production, de distribution et de l’importation des produits de base, et aussi les agents des services du contrôle économique et de la douane, les décideurs… dans le but de prévenir la contrebande et les circuits clandestins de transfert, de vente et de distribution.
Origines et remèdes
Durant toutes ces années, les autorités ont eu beau essayer de soulager les consommateurs, mais rien de tous leurs efforts ne semble être efficace. Les Tunisiens continuent, malgré tout, à subir les conséquences des pratiques malsaines des spéculateurs et les fausses promesses des pouvoirs en place. Une chose est sûre, les gens ne veulent plus se laisser faire, ils exigent de passer à l’acte de toute urgence.
L’instabilité des prix est susceptible de provoquer des problèmes de sécurité alimentaire, certains ménages n’ayant plus accès à la nourriture dans les situations de flambées de prix. Elle est aussi susceptible de décourager l’investissement des producteurs et de provoquer des faillites. Elle peut enfin provoquer des problèmes macroéconomiques, notamment dans des pays économiquement fragiles comme la Tunisie. Il est également évident qu’une instabilité économique peut être à l’origine d’une instabilité politique.
L’inflation reste la menace principale pour l’économie tunisienne. Etant donné ses effets néfastes sur la croissance économique et le pouvoir d’achat. Et pour pouvoir y remédier, il est important de connaître les origines de l’inflation en Tunisie. D’après les spécialistes, ses causes sont multiples. En effet, on les doit à des chocs de demandes ou à des chocs d’offres. Dans le premier cas, l’inflation provient d’un excès de demande par rapport à l’offre. Afin de rétablir l’équilibre, il y une pression à la hausse des prix.
D’après Afifa Khazri, universitaire : «En présence d’inflation élevée, la solution passe soit par l’application d’une politique fiscale à travers l’augmentation de l’impôt, soit par une politique budgétaire traduite par la diminution des dépenses du gouvernement, ou encore par une politique monétaire exprimée par l’augmentation du taux d’intérêt ». Or, Khazri considère qu’avec la conjoncture actuelle, le gouvernement a peu de marge de manœuvre. Alors, la Banque centrale de Tunisie (BCT) n’a pas d’autre choix que d’agir en augmentant son taux directeur. «L’augmentation des prix provient d’une augmentation de la masse monétaire plus que de la richesse réelle du pays. Ce qui déprécie la valeur de la monnaie. Et les prix augmentent pour compenser cette dépréciation», assure-t-il. Et elle poursuit : «L’inflation pénalise aussi la compétitivité d’une économie et son commerce extérieur (les produits importés peuvent devenir moins chers que les produits domestiques). Il faut encourager la concurrence pour faire pression à la baisse des prix et améliorer la qualité des produits. Lutter contre la spéculation qui gonfle le prix de certains produits et améliorer la productivité dans les secteurs où il y a hausse des prix. Mieux contrôler les circuits de distribution et les frontières pour empêcher la contrebande et le marché parallèle. Revoir aussi les politiques commerciales avec le reste du monde, agir sur les prix des importations avec des négociations multilatérales», ce sont là quelques solutions avancées par la spécialiste.